Pourquoi les distributeurs créent leurs régies publicitaires

Carrefour, Casino, Auchan l’an passé et E. Leclerc qui teste secrètement une structure : les grands de la distribution créent leur propre régie publicitaire. Quel est l’intérêt pour les enseignes d’internaliser et de structurer la vente d’espaces publicitaires? Enquête.

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Pourquoi les distributeurs créent leurs régies publicitaires

Serait-ce la nouvelle machine à cash des distributeurs ? Auchan a inauguré en grande pompe, en juin 2016, Imediacenter, sa régie publicitaire, un nouveau business dans lequel le groupe s’aventure. Le nordiste rejoint ainsi Carrefour et Casino, qui ont déjà monté leur régie pub, en 2011. Hasard du calendrier ou pied de nez bien senti, Carrefour Media a affirmé, par le biais d’une conférence de presse organisée tout juste deux semaines avant l’annonce d’Auchan, la suprématie de sa régie en s’appuyant sur le directeur exécutif de Carrefour France, Noël Prioux, excusez du peu. Qui a martelé un objectif très clair, doubler le chiffre d’affaires (non communiqué) d’ici à 2019. En coulisses, E. Leclerc prépare également son arrivée. Selon nos informations, des tests sont actuellement menés par le Galec, le groupement d’achat des centres E. Leclerc, pour un déploiement prévu sur 15 magasins pour débuter. La structure, nommée Conso Régie, amorce une démarche qui devrait, en toute logique, être déployée à grande échelle par la suite. « L’enjeu pour nous est de pouvoir internaliser ce savoir-faire », reconnaît Michel-Édouard Leclerc, le PDG, interrogé par LSA. Il faut dire que la taille du gâteau à se partager est alléchante. Les investissements en communication des annonceurs sont évalués à près de 30 milliards d’euros. Dans cette masse, le hors-médias, c’est-à-dire les dispositifs publicitaires mis en place notamment en magasins, coupons, jeux concours et autres, représente 64%. Les investissements médias (radio, télé, presse) concentrent les 36% restants, selon l’Union des annonceurs (UDA).

Revenus additionnels

Les marques de produits de grande consommation (soit 80% des clients des régies pub des distributeurs) ne font pas exception avec deux tiers de leurs investissements en publicité destinés au hors-médias. Ces annonceurs s’avèrent précieux, car très dépensiers en termes de pub, Unilever et Procter & Gamble en tête.

Pour toutes ces raisons, les distributeurs avaient donc tout intérêt à se doter d’une machinerie bien huilée afin de structurer leurs ventes d’espaces publicitaires. Si ceux-ci restent plus que discrets sur les sommes générées par ces entités, leur potentiel est réel. « Il s’agit clairement de rechercher des revenus additionnels et de prendre des parts de marché. Mais aussi d’autofinancer un outil de communication en magasins », analyse un expert. Pour séduire leurs fournisseurs, qui sont également les principaux clients de ces régies, ces structures s’appuient toutes sur leur force commune : leurs magasins, les galeries marchandes et les parkings. « Les régies d’enseigne veulent valoriser leurs points de vente en tant que médias pour proposer aux marques une communication homogène tout au long du parcours d’achat », résume Romain Dublanche, directeur général d’in-Store Media France. Pour faire la démonstration de leur puissance, celles-ci vendent des supports et des dispositifs variés et dopent leurs équipements. Imediacenter (Auchan), qui réalise 20% de ses recettes grâce à du contenu diffusé sur écrans, prévoit d’équiper l’ensemble du parc, c’est-à-dire 121 hypermarchés et 67 galeries marchandes, d’ici à 2018. Soit 3 500 écrans installés en deux ans ! Même course à l’équipement pour Carrefour Média. Lui multiplie, en plus, le tirage de son magazine culinaire, Aux petits oignons, dans les points de vente – 350 000 exemplaires diffusés actuellement, le double à partir de mars 2017 – pour séduire des marques avides de travailler leur image. Carrefour Média vient en outre de signer un partenariat stratégique avec La Poste pour booster ses campagnes de mailing auprès des porteurs de cartes. D’autres, comme Franprix ou Monoprix, s’équipent de food-trucks et autres outils pour étendre le domaine des possibles en termes de communication.

En général, les enseignes défendent leur pré carré, s’agissant des dispositifs publicitaires à 360 degrés mêlant différentes actions pour une même marque et externalisent encore beaucoup auprès de spécialistes comme Catalina, Mediaperformances, HighCo Box ou encore in-Store Media pour les opérations spécifiques.

Des campagnes massives et finement ciblées

Deuxième force avancée par ces régies de distributeurs, elles détiennent une masse de données clients colossale grâce, notamment, aux tickets de caisse et aux porteurs de programme fidélité. Cette collecte vertigineuse de data leur permet de proposer à la fois une large communication, en tablant sur le trafic journalier de leurs points de vente respectifs, et en même temps des campagnes de communication ultraciblées : « Une marque spécialisée dans les jouets premier âge a souhaité se diversifier en ciblant des enfants plus grands. Avec une newsletter dédiée aux parents de ce public, invitant à venir retirer un cadeau en magasin, associée à des activités dans nos galeries marchandes et des coupons de réduction pour faire découvrir l’offre, le fournisseur, (qui n’a pas souhaité être nommé, NDLR) est parvenu à son objectif pour s’ancrer dans ce nouveau marché », avance Sandrine Clion, directrice d’Imediacenter (Auchan). « Les campagnes menées en 2015 montrent une hausse moyenne de 36,2% sur le volume des ventes pour les marques et de 34,8% sur leur chiffre d’affaires », renchérit Olivier Girard, directeur marketing client et data chez Auchan Retail International.

Autre enjeu stratégique, les enseignes voient dans leur régie un moyen de mieux structurer et professionnaliser leur audience : « Face à la montée de l’e-commerce et des acteurs du web, l’un des grands défis du commerce est de valoriser l’audience et de professionnaliser son pilotage, en démultipliant notamment les points de contact entre les magasins, les points relais, les drives et les sites internet », souligne ainsi Rodolphe Bonnasse, directeur général de CA Com. Conscientes de la portée de ces espaces publicitaires, et fortes d’une panoplie d’outils mise à disposition des annonceurs, ces régies de distributeurs se montrent très gourmandes : « Compte tenu de leur efficacité, les bannières publicitaires sur les sites de drive se vendent jusqu’à dix fois plus cher que le tarif moyen des éditeurs web traditionnels », compare Raphaël Hodin, directeur général de HighCo Box, sous régie digitale de Carrefour et Auchan, entre autres.

Ce qui justifie un tel écart ? L’argument des distributeurs est tout trouvé, elles représentent « la régie du dernier mètre », là où les achats sont déclenchés et où il faut absolument imposer sa préférence de marque. « 55% des innovations sont découvertes sur le lieu de vente et 68% des décisions d’achat s’effectuent sur le lieu de vente. Les marques ont donc tout intérêt à communiquer dans nos espaces », assure Béatrice Leroux-Barraux, directrice de la régie Carrefour Media. François in Albon, directeur marketing du groupe Bacardi-Martini, le confirme : « Nous menons des opérations en magasins pour recruter et fidéliser. Nos plans d’action sont optimisés avec ces régies, car nous avons la possibilité de cibler nos consommateurs ou les points de vente. »

Assouplir les liens enseignes-fournisseurs

Attention, toutefois, ce lien privilégié avec les clients offert par les régies de distributeurs pourrait demain être chamboulé par Google ou Facebook, qui sont les concurrents les plus directs de ces régies. Eux s’accaparent déjà près des trois quarts des recettes publicitaires dans le digital, qui ne pèse encore que 6% des investissements publicitaires des PGC (source : Kantar media). Pour se rendre incontournables auprès des annonceurs, ces géants du web multiplient les opérations séduction à destination des marques (voir LSA n°2402). Ils vantent le bénéfice de leurs campagnes finement ciblées et leur présence quotidienne au plus près du consommateur, plus d’une quinzaine de fois par jour, notamment via le mobile.

Des arguments louables, mais les régies de distributeurs revêtent un intérêt encore plus stratégique, sur lequel Google et Facebook ont peu, ou pas de prise : elles permettent d’assouplir les relations entre enseignes et industriels. Celles-ci sont en effet codifiées de façon très stricte dans le cadre de la Loi de modernisation de l’économie (LME) et imposent, entre autres, de définir, fin février, l’ensemble de la stratégie commune pour un an. Difficile, donc, de changer de fusil d’épaule en cours d’année si une innovation n’atteint pas les objectifs escomptés, ou si une campagne de communication mérite une vague supplémentaire au vu de son succès ou pour écouler les volumes invendus. Les régies interviennent alors, sur demande des marques, pour rectifier à la marge ces stratégies, puisqu’ici les industriels peuvent prévoir des plans de communication au moment de leur choix, comme dans n’importe quelle régie publicitaire.

Pour respecter le cadre législatif, les distributeurs ont créé des régies indépendantes, qui commercialisent des supports, offrant aux marques des bénéfices marketing et non des contreparties commerciales, négociées, quant à elles, dans le cadre du contrat de coopération commerciale. « Cette logique peut aller encore plus loin. En témoigne par exemple Asda, qui a sa propre chaîne en ligne financée par des marques annonceurs, pointe Raphaël Hodin. Ces formes hybrides préfigurent, à mon sens, le contour des nouveaux médias du XXIe siècle. »

LES RAISONS DE CET ENGOUEMENT

Les régies permettent de…

  • Structurer les achats d’espaces publicitaires pour proposer des dispositifs plus complets pour les annonceurs et plus rémunérateurs pour les enseignes.
  • Monétiser les données clients récoltées, entre autres, via les tickets de caisse.
  • Contourner la loi de modernisation de l’économie (LME) qui codifie strictement les échanges entre enseignes et industriels.
  • Valoriser la modernisation engagée des parcours clients en magasins.

Quel est l’intérêt d’une régie publicitaire pour un industriel ?

  • S’adresser à un interlocuteur unique, afin de monter plus facilement des dispositifs complets.
  • S’appuyer sur les données clients des enseignes pour lancer des campagnes ciblées.
  • Obtenir des retours directs sur les ventes générées suite à un dispositif publicitaire, des KPI extrêmement précieux.
  • Ajuster des plans de communication et donc réviser à la marge la stratégie marketing en dehors du cadre des négociations commerciales.

Et pour un distributeur ?

  • Monétiser ses données clients auprès des industriels.
  • Travailler avec les fournisseurs en dehors du cadre des « négos ».
  • Renouveler l’intérêt du magasin qui devient un média.
  • Générer des recettes supplémentaires.

Que vendent ces régies publicitaires ?

  • Du display, c’est-à-dire des bandeaux ou dispositifs digitaux sur les différents sites des distributeurs.
  • De l’événementiel dans les galeries marchandes et sur les parkings.
  • Du contenu sur écrans, que ce soit dans les galeries marchandes ou en magasins.
  • Du couponing ou CRM, en dehors des promotions déjà prévues dans le cadre des accords commerciaux.

LE HORS-MÉDIA TIRE LA CROISSANCE DES INVESTISSEMENTS PUBLICITAIRES

CARREFOUR MEDIA, LA RÉGIE PUBLICITAIRE LA PLUS ABOUTIE

Née en 2011, Carrefour Media est une entité juridique autonome pilotée par Béatrice Leroux-Barraux. Cette ancienne de TF1 Publicité chapeaute les opérations de visibilité en affichage, sur les supports papier (encarts dans les prospectus ou sur le magazine culinaire « Aux petits oignons », édité par Carrefour et distribué à près de 700 000 exemplaires à compter de mars 2017), les campagnes média ciblées CRM (emails, échantillonnage) et les événements en magasin. Noël Prioux, directeur exécutif de Carrefour France, projette de doubler le chiffre d’affaires de cette activité, dont il tait le résultat, d’ici 2019. Preuve, s’il en était besoin, de l’ambition stratégique que constitue cette régie.

IMEDIACENTER, LA NOUVELLE ENTITÉ D’AUCHAN

Dernière arrivée parmi les régies publicitaires des distributeurs, Imediacenter a été inaugurée en grande pompe par Auchan en 2016. Détenue à 60% par Auchan Retail France et à 40% par Immochan, cette filiale d’Auchan Holding est dirigée par Sandrine Clion. Cette ex-Immochan, qui a oeuvré à la promotion, la communication, et l’animation commerciale de la foncière du groupe nordiste, a porté le projet. Depuis son lancement, le 9 juin 2016, Imediacenter assure avoir réalisé plus de 500 campagnes réparties sur le web (50%), l’événementiel (30%) et les écrans (20%).

BIENTÔT UNE RÉGIE PUBLICITAIRE CHEZ E. LECLERC ?

Si Michel-Édouard Leclerc confirme à LSA l’existence d’une régie, le groupe reste encore discret sur le dossier. Selon nos informations, l’entité, baptisée Régie Conso, serait actuellement en test au sein du Galec, le groupement d’achat des centres E. Leclerc. Arnaud Kopf, spécialisé à la fois dans la création de régie publicitaire et dans le secteur de la grande distribution chez AK Consulting, piloterait ce projet, qui concernerait, pour l’instant, quinze magasins.

 

En chiffres

  • 88% : le pourcentage de distributeurs qui digitalisent leurs points de vente avec pour objectif de mieux mettre en avant leurs produits

Source : Baromètre smart retail Samsung-LSA

« Les magasins sont de plus en plus serviciels, ils constituent donc un écrin de choix pour les publicités des marques, d’autant que 68% des décisions d’achats sont finalisées sur le lieu de vente. »

Béatrice Leroux-Barraux, directrice régie Publicité chez Carrefour Media.

« Depuis la naissance d’Imediacenter, en juin 2016, notre volume d’affaires de recettes publicitaires a bondi de 45%. Nous proposons des dispositifs ciblés, complets, avec des retours chiffrés sur les ventes générées, ce qui permet aux annonceurs d’avoir des investissements publicitaires beaucoup plus maîtrisés. »

Sandrine Clion, directrice de la régie Imediacenter

« Ces régies du dernier mètre vendent jusqu’à dix fois plus cher les bannières publicitaires sur les sites de drive que le tarif moyen des éditeurs web traditionnels . C’est une valorisation pertinente pour les distributeurs. »

Raphaël Hodin, directeur général de HighCo Box

« Carrefour Media est un dispositif complémentaire à nos plans publicitaires et promotionnels. Il nous permet d’harmoniser la qualité d’exécution en point de vente et d’optimiser nos plans d’action en ciblant des consommateurs ou des points de vente. »

François in albon, directeur marketing client Europe du Sud chez Bacardi-Martini

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