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Le président de la FNSEA a magistralement orchestré la journée de mobilisation des paysans à Paris. L'effet a été spectaculaire, et les Parisiens n'ont pas boudé malgré la gêne que la manifestation a provoqué pour la circulation. C'est une réussite. Rien à voir avec ce qui s'est passé récemment pour les taxis, qui ont été immédiatement "flingués" sur les réseaux sociaux. Doué, Xavier Beulin l'est assurément. Il a rendu service au gouvernement pour qui le pire a été le mouvement des bonnets rouges, totalement incontrôlable, à l'occasion de l'écotaxe et des licenciements massifs dans les filières viandes, Gad ou Doux. Sans Beulin, à coup sûr, les manifestations peuvent dégénérer. Lors des actions de cet été, quelques supermarchés en ont fait l'expérience.
L'homme est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Il a dû reprendre l'"exploitation familiale, vers 17-18 ans, quand son père est mort brutalement. Il évite d'en parler tant la plaie est encore vive. Il a dû stopper ses études, faire appel à la solidarité des céréaliers du coin, ce qui l'a rapidement amené à entrer à la FNSEA. C'est le syndicat agricole qui a assuré sa formation. On ne peut pas contester sa fibre solidaire, même si son parcours l'a poussé bien au-delà du simple parcours syndicaliste qui l'aurait mené à la présidence de la FNSEA. Son élection a même été une surprise.
Premier président céréalier
Certes, Xavier Beulin faisait partie des dirigeants du syndicat depuis longtemps, mais jamais un céréalier n'avait pu, ou voulu, en prendre la présidence. C'était toujours, jusqu'alors, un éleveur. Soit pour mettre en avant la filière la plus pauvre, soit parce qu'elle représentait aussi la majorité en nombre d'exploitants. Son prédécesseur, Jean-Michel Lemétayer, décédé depuis, n'avait pas soutenu la candidature de Xavier Beulin. Il préférait un autre éleveur, de l'Aveyron, Dominique Barrau, actuel secrétaire général. Mais c'est Xavier Beulin qui l'a emporté. Ses capacités à obtenir plus face aux pouvoirs publics ont fait pencher la balance en sa faveur.
Mais pour autant, il n'est pas populaire auprès de tous les paysans. Lorsqu'il a pris la parole, hier, pour détailler les mesures annoncées par Manuel Valls, certains l'ont hué, comme ils ont hué aussi le ministre de l'Agriculture. Car chacun le sait. Le problème d'un céréalier, même souffrant de la forte volatilité des cours mondiaux, n'est pas le même que celui d'un producteur laitier qui livre à Lactalis ou à Sodiaal. Pis, c'est le céréalier qui fait le prix de l'alimentation animale, laquelle entre dans les coûts de production des éleveurs. Et Xavier Beulin a bien tenté de mettre sur pied une solidarité de filière, il n'y est pas parvenu. Les céréaliers n'en ont pas voulu, et le gouvernement n'a pas voulu créer une nouvelle taxe qui aurait permis la péréquation des revenus.
Le groupe Avril
Chez les céréaliers aussi, certains lui en veulent beaucoup d'avoir accepté que les aides à la production soient pour partie réorientées vers la filière animale, au détriment de la filière végétale. Il n'est pas si facile d'être président d'un syndicat agricole aussi varié, fait de petits exploitants comme de très gros, de chefs d'entreprises et de gagne-petit. Enfin, la force du président de la FNSEA vient de sa vision économique. Il est à la tête du groupe Avril, un géant qui pèse près de 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, présent dans la chimie verte, le biodiesel, l'éthanol, les huiles (notamment avec la marque Lesieur) et l'alimentation animale, avec sa filiale Sanders, ou encore l'abattage de porcs. Avril détient aussi un fonds d'investissement, présent dans de nombreuses entreprises agroalimentaires, dont le volailler LDC, et qui va prendre une participation minoritaire dans Doux. Bref, son agenda contient plus de conseils d'administration ou de syndicalisme, que de temps passé sur l'exploitation agricole !
Politiquement, c'est un européen convaincu. Il ne rate jamais, lors de ses conférences de presse, de combattre les extrêmes, le FN, qui veut fermer les frontières, ou les activistes de l'écologie, qui ont imposé le retour du loup dans les campagnes. Apparemment, la compagnie de François Hollande ne lui déplaît pas : il était le très sélect invité pour l'anniversaire de la création du groupe Avril. Il apprécie beaucoup Emmanuel Macron, qui aurait été l'un des conseillers de Sofiprotéol quand il était banquier, selon la rumeur. Mais il n'a jamais livré sa préférence politique. Son syndicat, lui, est clairement marqué à droite.
"Les opposants au syndicat"
Même s'il prétend n'avoir pas oublié d'où il vient, le monde paysan ne lui pardonne probablement pas sa réussite. "Mais attendez je vis comme les paysans que je défends. Les mêmes difficultés, les mêmes contraintes et puis surtout je vis de manière vraiment charnelle l’avenir de ce monde agricole », a répondu Xavier Beulin, interrogé le 3 septembre sur BFM Business. Il justifie les sifflements lors de son discours, place de la Nation, par la présence d’opposants au syndicat, « de mouvement révolutionnaires, anarchiques » et puis de « quelques jeunes agriculteurs qui sont vraiment dans l’exaspération, la souffrance, le désespoir qui attendaient peut-être beaucoup plus que ce qui a été annoncé ». A la question d’une éventuelle démission, il répond : « Si l’on estime que le président de la FNSEA n’est pas assez représentatif, il quitte son poste, terminé". Encore faudrait-il lui trouver un successeur. Et il ne sera probablement pas si facile de trouver un personnage de la même envergure.