Un panier anti-inflation dans l’impasse [Edito]
Le panier anti-inflation subira-t-il le même sort que le chèque anti-inflation ? Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, qui a reçu lundi 20 février au matin quelques distributeurs à Bercy, aurait donné jusqu’au 15 mars pour que le verdict tombe. Certains croient fortement à l’intérêt de cette mesure et assurent que Bercy et les grandes enseignes alimentaires trouveront un terrain d’entente. D’autres affirment que tel ne sera pas le cas et que le gouvernement passera en force en imposant ce panier à tous, notamment via la publication d’un arrêté (une usine à gaz… avec peu de pénalités en cas de non-respect). Et puis, il y a ceux qui pensent que cette idée tombera aux oubliettes, comme feu le chèque anti-inflation, annoncé maintes fois à la sortie de la crise Covid, sans cesse reporté et finalement abandonné sans tambours ni trompettes. Et il est vrai que ces deux idées souffrent des mêmes maux. Le premier est de vouloir tout faire en même temps. De croire qu’il est possible d’aider les Français à acheter moins cher tout en leur disant de ne choisir que des produits sains et made in France. Dit plus crûment : « Tu n’arrives pas à boucler tes fins de mois… fais tes courses dans un magasin bio et achète des produits Label Rouge ! »
L’autre difficulté de cette « démagogie technocratique », de ce « coup de com’ » ou de ce retour à l’économie administrée réside aussi dans son nom : ce n’est clairement pas un panier, mais une liste de produits. Et quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup... De plus, comment définir le nombre de catégories de produits (ça, c’est encore assez simple), mais surtout le nombre de références ? Peu, ce n’est pas crédible, trop, c’est illisible. Et comme chaque enseigne sera libre d’établir sa liste comme bon lui semble, la comparaison va s’avérer quelque peu complexe pour les consommateurs qui voudront s’amuser à ce petit jeu.
Enfin, avec ce panier, Bercy, qui veut s’acheter une bonne conscience, installe tout simplement le ring de boxe pour la guerre des prix. Il dit aux distributeurs : « Voici le lieu du combat et maintenant allez-y ! » Pas sûr que les industriels concernés apprécient d’être ainsi pris en otage. Dans un premier temps, ils y verront des volumes additionnels, puis des ruptures éventuelles à gérer et enfin de la destruction de valeur ou une dégradation de leur image prix. Avec, bien évidemment, la question des marges et de la durée de cet éventuel blocage des prix : combien de temps ? Qui va vérifier ?... C’est pourquoi certains préfèreraient que seules les MDD soient concernées… Et, nec plus ultra, qui peut affirmer que les enseignes ne feront pas de la péréquation de marge sur d’autres produits dont ils augmenteront les prix. Il s’agirait alors d’un panier… percé. Et des distributeurs qui, n’étant pas favorables à la future loi Descrozaille sur les négociations commerciales, traînent bien évidemment les pieds pour se lancer dans cet exercice imposé du prix bas alors qu’ils estiment que ce futur texte législatif sera inflationniste (des amendements sont toujours possibles…). Ils clament, à juste titre, qu’ils n’ont pas attendu le gouvernement pour comprendre que les Français réclament du discount et ont tous sorti des campagnes sur ce thème. Ils critiquent donc plus la méthode que l’idée d’un panier, que certains proposent déjà ! D’autant plus qu’ils savent que l’inflation ne va pas se calmer dans les prochains mois, et que les rayons frais traditionnels (fruits et légumes, viande, marée…) notamment risquent de souffrir drastiquement des arbitrages des consommateurs au profit, par exemple, des conserves. Ce qui, à terme, pourrait, générer de la surproduction agricole (tout dépendra de la météo) et, in fine, un grand besoin non pas d’un panier anti-inflation mais des bons vieux outils promotionnels pour écouler les stocks…
Ce panier, qui a visiblement du mal à se constituer, pourrait donc rester dans les tiroirs de Bercy, qui s’est enfermé lui-même dans cette situation. Au petit jeu des mauvaises idées, certains évoquent même l’idée de toucher à la TVA sur quelques produits pendant plusieurs semaines (sans le moindre chiffre du coût pour l’Etat). Mais, là aussi, casse-tête en perspective pour choisir les produits concernés ! Faut-il supprimer la TVA sur toutes les pâtes (249 références en hypers !), même celles dites de spécialités, ou simplement sur les spaghettis ou les coquillettes ? Faut-il baisser la TVA sur tous les fruits et légumes ? Même ceux qui ne sont pas de saison ou ceux qui sont importés ?
On le voit, le paradis des idées est lui aussi pavé de bonnes intentions alors que l’enfer du terrain ramène bien souvent à la triste réalité des choses et à la complexité de cette activité du commerce alimentaire, avec son très grand nombre de références, d’acteurs, de contraintes et de contradictions. Et ceux qui connaissent mieux le carrelage et les clients sont justement les professionnels de ces métiers. Le rôle de l’Etat, n’est-il pas plus de soutenir les acteurs économiques (moins de taxes, d’impôts, de nouvelles réglementations) plutôt que de leur faire perdre du temps avec des idées qui feront pschitt ? Car qu’il se fasse ou non, ce panier ne changera en rien le quotidien des Français. C’est pourquoi il serait judicieux de la part de Bercy de s’assurer, avec insistance, pour ne pas dire pression, des mesures prises par les distributeurs pour accompagner les Français dans cette passe difficile (s’appuyer sur les bienfaits de la concurrence et l’imagination commerciale des enseignes), plutôt que de jouer au « commerçant » et d’ajouter de la complexité à la complexité.
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