TROP D?EXOTIQUE, PAS ASSEZ D?ETHNIQUE

Sushis surgelés, sauces indiennes, assortiment tex-mex, nems ou acras... Les spécialités dites « exotiques » séduisent de plus en plus mais, paradoxalement, les personnes d'origine étrangère vivant en France peinent parfois à trouver les produits qu'elles recherchent. Les choses, pourtant, semblent changer.
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Pour faire un bon cabri massalé, il faut 1,5 kg de cabri de pays, des oignons, des tomates, du safran, de l'ail, du gingembre, deux branches de caloupilé, des clous de girofle, une cuillerée et demie de pâte de tamarin, six cuillères à soupe de massalé... Comment ? Votre supermarché ne propose pas ces ingrédients ? Tant pis, rabattons-nous sur un bon ravitoto malgache. La recette est simple : vous prenez 500 grammes de viande grasse de porc (de préférence de la poitrine ou de la rouelle), deux oignons et 500 grammes de feuilles de manioc pilées, plus connu sous le nom de « ravitoto ». Pas de ravitoto non plus à l'hyper du coin ? Aïe !

Pour Xavier Terlet, dont la société XTC recense et classifie les produits de grande consommation lancés à travers le monde, le constat est sans appel : « Si l'on parle bien de produits ethniques, et non pas de produits exotiques, il existe un vrai besoin, des communautés importantes, mais il y a un vrai problème d'offre. Notamment dans le domaine des produits destinés aux classes les plus populaires. À part le casher, qui est présent à peu près partout, et le halal, bien distribué aussi mais avec parfois de gros problèmes de qualité, les besoins spécifiques des communautés ethniques ne sont pas véritablement satisfaits par la grande distribution. » Si bien que, hormis dans quelques magasins, situés dans des zones à forte population d'origine étrangère, impossible ou presque de trouver les ingrédients nécessaires à la cuisine africaine ou asiatique, par exemple. Et le problème n'est pas seulement alimentaire ! Dans le domaine de l'hygiène et de la beauté, les besoins spécifiques des peaux noires ou métisses sont encore bien mal pris en compte, avec une offre souvent divisée entre, d'un côté, des produits plutôt haut de gamme, distribués dans les circuits sélectifs à des prix relativement élevés. Et, de l'autre, des préparations de qualité médiocre, parfois même dangereuses, vendues pour trois fois rien dans des points de vente ou des salons de coiffure fréquentés exclusivement par une clientèle « ethnique ».

Délicate communication

Une demande et pas d'offre ? Plutôt étonnante, la situation semble un défi aux grands distributeurs, toujours en quête de nouveaux clients. Il faut dire que la question des minorités ethniques et de leurs besoins, surtout lorsque ces besoins sont liés à une appartenance religieuse, n'est pas toujours abordée avec toute la sérénité qui sied à une activité commerciale. Les malaises, les ambiguïtés subsistent parfois, comme lorsqu'un Franprix de région parisienne décide soudain d'excommunier le porc ou l'alcool pour ne plus proposer que des produits halal (c'était en 2002 à Évry, l'affaire avait fait grand bruit). Ou comme, ainsi que l'a récemment révélé la presse, quand la chaîne de restauration rapide Kentucky Fried Chicken se garde bien de communiquer ouvertement sur le fait que l'ensemble de son offre est halal, sa direction estimant qu'une telle communication serait susceptible de « gêner » certains clients non musulmans.

Des ambiguïtés qui jouent d'ailleurs dans les deux sens. Une récente étude sur le marché mondial des aliments halal, menée par les autorités canadiennes, affirme ainsi que, « en Europe, les non-musulmans achètent des produits halal parce qu'ils estiment qu'ils sont plus sûrs ». Ce qui, au passage, semble bien illusoire, les certifications en la matière relevant encore trop souvent du grand n'importe quoi. De même, une étude de la société anglaise Mintel indique qu'aux États-Unis seuls 14 % des consommateurs achetant des produits casher le font pour des motifs religieux ! L'immense majorité des acheteurs, explique Krista Faron, l'analyste de Mintel, estime simplement que « la simple présence du logo " casher " signifie qu'une procédure de contrôle du produit est organisée, qu'il y a une méthodologie très formalisée... Mais ils seraient bien en peine d'expliquer ce que " casher " veut dire ». Moyennant quoi, 28 % des aliments et des boissons lancés en 2008 aux États-Unis étaient labellisés casher.

Un potentiel croissant

En France aussi, d'ailleurs, la situation évolue. L'arrivée massive des grands acteurs nationaux sur le marché de la charcuterie halal, décrite dans nos colonnes la semaine passée, montre bien cette évolution. L'apparition de la marque Zakia, spécialisée dans les aliments halal, au générique de l'émission de M6 « Un dîner presque parfait », prouve aussi que certains tabous sont tombés. « Maintenant, il y a de l'argent, il y a un marché, les populations issues de l'immigration ont un meilleur niveau de revenu... C'est pour ça que les grandes marques arrivent, constate Xavier Terlet. La population musulmane, notamment, est bien intégrée, et son niveau d'exigence a progressé : elle veut désormais que ses produits soient aussi bons que les autres, alors que certains jambons de poulet vendus en GMS sont à peine du niveau de qualité du jambon des années 70... » Réaliste, il résume d'un trait les motivations des industriels en expliquant : « Aujourd'hui, pour un groupe de la charcuterie, il y a plus de potentiel de chiffre d'affaires dans le halal que dans le bio ! » Selon l'étude canadienne précédemment citée, le business mondial des aliments halal, s'il ne représente à ce jour que 5 % du chiffre d'affaires mondial de l'agroalimentaire, devrait grimper assez rapidement à 20 %.

La logique est très proche dans le domaine des cosmétiques. Selon les dirigeants de la nouvelle marque Free Nation of Beauty, non seulement les millions de femmes noires ou métisses vivant en France ont des besoins spécifiques en matière de cosmétiques mais, surtout, elles ne regardent pas à la dépense. Les Noires dépenseraient ainsi, en moyenne, 318 E par an pour leurs produits capillaires (contre seulement 41 E pour la moyenne nationale !), 240 E pour leurs soins du visage (78 E de moyenne nationale), 240 E de soins du corps (contre 90 E) et 185 E de maquillage (contre 46 E), soit un total de presque 1 000 E, 3,8 fois supérieur au budget d'une « Française moyenne » !

Marques nationales et grande distribution se lancent

Inutile d'en dire plus : les grands groupes font certes preuve, parfois, d'une certaine inertie, mais ils ne sont ni sourds ni aveugles. Depuis 2005, le groupe Nestlé possède par exemple un département « ethnique » et développe des offres sous ses marques Maggi ou Herta. Parallèlement, il importe dans certains pays des produits de son portefeuille longtemps réservés à d'autres zones géographiques, comme les céréales Nestum, très populaires au Portugal, ou certains ingrédients africains. Côté cosmétiques, L'Oréal a ouvert dès 2000 un L'Oréal Institute for Ethnic Hair Skin Research, à Chicago. Selon notre confrère Management, qui s'est récemment penché sur le sujet, la multinationale dédierait chaque année un budget de 600 millions d'euros en recherche et développement sur ce segment.

La distribution, bien sûr, suit le mouvement. En Grande-Bretagne, la National Halal Meat Company, basée à Birmingham depuis les années 60, va ouvrir quarante boucheries halal dans des supermarchés Asda et Tesco pour la seule année 2009. Et tandis qu'en France les rayons casher et halal sont de moins en moins difficiles à dénicher dans les supers et hypermarchés, un réseau de chaînes cosmétiques spécifiquement ethnique est en train de voir le jour, à l'image des nouvelles enseignes Inaya ou Colorii. La première, qui propose à la fois des marques spécialisées comme Soft Sheen Carson ou Black Up et des généralistes telles Bourjois ou Décléor, table, à terme, sur un parc d'une trentaine de magasins. Et la seconde a été récompensée dans le cadre du concours Jeunes Créateurs du commerce, organisé par Unibail.

Valorisation de l'offre

Logique, là encore, estime Xavier Terlet : « Les produits ethniques ont d'abord été placés en bas des rayons, dans un coin. Mais ça évolue et la présentation en magasin va se revaloriser au même rythme que l'offre elle-même. Pendant longtemps, les distributeurs ne faisaient guère d'efforts, puisque ces produits étaient, de toute façon, destinés à une clientèle captive ! Maintenant, l'arrivée de nouveaux produits de grandes marques va porter ce rayon en termes de qualité. C'est d'ailleurs l'intérêt de tout le monde. »

D'autant que, parallèlement, l'offre dite « exotique » ne cesse de s'élargir et de se diversifier. Raynal et Roquelaure, un fournisseur dont le nom fleure bon le terroir et que l'on imagine plus volontiers sur une boîte de cassoulet, vient, par exemple, de lancer un plat cuisiné à base de kebab de poulet sous sa marque Zapetti. Quant à Heinz, sa toute nouvelle sauce indienne arrive pour compléter une gamme qui, de la sauce thaï à la Worcestershire sauce, en passant par les Baked beans et la sauce Caesar, ne saurait être résumée à l'emblématique ketchup. Bref, l'évolution est en marche et Xavier Terlet, qui considère 2009 et 2010 comme des années charnières, la voit se jouer en trois temps. « Dans un premier temps, l'offre qui arrive est basique, analyse-t-il. On en est encore là pour la cuisine japonaise qui, pour nous, se limite aux sushis et aux sashimis. Puis on avance : le consommateur apprend, se spécialise, devient plus exigeant. Dans un troisième temps, enfin, le consommateur s'est si bien approprié cette nouvelle gastronomie qu'il veut la préparer lui-même, faire de la cuisine d'assemblage, comme il est aujourd'hui capable de préparer un plat chinois ou un tajine. » À ce moment, et à ce moment-là seulement, l'ethnique et l'exotique se rejoignent, enfin, pour ne faire qu'un. Ce qui nous fait un parfait happy end !

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