[Edito] Plaidoyer pour l'inflation
Aux États-Unis, l’inflation pourrait atteindre 7,5 % sur un an. En France, elle se maintiendrait, selon l’Insee, entre 3 % et 3,5 % à fin juin. Cette situation s’explique par la reprise économique mondiale, la hausse des coûts des matières premières et agricoles, les tensions dans les transports ou les emballages et l’ajustement de la masse salariale. Il faut y ajouter, chez nous, des années de déflation pour les PGC et une loi, Egalim 2, trop complexe, qui ne sanctuarise qu’un maillon de la chaîne (le monde agricole) et qui arrive au pire moment. C’est pourquoi les fournisseurs réclament en moyenne 6 % de hausse de leurs tarifs. Ce qui ne reflète pas toujours l’intégralité de leurs coûts et surcoûts, obligeant certains d’entre eux à baisser leurs marges et parfois même à se mettre dans le rouge.
À quelques jours de la fin des négociations commerciales 2022, il paraît donc urgent de lancer cet appel à la responsabilité. Bien sûr, il n’est pas question pour les distributeurs d’accepter toutes les demandes les yeux fermés. Une trop forte inflation réduirait les investissements productifs et pénaliserait les ménages si leurs salaires ne sont pas indexés sur la hausse des prix. Les commerçants savent aussi qu’un bon positionnement prix préserve leur part de marché. Qui plus est, ils ont en face d’eux de nouveaux acteurs – notamment sur internet – qui n’ont pas les mêmes contraintes et ils redoutent cette « distorsion de concurrence ». Et, au passage, ils peuvent souligner que le commerce n’est pas le seul débouché du monde agricole, que la restauration représente tout autant et que l’export est un potentiel sous-exploité.
Malgré ces réserves, il existe pourtant des raisons d’accepter des hausses. D’abord, l’alimentation ne peut pas être la variable d’ajustement du pouvoir d’achat des Français : elle ne pèse qu’environ 15 % des dépenses des ménages. Ensuite, la « négo » doit jouer son rôle. Plus que le blocage sur le seul tarif, l’analyse volume/parts de marché peut éviter des conflits, puis des désillusions. Et il ne faut jamais oublier que les prix sont fixés « horizontalement » par le jeu entre les différents fournisseurs. Bien négocier à l’achat ne signifie donc pas mettre beaucoup de pression sur un industriel mais plutôt bien « organiser » la rivalité entre concurrents, en jouant par exemple la carte de l’innovation, de la valorisation et/ou de l’animation en magasin.
Enfin, chacun doit venir à la « table des négos » avec les bons indicateurs donnant les composants de l’inflation, tant en amont qu’en aval. C’est alors qu’il revient aux acheteurs d’être responsables et d’accorder les hausses légitimes et de rejeter celles dites de confort ou d’opportunités. Avec, qui plus est, cette différenciation qui doit s’imposer à tous en fonction des marchés, de la taille des entreprises, mais aussi et surtout de la localisation des usines et de la provenance des matières premières.
Et ce en préparant les mois à venir. En commençant par ne pas oublier l’indispensable obsession de la productivité et de la baisse des coûts. En rejetant, si possible, la solution étatique éculée du blocage ou du contrôle des prix. Et en travaillant déjà la clause de « révision automatique des prix », celle qui permet de renégocier plus tard en fonction des cours, et donc des coûts. Car, aujourd’hui, personne ne sait si l’inflation est structurelle ou simplement conjoncturelle.
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