Vers une stagflation? [Edito]
Les industriels espèrent de l’inflation et les distributeurs de la déflation. Mais il se peut qu’ils n’obtiennent ni l’un ni l’autre et qu’ils subissent de la stagflation. Cette situation économique se caractérise d’abord par des hausses de prix. Avec, notamment, l’envolée des cours de matières premières, il est évident que les étiquettes vont valser. Cela est gérable tant que la croissance est au rendez-vous, que les salaires augmentent… Mais la guerre en Ukraine change la donne, et l’économie mondiale tousse. Et, justement, la stagflation, que nous avons connue dans les années 70, se définit par cette concomitance entre une forte inflation et une stagnation des volumes. Si ce n’est pas encore la crise ni, surtout, le retour d’un chômage élevé, les perspectives s’avèrent néanmoins inquiétantes.
La stagflation signifie en effet que le moral des consommateurs est en berne, qu’ils s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat. Ils n’en viennent pas à acheter moins, mais ils cherchent le moins cher possible pour tenter de consommer tout autant. Ils se refusent à tout déclassement social. Pour ne pas en arriver là, ils arbitreront plus que jamais. Ils commenceront par décortiquer les prix dans une même catégorie de produits ou unité de besoin. Et in fine, ils deviendront des experts en quartiles de prix et de vrais chasseurs de promos. Avec, à la clé, de possibles choix drastiques. Si la déflation avait, par exemple, favorisé la montée en gamme, la stagflation pourrait freiner cette valorisation en poussant les Français à bouder toutes les innovations qu’ils ne jugent pas prioritaires. Et si cela ne suffit pas, ils se détourneront de marchés « porteurs ». Ainsi le bio poursuivrait son recul et, à l’inverse, les MDD retrouveraient le chemin de la croissance. Du côté des formats de vente, certaines tendances seraient délaissées (le quick commerce, la livraison de repas à domicile…) et d’autres privilégiées (le discount et même le hard-discount).
Pour affronter une telle situation, si elle se confirme et si elle perdure, les distributeurs devront ajuster leurs méthodes de travail. Bien sûr, il faudra sécuriser ses approvisionnements pour acheter au meilleur prix, gérer des pénuries, sécuriser son sourcing, éviter les ruptures en rayons et absorber des « hausses » au niveau des achats grâce à des gains de productivité à tous les étages (supply chain, magasins…). Des enseignes reprendront aussi leurs bonnes vieilles habitudes des stocks spéculatifs et des achats d’opportunité. Et les magasins devront s’habituer à gérer des afflux de clients au gré des paniques générées à la suite d’alertes sur telle ou telle pénurie ou telle ou telle hausse de prix vertigineuse. L’activité sera de plus en plus chaotique, avec de la gestion de crise permanente et un bouleversement de l’écosystème global de la consommation.
La stagflation va donc plus que jamais pousser à l’action et à la réaction. Alors que bon nombre des hausses (énergies, transports, emballages, matières premières) risquent de comprimer les marges des entreprises, celles qui auront un positionnement affirmé, reconnu et assumé (certainement le meilleur rapport qualité/prix) et celles qui conserveront assez de souplesse – le fameux « jeu de jambes » – s’en sortiront probablement mieux que les autres.
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