Ventes de lunettes sur internet : les ophtalmos en appellent au Premier ministre
Le syndicat des ophtalmologistes interpelle le Premier ministre pour qu’il empêche l’adoption, prévue lundi soir, d’un article de la loi Hamon facilitant la vente de lunettes et lentilles sur internet. La bataille des lobbies fait rage, entre opticiens et vendeurs en ligne.
Sylvain AUBRIL
\ 14h29
Sylvain AUBRIL
On ne devait parler que de l’action de groupe, adoptée par la loi Hamon qui devrait être votée en seconde lecture par l’Assemblée nationale la semaine prochaine. C’est finalement un amendement surprise consistant à faciliter la vente de lunettes et de lentilles sur internet qui risque de faire l’actualité. Dans un courrier adressé au Premier ministre, le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) monte au créneau et « rappelle son inquiétude concernant les conséquences probables sur la santé des Français de l’adoption de mesures concernant », à savoir l’allongement de la durée de validité des prescriptions délivrant des lunettes de vue, et l’encadrement de la vente de lentilles, « qui semble prendre aujourd’hui la voie d’une délivrance autorisée en l’absence d’une ordonnance ».
Le syndicat estime par ailleurs que l’adoption d’amendements imposant l’inscription de l’écart pupillaire sur les ordonnances que les ophtalmologistes fournissent à leurs patients les conduirait à s’inscrire dans une chaîne de responsabilité qui relève des seuls opticiens. C’est un des amendements qui sera discuté lundi, à l’Assemblée nationale. En contraignant les ophtalmologistes à indiquer l’écart pupillaire, la future loi permettra aux patients de connaître la principale mesure nécessaire pour acheter leurs lunettes et leurs lentilles sur internet. La future loi prévoit également l’obligation de disposer d’une ordonnance, mais une fois celle-ci obtenue, le patient pourra acheter des lunettes sur internet autant de fois qu’il voudra pendant trois ans. Enfin, pour couronner le tout, le détenteur d’une boutique d’optique ne sera plus nécessairement un opticien, comme dans le cas des pharmacies. Il suffira que le magasin dispose d’un salarié diplômé, à l'instar des parapharmacies.
1 milliard d'économies ?
Benoît Hamon a vigoureusement défendu ces mesures, indiquant qu’elles permettront de « faire baisser les prix des lunettes de 30 à 40 % » et aux Français d’économiser « 1 milliard d’euros ». Les opticiens ont réagi. Didier Papaz, président du groupement Optic 2000 dénonce une mesure qui va aboutir à la destruction de 16 000 emplois, le secteur réalisant au total 6 milliards d’euros pour 100 000 emplois. Le président d’Atol est également monté au créneau sur France 2. A l’inverse, Marc Simoncini, ex fondateur de Meetic et créateur d’un site de vente en ligne de lunettes, Sensee, vient en revanche au secours du ministre de la Consommation, dans le Figaro. Il dénonce, à la suite du rapport de la Cour des comptes et de l’UFC-Que Choisir, le fait que le seul moyen pour les opticiens de faire grimper leur chiffre d’affaires est « d’ouvrir des boutiques et de vendre plus cher. Plus il y a de concurrence, plus les prix augmentent ».
Leclerc est pour l’instant absent du débat - Michel Edouard Leclerc est à la bataille sur les hausses de la TVA, et sur celle des prix via les articles relatifs aux négociations commerciales, également au programme de la loi Hamon. Mais si les amendements sont votés, nul doute qu’il sera à l’offensive pour la vente de lunettes sur internet, voire dans les magasins. D'autant qu'il garde l'oeil ouvert sur le marché, au point d'avoir acquis deux sites de ventes dédiées aux lentilles et lancé un site marchand en octobre optiqueleclerc.com. Les six milliards de chiffre d’affaires de l'optique et le prometeur marché de la santé ne pouvaient le laisser indifférent, et plus encore s’il apparaît au bénéfice d’une population qui serait écartée du port de lunettes en raison de leur prix ou de leur faible pouvoir d’achat. D’ici lundi, la bataille va donc s’exacerber.
Le président du SNOF, le Dr Jean-Bernard Rottier, semble accroire qu’il pourrait y avoir une divergence d’opinion entre le Premier ministre et le ministre de la Consommation. « Nous comprenons que ces positions entrent en conflit avec les orientations que votre gouvernement et certains députés souhaitent prendre en matière de libéralisation des marchés liés à la distribution des lunettes et des lentilles de contact. Pour cette raisons, je sollicite de votre part un rendez-vous en urgence afin de vous exposer le point de vue de notre profession, et ceci afin que vous puissiez arbitrer en parfaite connaissance de cause entre des orientations clairement contradictoires ». Que va-t-il se passer ? Jean-Marc Ayrault va-t-il à nouveau arbitrer en défaveur de Bercy, comme lors de la douloureuse passe d’armes sur la fiscalité ? Où va-t-il laisser le sujet à l’arbitrage de l’Assemblée nationale, puis du Sénat ? Réponse en début de semaine prochaine.