Pierrick De Ronne (Biocoop) : "Continuer à proposer une bio exigeante, équitable, ancrée dans les saisons"
Dans cette interview, Pierrick De Ronne, président de Biocoop, fait le bilan de l'année 2022, revient sur la crise du bio et partage ses perspectives et attentes pour 2023.
Depuis le printemps 2021, le secteur du bio est dans le rouge. Et l'année 2022 sera certainement l'un des pires millésimes de son histoire avec un recul des chiffres d'affaires estimé à près de 12 % par et chez les spécialistes, et de 7,4 % en GMS selon NielsenIQ. Ce qui, étant donné la forte inflation des derniers mois, suppose des reculs en volumes de plus de 15% et jusqu'à 25 % dans certains magasins et réseaux. Bref, l'ambiance chez les « spé » n'est pas à la fête, et d'aucuns prédisent des faillites à venir en même temps que la poursuite d'une consolidation déjà engagée.
Pas de quoi fissurer la confiance affichée par la première enseigne de produits bio en France, Biocoop, dont nous sommes allés rencontrer le président, Pierrick De Ronne, sur ses terres, à Annonay, au nord de l'Ardèche. Une visite loin du siège parisien de la coopérative pour prendre la mesure de la crise et des remèdes que l'enseigne et ses sociétaires appliquent pour s'en sortir. Simple, direct, un brin réservé, mais très déterminé, ce jeune quadra qui a pris en main les destinées des 762 magasins Biocoop en mars 2019 et revu leur direction en confiant à des pros de la grande distribution les postes d'exploitation clés, reste droit dans ses bottes. La recherche de performance et l'optimisation des coûts ne doivent passe faire aux dépens des engagements militants de Biocoop plus que jamais nécessaires, explique-t-il en substance.
LSA l'a interviewé et a visité avec lui le Biocoop d'Annonay, l'un des plus grands magasins de l'enseigne, qu'il a contribué à créer et qui porte haut ses combats (prix justes, vrac, recyclage, proximité, défense des producteurs locaux, pédagogie, etc.). Rencontre et reportage.
LSA- Comment appréhendez-vous 2023 ?
Pierrick De Ronne - J'ai du mal à imaginer que l'année qui débute sera meilleure qu'en 2022. Nous allons continuer de faire face aux mêmes thématiques d'efficience, d'efficacité, d'adaptation à ce monde incertain. Je ne suis ni pessimiste ni optimiste, je pense qu'on restera sur les mêmes tendances. Il y a le contexte, d'abord, dont nous ne sommes pas forcément maîtres avec l'augmentation des coûts de l'énergie, notamment, qui vient perturber l'ensemble des secteurs, pas seulement le bio. Ensuite, il y a la question de l'inflation qui va rester centrale. En conséquence, nous prévoyons une année similaire, voire un peu moins bonne que 2022 qui n’a déjà pas été un bon millésime..
Sur l’énergie vous êtes partenaires d’Enercoop, fournisseur qui s’appuie sur des énergies renouvelables. En pleine crise des énergies fossiles, est-ce que ce n’est pas devenu un avantage ?
P. De R. - Nous sommes effectivement partenaire et cofondateur de longue date d’Enercoop, une coopérative qui développe des structures de collecte d’énergie verte un peu partout sur le territoire. Par choix. Une grande majorité de nos magasins, 70 %, y adhèrent et s’y fournissent ainsi que la coopérative Biocoop et ses entrepôts. Enercoop a toujours été un peu plus chère que le marché mais dans des moments de difficulté comme ceux que l’on traverse, notre choix paye puisqu’ils ont aligné les prix de 2023 sur ceux de 2022, ce qui représente un effort non négligeable de 3 millions d’euros pour eux. Cela nous sécurise et cela nous permet d’avoir une approche budgétaire de ce poste de dépense qui reste néanmoins élevé.
La disponibilité des produits bio est-elle menacée comme on a pu le craindre dans certaines filières traditionnelles ?
P. De R.- À court terme, il n'y a aucune menace. C'est même plutôt le contraire car avec le désengagement actuel de la grande distribution (-7,4 % en CA en 2022 selon NielsenIQ, NDLR), on risque de faire face à un flot de demandes de référencements ou de productions bio à intégrer que nous seuls ne pourrons évidemment pas absorber. Sur le moyen terme, en revanche, c'est-à-dire 2024-2025 si la crise se prolonge, nous pourrions nous retrouver face à des pénuries, soit parce que des entreprises qui nous fournissent auront disparu ou parce que des producteurs se seront « déconvertis ».
Ce phénomène de « déconversion », dont on entend parler de plus en plus, est-il réel ?
P. De R.- Pas encore vraiment, le phénomène reste minoritaire, mais c'est une perspective possible et inquiétante. À horizon deux ou trois ans, le risque serait de se retrouver avec des filières déstructurées et de mettre en péril ce qui a été construit depuis trente ans.
Quels seront vos grands enjeux de l'année ? L'inflation ? Les prix ?
P. De R.- La question du prix reste essentielle, c'est le premier frein à l'achat du bio donc nous y travaillons beaucoup, en baissant nos coûts notamment. Au-delà, l'idée est de maintenir nos engagements. C'est le bio de type industriel qui souffre et qui est venu perturber la perception des consommateurs, celui des produits qui viennent de loin, issus de mers de plastiques, avec des fruits et légumes hors saison, pas forcément très bons. Le bio discount, en gros, qui va continuer à se développer.
Notre objectif, à l'inverse, est de continuer à proposer une bio exigeante, équitable, ancrée dans les saisons, qui travaille à diminuer l'ultratransformation, à développer la consigne, etc. Nous restons sur les mêmes enjeux, qui consistent à la fois à s'adapter tout en continuant à creuser le sillon de notre différenciation et qui nous permettent de résister beaucoup mieux que le reste du marché.
Quel est le bilan de l'année pour Biocoop par rapport aux autres réseaux ?
P. De R.- Même si ces chiffres, qui sont des moyennes, ne traduisent pas forcément la réalité endurée par certains magasins et des entrepreneurs indépendants qui sont plus en difficulté que d'autres, Biocoop décroît deux fois moins vite que l'ensemble du marché spécialisé, avec une baisse des ventes d'environ 6 % sur l'année 2022, quand les spécialistes décroissent en moyenne de 12 %. Par ailleurs, à fin novembre, l'Agence Bio dénombrait 220 fermetures de magasins bio et c'est la première fois que les magasins spécialisés perdent des mètres carrés. . Il y avait déjà eu un delta négatif du parc il y a quelques années, avec plus de magasins fermés que d’ouvertures, mais il s’agissait de petites unités qui fermaient et de plus grosses qui ouvraient. Mais c'est la première fois que le parc et les surfaces des spécialistes baissent ensemble.
Biocoop n'est pas épargné, nous avons fermé 36 magasins pour 39 ouvertures. Rien de comparable avec notre poids sur le marché des spécialistes qui est d'environ 45 % en valeur et de 12 % tous circuits confondus. Qui plus est, pour les deux tiers de ces fermetures, il s'agit de reconfigurations à la marge de groupes qui ferment un magasin pour sauvegarder l'essentiel. On se coupe un doigt pour sauver la main.
Quid de l'activité des trois magasins dont vous êtes l'un des cogérants ?
P. De R.- On souffre aussi, évidemment, mais sans couper dans les actifs, ni dans le personnel. Nos ventes ont reculé d'un peu plus de 5 % sur l'exercice clos en septembre, mais nous avons dégagé du résultat, nous nous sommes adaptés avec beaucoup d'économies dans nos pratiques, notamment en matière de chauffage, et il n'y a pas d'inquiétude particulière. Notre Scop envisage même de se développer, avec pourquoi pas un autre projet à Saint-Étienne.
Quelles sont les raisons de la crise du bio selon vous ?
P. De R.- Pour moi, il y en a deux principales. D'abord la question conjoncturelle, évidemment. La sortie du Covid et l'inflation ne constituent pas le contexte le plus favorable à la consommation de produits un peu plus chers et les gens font des arbitrages. De plus, le Covid a réorienté les consommateurs vers des questions de court terme dans le domaine de la santé : se protéger, se vacciner, et moins sur les sujets de long terme, comme l'intérêt de manger du bio régulièrement.
Le “bio bashing”, une forme de fabrique du doute pour laisser entendre que le bio n’est pas si bon que ça pour la santé, est organisé par certains lobbys. C’est une des raisons de sa crise actuelle.
La seconde raison, c'est indéniablement le développement du « bio bashing », une forme de fabrique du doute pour laisser entendre que le bio n'est pas si bon que ça pour la santé. Une remise en cause organisée par des lobbys, à laquelle s'ajoute le doute croissant de certains consommateurs devant le développement du bio industriel, discount. Tout l'enjeu pour nous est de répondre aux deux en s'adaptant au contexte et en réexpliquant les mérites du bio.
N’y a-t-il pas aussi une crise des vocations du côté des commerçants ?
P. De R. - Je ne parlerais pas de crise des vocations parce que je pense que le bio reste dans le sens de l’Histoire et il y a toujours des gens qui ont envie de s'installer. Après, nous traversons une période un peu protectionniste avec, d’un côté, ceux qui cherchent à se mettre au bio, mais hésitent vu le contexte, et de l’autre les acteurs déjà sur le marché qui sont réticents à les accueillir et privilégient la sauvegarde de l’existant. Alors, oui, il y a sans doute un tassement des conversions parce que la demande est moins porteuse, mais pas de crise des vocations. En ce qui concerne les salariés, nous sommes un peu tous logés à la même enseigne avec, comme dans toutes les entreprises, des difficultés de recrutement qui sont générales et pas forcément liées au bio.
Les GMS réduisent fortement leur offre en bio, qui baisse de plus de 8 % en moyenne, est-ce la bonne solution d’après vous ?
P. De R. - Je la trouve logique dans leur situation. Ils sont opportunistes. Ils proposent ce qui se vend le plus et le bio a constitué pendant longtemps un levier de croissance. Le marché était tiré par l’offre, il fallait référencer. Aujourd’hui, le marché se retourne, l’offre ne suffit pas à relancer le marché, donc on retire les articles qui ne se vendent pas assez. Ça n’est pas contestable. Nous non plus, nous n’allons pas proposer des produits qui ne se vendent pas.
Est-ce qu'il reste des marchés à conquérir pour le bio ?
P. De R.- Si on se projette après 2023, car il faudra quand même passer ce cap difficile, je pense que nous sommes loin d'avoir atteint le plafond de verre. Le marché du bio ne va pas stagner à 5-6 % indéfiniment, il peut monter à 10-12 %, comme c'est le cas au Danemark, et largement le cas en Suisse, par exemple. L'un des sujets majeurs, c'est la restauration collective, d'autant plus qu'il y a des engagements politiques sur ces points-là. Il devait y avoir 20 % de bio dans les cantines et nous en sommes très loin. On le sait peu, mais nous avons une filiale dédiée à la restauration qui fait un peu moins de 15 millions d'euros de chiffre d'affaires, pour laquelle nous avons beaucoup d'ambitions. Elle s'inscrit en complément des offres locales et des magasins qui fournissent parfois les restaurants voisins, comme ici à Annonay. D'ailleurs nous sommes ouverts à fournir des acteurs conventionnels tels que Sodexo. L'idée, est que, quels que soient le moyen et l'acteur avec qui on le fait, c'est une bonne chose qu'il y ait de la bio et, dans l'idéal, des produits Biocoop, sur les tables des restaurants et des cantines de nos enfants.
Quelle est votre stratégie anticrise ?
P. De R.- En fait, notre sujet, c'est de passer d'une logique de crise à une logique de défis. Évidemment qu'après avoir connu dix années de croissance à deux chiffres, ce retournement est brutal. Nous sommes passés, en gros, de + 15 à- 15 % et je ne suis pas sûr que beaucoup de marchés ont connu ça. Mais après la période de déni et celle de colère, il est temps de se retrousser les manches, avec l'avantage d'être une coopérative où chaque entrepreneur indépendant se bat pour sa propre entreprise et donc trouve aussi ses propres réponses. Chaque magasin, chaque sociétaire s'adapte comme nous le faisons ici à Annonay où nous avons travaillé sur l’énergie, sur nos coûts et sur nos pratiques. Certains revoient leurs investissements, ferment des magasins ou des espaces, des restaurants, etc. C'est une réponse qui est beaucoup plus difficile à mettre en place dans des structures intégrées.
Vient ensuite la démarche collective, avec un gros travail sur les prix : en 2022, l'inflation a été deux fois moins forte chez Biocoop qu'en grande distribution. Sur nos 500 produits du quotidien, nous sommes moins chers que l'ensemble des acteurs spécialisés, et sur nos 100 produits « prix engagés », on veut s'aligner sur les prix bio de la grande distribution. Nous mettons l'accent sur les fruits et légumes, comme tout bon épicier du quotidien. Car c'est par eux que passent la qualité et la fraîcheur de l'ensemble du magasin et son image prix. En moyenne, ce rayon pèse 18 % de nos ventes, et monte jusqu'à 25 % dans certains magasins.
Enfin, il faut continuer à marteler nos différences : nous nous plaçons dans une logique de prix justes, et non « bas », pour faire accepter au consommateur de payer parfois un peu plus cher pour une vraie valeur ajoutée. Aujourd'hui, nous sommes le premier vendeur de commerce équitable en France (28,5 % de notre CA et 20 % du marché), le premier vendeur de vrac (19 % du marché) et de vente sous vrac (37 % avec les rayons traditionnels et on vise 50 % d'ici à 2025). La question de la suppression de tous les vecteurs d'ultra-transformation est aussi centrale dans les produits Biocoop. Le produit doit être le plus brut possible, c’est comme ça qu’il sera le plus gourmand et le plus accessible.
N'êtes-vous pas tentés par des concessions face à la crise ? Comme faire du discount ?
P. De R.- Non, il n'y a pas de débat chez nous sur ce sujet, on ne veut pas sacrifier notre cahier des charges, nous sommes convaincus que ça serait court-termiste et que ça casserait le lien avec nos consommateurs.
N'avez-vous pas été trop absents du discours sur les prix ?
P. De R.- Là, en revanche, il y a eu débat. Et c'est en train de bouger chez Biocoop où on commence à se dire : soyons fiers de nos prix. En décembre, nous avons communiqué sur le prix de la clémentine de Corse. Longtemps, le prix a été un gros mot chez nous. Je pense qu'on est entrain de trouver le bon compromis.
Est-ce qu’il ne manque pas une filière de bio discount en France, comme on a du bio premium ?
P. De R. - Elle existe déjà, en fait. Ce sont les offres qui respectent le minimum du cahier des charges, mais s’abstraient de critères sociaux, des questions de saisonnalité, des productions locales ou proches et s’accommodent de produits ultratransformés, d’importations, etc. Mais elle n’est pas parvenue à s’imposer. E. Leclerc n’a pas réussi sa percée. Lidl un peu plus mais sur une gamme courte.
Des indépendants et des chaînes seraient en grosse difficulté, va-t-on vers une reconfiguration du secteur et, si oui, comptez-vous y participer ?
P. De R.- Elle a déjà commencé, la grande distribution détient 22 % des spécialistes après ses acquisitions (Casino avec Naturalia, Carrefour avec Bio c' Bon et So. bio, NDLR), Biocoop en contrôle à peu près la moitié. Il ne reste plus qu'un petit tiers de structures indépendantes fragilisées par la crise. Donc les cartes vont être rebattues. Mais je ne sais pas quel rôle vont jouer les entreprises capitalistes. Est-ce qu'elles vont considérer que certains réseaux sont intéressants à acheter si elles veulent prendre la tête du marché ? De notre côté, nous avons aussi un rôle à jouer en rappelant que Biocoop est attractif pour des indépendants désireux de nous rejoindre, avec nos quatre plates-formes et quasiment les meilleurs prix du marché.
Vous estimez-vous soutenus par les politiques ? Le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a dressé dans LSA un bilan flatteur : doublement des surfaces bio en cinq ans (10 % de la superficie agricole utilisée (SAU) en France), des aides à la conversion augmentées de 30 % dans la nouvelle PAC.
P. De R.-Les chiffres ne sont pas contestables. Mais Marc Fesneau ne peut pas s'attribuer politiquement tous ces résultats car ils reposent essentiellement sur l'énergie des gens qui se sont investis dans la filière. Qui plus est, le rapport remis parla Cour des comptes en juillet dernier démontre que la France est loin d'être l'État européen qui aide le plus au développement de l'agriculture biologique. Nous sommes très loin de l'Italie qui soutient beaucoup plus fortement les conversions ainsi que l'aide au maintien. Donc non, aujourd'hui, le soutien à la filière bio n'est globalement pas satisfaisant.
L'impulsion politique manque singulièrement. On ne parle plus du bio dans les cantines à l'école… Et même les objectifs de 17 % de surface agricole utile en bio d'ici à 2027 ou de 25 % de farm to fork sont énoncés du bout des lèvres.
Mais plus que les aides ou de s'enorgueillir de tel ou tel bilan, nous avons besoin d'un signal politique beaucoup plus fort et tout simplement devoir et d'entendre que l'État soutient le bio. Ce que je n'entends ni de la bouche du président de la République, ni de ses ministres. Cela devient un non-sujet, en fait, et l'impulsion politique manque singulièrement. On ne parle plus du bio dans les cantines à l'école… Et même les objectifs de 17 % de surface agricole utile en bio d'ici à 2027 ou de 25 % de farm to fork à l'échelle européenne sont énoncés du bout des lèvres. Sous-entendu, c'est bien de se fixer des objectifs, maison ne les atteindra pas. Moi, ce que j'attends, c'est une volonté politique claire pour dire que le bio est la solution majeure pour transformer notre alimentation et répondre aux enjeux climatiques et de biodiversité.
La place n'a-t-elle pas été prise par des labels comme le HVE ?
P. De R.- Cette absence de discours, associée à la montée de ces labels qui s'inscrivent dans la continuité de l'agriculture raisonnée, vient brouiller les pistes - parce qu'évidemment le consommateur qui lit Haute Valeur environnementale se dit “c'est forcément bien” - et contribue à la fabrique du doute. S'il y avait un discours de soutien, ce serait vraiment très important pour l'ensemble des acteurs et pour la consommation en général.
Lors des dernières Assises de l'agriculture biologique, le ministre a indiqué avoir lancé une étude avec l'Agence Bio afin de dresser des pistes de relance. Vous y étiez ?
P. De R.- Oui. J'ai surtout entendu que ça n'avait pas l'air si urgent que ça. Beaucoup d'études ont déjà été faites et ce qui est nécessaire à court terme, c'est un soutien au même niveau que ce qui peut être déclenché pour le conventionnel. Nous avons besoin d'une vision volontariste. Si demain Monsieur Fesneau nous dit : “Je souhaite que 10 à 12 % de la consommation soit bio d'ici à cinq ans” , pas besoin d'études, on y va, on fonce et on construit un plan de conversion et un plan de communication pour stimuler la demande.
Quelle serait la mesure phare pour relancer le secteur et la consommation ?
P. De R.- Des actions de communication, mais aussi de l'incarnation pour défendre les avantages du bio, parler du lien entre bio et santé, bio et gourmand, bio et responsable… Des ambassadeurs, aussi, comme des cuisiniers de renom. On a vraiment besoin de relancer la consommation et de donner confiance.
De quel budget collectif disposez-vous pour communiquer ?
P. De R.- Quasiment rien. Et les interprofessions des filières ne consacrent qu'une part négligeable au bio. Mais c'est un sujet global. À un moment donné, accédons au moins à la proportionnalité des aides, ce qui n'est jamais le cas. 10 % de SAU devrait nous donner droit à 10 % des budgets publicité des interprofessions. Le million d'euros supplémentaire accordé récemment à l'Agence Bio ne suffira pas.
Vous dites « la bio », par opposition au bio, ce distinguo a-t-il encore du sens ?
P. De R.- Il en aura même de plus en plus. Le bio, c'est le cahier des charges, l'Eurofeuille, qui est le socle commun de l'ensemble. Mais qui laisse la possibilité à une forme d'industrialisation, de discount. La bio, c'est un projet de société : au-delà de vendre un produit avec un cahier des charges agronomique, on propose des produits locaux, équitables, qui garantissent aussi une bonne rémunération. Ce qui est, à mon avis, une logique de bon sens et qui correspond à ce qu'attendent les consommateurs quand ils viennent dans un magasin bio.
Un pragmatique engagé
« Une force tranquille ». C'est ainsi que l'un de ses proches collaborateurs qualifie Pierrick De Ronne, 41 ans, président depuis bientôt quatre ans du conseil d'administration de la première enseigne bio de France. Posé, calme, l'homme apparaît aussi comme très déterminé, convaincu de la pertinence des engagements de la coopérative, qui s'appuie sur la défense de « la » bio par opposition au bio, plus aseptisé, industriel, discount.
Les qualités de ce père de quatre filles, qui se définit lui-même comme un idéaliste pragmatique ? « J'aime l'écoute, mais je n'ai pas de difficulté à trancher si nécessaire. » Il n'a pas hésité à le faire, remerciant, six mois après son arrivée, le DG en place pour « manque d'alignement stratégique » et recrutant, coup sur coup, deux ex-dirigeants de Carrefour pour réorganiser des services centraux trop axés sur la croissance à son goût et pas assez sur la performance et l'optimisation des coûts.
« Ce qui me passionne, c'est la coopération, comment collectivement on contribue au développement. » Tout juste diplômé d'économie, il part au Cameroun gérer un hôpital. Et dès 2011, deux ans après avoir pris ses fonctions de gérant-salarié dans le magasin d'Annonay, il s'investit dans les commissions régionales de Biocoop avant d'entrer, en 2016, au conseil d'administration national.
Entre-temps, le diplômé du DU de management des Scop (société coopérative de production) de Dauphine n'a pas oublié ses affaires. La boutique d'Annonay et ses 3 employés s'est transformée en entreprise de 38 salariés qui exploite trois magasins pour 6 millions d'euros de CA. Pierrick De Ronne, qui y a investi en 2012, est aujourd'hui appuyé par deux cogérants, dont son frère Joseph, pour assurer la gestion de la structure. « Car président, c'est un job à plein temps », explique celui qui passe désormais deux ou trois jours par semaine à Paris.
Biocoop en chiffres
1,5 Mrd €* de CA en 2022, à - 6 %
762 magasins (+ 3)
Source : Biocoop
*Estimation LSA sur la base d’un CA 2021 de 1,6 Mrd €
45,5 % de part de marché chez les spécialistes du bio,+ 2 points
Source : Biocoop d’après Iri, CAD jan.-sept. 22
3 500 fermes 100 % bio parmi ses fournisseurs
80 % de produits origine France
34 % de l’offre en vrac
28 % de produits équitables
15 % de l’offre en local
Source : Biocoop, données 2021