Quel discount? [Edito]
Le hard-discounter russe Mere pourrait prochainement ouvrir son premier magasin en France. Action débarque à Paris avec sa 600e unité dans l’Hexagone. Supeco inaugure son 10e magasin, à Rumilly (74). Lidl et E. Leclerc ne cessent de gagner des parts de marché. Aldi pose, à marche forcée, son nom sur les anciens Leader Price. Sans oublier les premiers prix des grandes enseignes, comme Prix mini chez Système U. Autant d’informations qui doivent quelque peu étonner ceux qui ne jurent que par l’inflation ou, plus pudiquement, par la « valorisation » et qui se complaisent dans la critique systématique du discount.
Ce fameux prix bas est accusé de tous les maux. Il serait responsable des difficultés de l’agriculture et de l’industrie françaises et participerait à l’essor de la malbouffe. Ce haro contre la baisse des étiquettes paraît excessif. D’abord, ignorer ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois est une grave erreur. Ensuite, au-delà de quelques « niches », le rôle des distributeurs n’est pas de vendre de plus en plus cher. L’État finirait par le leur reprocher en brandissant l’étendard du pouvoir d’achat de ses chers électeurs. Quant à l’inflation, elle existe déjà via l’arrivée d’innovations toujours plus coûteuses (souvent à juste titre).
Mais peut-on tout faire au nom du discount ? Certainement pas ! Le low cost ne doit pas être une jungle. En France, la vente à perte est interdite et les prix abusivement bas et ceux dits prédateurs constituent une pratique anticoncurrentielle. Ensuite, le discount ne signifie pas casser tous les prix, mais être le mieux placé par catégorie de produits ou avec une référence par segment. Il convient aussi de ne pas tout mettre sous le même vocable. Il existe clairement des différences entre le hard, le soft et le simple discount. Et ce n’est pas un hasard si Lidl ne veut plus être catalogué dans la première catégorie, bannit les codes des casseurs de prix (lumière blafarde, racks, palettes, etc.) et vante ses accords tripartites avec des agriculteurs français. La bataille du discount se joue sur ce terrain. Des industriels pestent depuis longtemps contre les achats parallèles effectués bien loin de France à des prix défiant toute concurrence. Mais il y a aussi la question de la qualité des produits. Car la visite de quelques points de vente Mere en Allemagne rappelle la réalité de ces magasins : des prix bas, certes, mais aussi une qualité parfois douteuse, un étiquetage énigmatique et des provenances pour le moins étranges.
En France, la montée en gamme ou l’embourgeoisement de distributeurs (parfois cela revient au même) nous a un peu fait oublier ce débat des années 80 opposant les magasins des riches à ceux des pauvres. Laissant ainsi de la place à des puristes du hard-discount comme Action (dont l’alimentaire n’est pas le point fort) ou peut-être demain Mere (avec un assortiment non stable à base de stocks achetés après des faillites ou grâce à des « coups »). Pour les contrer, « casser » les prix d’achat n’est pas l’unique solution. Des distributeurs peuvent aussi optimiser leurs coûts d’exploitation pour baisser les prix de vente sans toucher aux marges. Ou tout simplement décider de ne pas se lancer dans cette surenchère dévastatrice. Voilà pourquoi ce plaidoyer n’est pas en faveur d’un discount pur et dur mais pour un discount responsable.
ypuget@lsa.fr @pugetyves