Serge Papin, l'homme qui murmure à l'oreille des agriculteurs

Rarement le choix d’un lauréat se sera aussi naturellement imposé que cette année. À 62 ans, Serge Papin, le patron de Système U, qui a prévu de passer la main en mai prochain, après douze ans de présidence, termine une année 2017 particulièrement riche.

La coopérative, qui sortait d’un mariage avorté avec Auchan, finalement réduit aux achats, a retrouvé du tonus. Le groupement va terminer l’année à plus de 10,5 % de part de marché alimentaire, en progression de 0,1 à 0,2 point sur un an, et à 19,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires hors essence (+ 1 %). 3,5 points et 4,5 milliards de chiffre d’affaires de plus qu’en 2005, quand Serge Papin a accédé à la présidence. « Docks de France, E. Leclerc, Auchan… À chaque fois, nous n’avons pas pu nous marier, mais à chaque fois nous en sommes sortis plus forts », observe-t-il. Pour Emmanuel Vasseneix, patron de LSDH, un partenaire industriel majeur de Système U, ces résultats sont une réponse cinglante à ceux qui jugent trop gentil, voir naïf, le numéro un des « U » : « Il a des résultats, des convictions, une vision et il a su entraîner son groupement dans une direction différente, plus constructive avec les PME et les agriculteurs, qui porte ses fruits. »

Un homme de com’

Jean-Claude Jaunait, l’un des présidents emblématique des U qui leur a fait prendre des virages décisifs, aura eu le nez creux en repérant le jeune homme lors d’une formation à la chambre de commerce où il faisait passer des entretiens d’embauche factices. Celui de Serge Papin ne le sera pas. « Au moment de conclure, Jean-Claude m’a proposé de le rejoindre pour de vrai », se souvient-il. L’homme n’aime pas les études, mais ses parents sont des épiciers, membres du groupement, et il connaît déjà la musique pour avoir été… manutentionnaire dans un Intermarché voisin. Surtout, il a l’énergie et le bagout nécessaire.

Le voilà parti avec sa 2 CV – « ça les arrangeait, elle ne coûtait pas cher en essence », rigole-t-il –, évangéliser les campagnes de l’Ouest comme promoteur des ventes. Installations, agrandissements, facing, démontages d’enseignes… Il fait ses classes à l’école du terrain. Et il aime ça. Il prend des magasins. D’abord un Unico de 300 m², mais il ira jusqu’à un Hyper U de 4 000 m². Il en confie vite les clés à des directeurs. Car son truc, c’est la vie collective, la centrale.

En 1981, Serge Papin crée le service communication de Système U Ouest. La com’ sera l’un de ses grands chantiers chez les U, celui avec lequel il va s’imposer. À peine nommé président, il va pousser l’enseigne à être la première à faire de la pub télé en France. Elle le sera, le 1er janvier 2006. Et l’une de ses plus grandes fiertés aura été « le travail accompli pour valoriser la marque, ma priorité avec la refonte de l’organisation ».

À chaque étape, Jean-Claude Jaunait veillera sur son protégé. Il le relance dans la course aux responsabilités quand il revient chez les U, après avoir claqué la porte à la fin des années 90 pour rejoindre Fleury Michon, séduit par un autre mentor exceptionnel, Yves Gonnord. Envie de changer d’air, désaccord avec la ligne d’alors qui penchait pour une fusion avec E. Leclerc, conflit de pouvoir… On n’en saura pas plus, mais cette rupture est révélatrice d’un homme plus complexe qu’il n’y paraît. Décrit comme bouillonnant d’idées, visionnaire, mais aussi impatient, brouillon parfois, c’est plus un meneur d’hommes qu’un gestionnaire.

« Il sait convaincre, confirme Emmanuel Vasseneix. Je l’ai vu retourner une salle de plusieurs centaines d’agriculteurs hostiles au moment où on a lancé notre projet avec Biolait. Il sait écouter aussi. Il utilise souvent un mot très fort pour un distributeur : expérimentons. » Autre expression qu’il affectionne, selon Dominique Schelcher, patron de la région Est et vice-président des U, pressenti pour lui succéder, c’est « conjuguons les paradoxes, ce qu’il a réussi à faire en menant la réforme institutionnelle de l’an dernier qui nous met en ordre de marche pour l’avenir ». Réforme qui s’est accompagnée d’une indispensable mutualisation – le mot pudique pour centralisation – des outils collectifs (informatique, logistique…) du groupement. Là aussi, un sacré chantier à mettre à son actif.

On le dit aussi un peu « bobo », depuis qu’il a rejoint le microcosme parisien du Quartier latin et qu’il s’est entiché d’intellectuels, d’éditeurs, de journalistes… C’est vrai qu’il a adopté certains codes du milieu, vestimentaires notamment : il est plus baskets et jean que costume et il a renoncé depuis belle lurette à la cravate. Il est nature, quoi, Serge. Il tutoie aussi assez vite, mais moins que son frère ennemi, Michel-Édouard Leclerc. Entre les deux, l’idylle n’aura pas duré longtemps. « Serge n’a pas aimé le côté donneur de leçons et de conseils de MEL », indique un proche. Résultat, ils ne se voient plus, ils se croisent à distance lors des grands raouts officiels et s’envoient régulièrement des piques. Une marque d’indépendance qui, là aussi, n’était pas pour déplaire aux U. Et plaire, Serge Papin, il aime.

En dates

• 1955 Naissance à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, en Vendée
• 1975 BEP de commerce
• 1976 Promoteur des ventes Unico à la centrale Loire-Atlantique, devenue Système U Ouest
• 1997 Vice-président de Système U Ouest et responsable du comité d’enseigne du groupe
• 1998 Démissionne du groupe Système U
• 1999 Réintégration au conseil d’administration de la centrale de Système U Ouest
• 2003 Vice-président de Système U chargé de l’animation des réseaux et des hommes
• 2005 PDG du groupe Système U

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