Un monopole officinal assiégé [Tribune]
En France, les officines disposent d’un monopole sur la distribution des médicaments, qu’ils soient remboursables ou non, prescrits ou non. Les dispositions du Code de la santé publique, qui encadrent la distribution des médicaments, ressemblent toutefois à un bastion assiégé - sur le point de céder ? L’avis de Nicolas Lévêque, avocat au Barreau de Paris.
Premier coup de boutoir : l’engouement des français pour l’automédication.
Le développement de l’automédication est manifestement en train de changer la donne sur le marché de la distribution des médicaments sans ordonnance (encore appelés « OTC » : over the counter ou devant le comptoir) et des « produits frontières » (tests de grossesse ou de glycémie, objets de pansements, entretien des lentilles de contact, etc.).
Sur ce marché en croissance, où la fixation du prix est libre, les pouvoirs publics tentent d’encourager – en vain à ce jour - une plus forte concurrence entre les officines ; il s’agit en effet de produits à forte marge (autour de 35% !), qui aiguisent depuis plusieurs années l’appétit des parapharmacies, théoriquement exclues de ce marché prometteur.
Sous l’impulsion de l’Autorité de la concurrence (Adlc), le paysage a récemment évolué à la faveur de la loi Consommation (dite « Hamon ») du 17 mars 2014, qui a ouvert à la concurrence les produits destinés à l’entretien des lentilles de contact, ainsi que les tests d’ovulation et de grossesse. Sur ce segment de marché, la promotion de la concurrence permettrait de faire baisser les prix, qui ont sensiblement augmenté ces dernières années. L’Adlc, en pointe sur la question de la distribution des médicaments, préconise dans ses derniers avis de s’inspirer de l’expérience italienne, où la vente de médicaments d’automédication, vendus sans ordonnance, est autorisée en dehors des pharmacies, et en particulier dans les parapharmacies et GMS depuis 2006, sous le contrôle d’un diplômé en pharmacie. En somme, le monopole officinal a été assoupli, tandis que demeure le monopole pharmaceutique.
Une telle réforme serait sans nul doute de nature à satisfaire les GMS qui entendent développer leur réseau de parapharmacies, dans un contexte de baisse des prix. Attendue sur ce sujet, la loi « Macron » pour la Croissance du 6 août 2015 n’a pourtant pas bousculé le monopole officinal. En attendant « Macron II » ?
Second coup de boutoir : la vente en ligne.
La possibilité de vendre en ligne les médicaments d’automédication a été ouverte aux – seuls - pharmaciens détenteurs d’une officine à l’été 2013, à la faveur de la transposition en France d’une directive du 8 juin 2011. Les pure players demeurent exclus du dispositif.
Théoriquement, les médicaments ayant vocation à être commercialisés sur Internet en France comprennent désormais l’ensemble des médicaments non soumis à une prescription médicale obligatoire.
Un arrêté du 20 mars 2013, relatif aux bonnes pratiques en la matière, autorise la vente sur le même site Internet de médicaments et de produits de parapharmacie, déjà présents dans l’officine. Seule contrainte : identifier par un onglet une page spécialement dédiée aux médicaments.
L’activité de vente en ligne des médicaments reste toutefois très limitée en France, en raison d’un contexte juridique particulièrement confus. En atteste la récente annulation en mars 2015 par le Conseil d’Etat de l’arrêté du 20 mars 2013…
Deux projets d’arrêtés concernant le commerce électronique de médicaments ont été préparés depuis par le Gouvernement. Or, l’Adlc vient d’émettre un avis défavorable sur ces projets d’arrêtés qui lui ont été soumis (avis du 26 avril 2016). L’Autorité déplore « le régime excessivement lourd et contraignant qu’instaurent les bonnes pratiques », qui limitent fortement pour les titulaires d’officine la possibilité de développer leur activité de vente en ligne et de concurrencer efficacement les sites situés dans d’autres Etats membres de l’Union.
Le cadre juridique du commerce électronique des médicaments, pourtant limité aux seuls pharmaciens d’officine à ce jour, demeure donc fort incertain en l’état.
Nicolas Lévêque, avocat au Barreau de Paris