Porc : pourquoi la crise de la filière s'éternise ?
L’Institut du porc (Ifip) tire la sonnette d’alarme. L’ensemble de la filière française porcine est en danger, avertit-il. Etat des lieux d'une crise qui dure et provoque déjà de nombreux dégâts…
Julie Delvallée
\ 18h16
Julie Delvallée
"Ce n’est pas un hasard si la filière porcine en est arrivée là, on tire la sonnette d’alarme depuis plus d’une décennie, mais les responsables restent sourds". Jacques Lemaitre, président de l’institut du porc, l’Ifip, ne mâche pas ses mots. Mi-févrer 2015, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, interpellait les enseignes de la grande distribution sur l’extrême fragilité de cette filière animale. Retour sur cette crise, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre…
Pourquoi la filière Porc se porte mal ?
Les professionnels du secteur citent principalement deux raisons. D’une part, la hausse des normes imposées par l’Europe et la France, concernant entre autres le bien être animal, a pesé sur les productions porcines, qui n’investissent pas assez et ne peuvent se moderniser dans le but de devenir compétitives sur la scène européenne. D’autre part, l’Ifip dénonce la guerre des prix bas où les produits porcins sont devenus "des produits d’appel", selon les mots de Jacques Lemaitre lors de la conférence de l'Ifip du 11 mars 2015.
Pourquoi la situation a empiré en 2014 ?
L’embargo russe, imposé par Vladimir Poutine au mois d’aout 2014, concerne plusieurs dizaine de milliers de tonnes de viande de porc français. Globalement, les producteurs et industriels ont réussi à compenser ces volumes en les vendant ailleurs… mais beaucoup moins cher.
Comment cette crise se manifeste-t-elle ?
Au niveau de la production, "le nombre d’élevages a été divisé par deux en dix ans", constate Michel Rieu, en charge du pôle économie à l’Ifip. La disparation s’est portée surtout sur les petits élevages, de moins de 150 truies. Pour autant, cela n'a pas bénéficié aux éleveurs les plus importants; eux peinent à se moderniser et le phénomène de concentration, vrai en Europe, s'applique moins sur le territoire français. Globalement, la production de porcs a baissé de 6 % en France sur ses sept dernières années.
Au niveau de l’industrie, le nombre d’abattoirs a diminué : citons par exemple la société Gad, qui a été reprise en partie par Intermarché en octobre 2014 mais a fait plus de 220 licenciements. Plus récemment, les abattoirs AIM a fait la Une des médias. Les pistes pour examiner la survie de son activité sont, à ce jour, encore à l'étude auprès du tribinal de commerce de Coutances (50); le sort des 590 salariés reste quant à lui incertain…
Au vu de la situation de la filière, en cruelle perte de vitesse, la consommation de porcs, qui se maintient en France, ne peut être assurée uniquement par la production dans l’Hexagone. Les importations sont de plus en plus fréquentes et représentent environ un tiers du porc sur le marché français, tous circuits confondus.
Et demain ?
Dans ce contexte, les prévisions sont bien évidemment pessimistes. Pour 2015, la production française devrait baisser encore de 1% quand la production européenne augmentera de 2 %. L’ifip se montre inquiet quant à l’avenir de la filière française dans une logique de prix toujours plus bas.
Quelles solutions envisager ?
L’export est une piste envisagée pour valoriser les produits porcins mais les pays à fort potentiel sont difficiles d’accès, compte tenu des multiples autorisations à obtenir. Les premiers Français à fouler le sol chinois avec des produits bleu-blanc-rouge commencent seulement à exporter, après des années de dur labeur pour coller aux exigeances administratives et sanitaires.
L’interprofession, tout comme le ministère de l'Agriculture, appellent les distributeurs à la rescousse de cette filière. Certains s’engagent et contractualisent avec des éleveurs, comme l’ont notamment fait Système U et Intermarché. Des marques, comme Bigard et Fleury Michon, tentent aussi de valoriser des gammes de produits de porcs bretons pour aider les éleveurs français, principalement concentrés dans cette région. « A ce jour, nous avons l’impression d’un terrible gachis. Nous avons fait un travail considérable pour assurer la traçabilité et offrir sur le marché un produit de qualité qui n’est pas valorisé à sa juste valeur », conclut Jacques Lemaitre.