Nantes rêve d'un coeur de ville haut de gamme
Promue capitale verte européenne 2013, la métropole espère voir son attractivité internationale dopée pour développer le tourisme d'affaires, l'une de ses priorités. Malmené par la concurrence des zones périphériques, son centre historique veut jouer la carte de la densification, de la qualité de vie et du luxe.
JACQUES LE BRIGAND, À NANTES
\ 00h00
JACQUES LE BRIGAND, À NANTES
«Qui regrette aujourd'hui la place Royale lorsqu'elle était un rond-point ? Qui regrette aujourd'hui la piétonnisation de la rue Crébillon ? Qui regrette aujourd'hui que la ville soit épargnée de la congestion par le tramway et le Busway ? Il n'y a guère que les comblements de Loire que nous pourrions regretter, et encore ! » Pas encore Premier ministre et toujours député et maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault a profité de l'entre-deux-tours de la présidentielle pour vanter la métamorphose du centre. Sans aller jusqu'à citer, comme cela lui est déjà arrivé, l'écrivain Julien Gracq : « La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le coeur d'un mortel. »
Apple Store snobe le centre pour la périphérie
Apple se refuse à tout commentaire, mais un Apple Store (550 m2) ouvrira fin 2012 dans la galerie Atlantis (14 000 m2) de l'hyper Leclerc (12 000 m2), à Saint-Herblain, à la frange ouest de Nantes. La firme américaine a déjà mis en ligne sur son site les offres d'emploi. Pour beaucoup, ce choix est symptomatique du manque d'attractivité du centre face au dynamisme des enseignes en périphérie, notamment les hypers Leclerc dirigés par les héritiers de deux des « barons » locaux du mouvement, Pierre Chartier, gendre de Joseph Fourage, à Atlantis et Paridis, au nord de la ville, et le fils de Joseph Laury, Didier, à Rezé, au sud. D'où la nécessité, selon la chambre de commerce, de densifier le coeur de ville. Elle souhaite la création d'un pôle commercial (20 000 m2 minimum) sur le parking de la place de la Petite Hollande, un projet défendu depuis une dizaine d'années. « Nous sommes en contact avec des promoteurs », assure le vice-président, Jean-Luc Cadio. Nantes Métropole argue de difficultés juridiques et techniques. Ce dossier est la principale pierre d'achoppement entre les deux parties, la CCI validant globalement la stratégie des élus. Elle ne conteste pas leur volonté de restreindre la place de l'automobile dans le centre, mais insiste sur la nécessité de préserver son accès et d'améliorer la visibilité des parkings à proximité.
Un site stratégique
Tel un inventaire à la Prévert, la liste des chantiers et des équipements, achevés ou en voie de l'être, donne effectivement le tournis. Habitat, tourisme, culture, espaces publics, tous les leviers sont actionnés et le commerce n'est pas le moindre d'entre eux. Ceint par douze hypermarchés et une vingtaine de supermarchés, le centre-ville ne représente que 15 % de l'offre de la communauté urbaine. La municipalité espère réduire ce déficit avec la livraison, d'ici à 2015, de plus de 20 000 m2 de surfaces supplémentaires, dont 12 000 m2 pour le seul Carré Feydeau. Boulanger (4 000 m2) et Carrefour Market (1 900 m2) en seront les locomotives. Annoncé dès 2004, le programme a rencontré bien des difficultés pour démarrer. La copie a dû être corrigée pour satisfaire aux critiques émises par l'architecte des Bâtiments de France : formant l'une des pointes du secteur sauvegardé, l'un des plus étendus en France (126 hectares), l'édifice s'installe sur un site stratégique, voisinant avec les façades du XVIIIe siècle de l'île Feydeau, et faisant face au quartier médiéval du Bouffay et au château des ducs de Bretagne. Sa fonction sera également d'établir une passerelle avec l'île de Nantes et la galerie marchande Beaulieu (40 000 m2), au sud : présenté comme le « prolongement naturel » du centre-ville, ce secteur se transforme à sa pointe ouest en une vaste zone de loisirs et de détente, autour des fameuses machines de l'île, l'éléphant mécanique et bientôt l'immense Carrousel des mondes marins (25 mètres de haut).
Carré Feydeau est aussi emblématique du nouveau plan de déplacements : livré jusque-là aux flots de l'automobile, l'ancien bras du fleuve qui le sépare du Bouffay est devenu depuis peu une large promenade piétonne, dallée et pavée de part et d'autre du tramway et agrémentée d'arbres. La création de douves vertes et de quais se veut une métaphore de la Loire disparue. Cette promenade forme l'un des maillons du vaste projet d'aménagement de la gare à la Loire, un itinéraire d'environ trois kilomètres qui fera la part belle aux circulations douces. Il reliera la gare SNCF, à l'est, au quai de la Fosse, à l'ouest, au niveau du récent Mémorial de l'abolition de l'esclavage. En 2013, la place Graslin et son théâtre à l'italienne, débarrassés des voitures, symboliseront à leur tour l'espoir d'une ville apaisée.
Retrouver le lustre d'antan
Autre dossier d'importance, la rénovation et l'extension du passage Pommeraye. Les travaux redonneront son lustre d'antan à la rue couverte, qui date de la monarchie de Juillet en 1843 et est classée monument historique. Cinq ans après son départ de Nantes, c'est ici qu'Hermès a choisi de rouvrir une boutique fin 2010. Le maroquinier a été suivi un an plus tard par son concurrent Longchamp, installé deux pas plus loin sur la très chic place Royale. Ils ne sont pas les seuls à illustrer la montée en gamme du centre-ville : un hôtel 4 étoiles verra le jour dans le passage Pommeraye. De quoi réjouir les professionnels qui ont longtemps pointé du doigt l'insuffisance du nombre de chambres dans cette catégorie. Cette naissance ne sera pas isolée : plusieurs faire-part similaires s'annoncent, dont celui de la chaîne de luxe Radisson Blu. L'hôtel ouvrira ses portes dès octobre 2012 dans l'ancien palais de justice, non loin de la rue du Calvaire, l'une des principales artères commerçantes. En face, l'ex-caserne de gendarmerie Lafayette accueillera quelques mois plus tard des boutiques de mobilier design, d'art contemporain et de produits bio, un centre de bien-être aquatonic Thermes Marins de Saint-Malo, et une épicerie fine Vatel Gourmet.
Reste à savoir si ces opérations suffiront face à l'appétit insatiable de la grande distribution en périphérie, laquelle n'hésite pas à faire valoir ses droits devant le juge : en mars, le tribunal administratif a donné raison à plusieurs enseignes, dont un Mr.Bricolage, en annulant une modification du plan local d'urbanisme (PLU) de Basse-Goulaine, commune située au sud de l'agglomération. Elle instituait un dispositif de régulation de l'appareil commercial, mesure prise par la communauté urbaine fin 2008 après avoir constaté une frénésie de mètres carrés dans la foulée de la LME du 4 août 2008. Les PLU limitent à 5% par an l'extension d'une trentaine de pôles identifiés sur tout le territoire. « Dans notre esprit, il s'agissait d'une anticipation de la loi découlant du rapport rendu en 2009 par le député Jean-Paul Charié sur l'urbanisme commercial », indique Gilles Retière, vice-président de Nantes Métropole. Or, celle-ci n'a toujours pas été promulguée. L'adoption, prévue en juin, d'un schéma directeur d'urbanisme commercial permettra de combler cette faille : il inscrira dans le marbre les préconisations de la charte jusqu'ici en vigueur, soit une augmentation maximale des surfaces de vente de 130 000 m2 jusqu'en 2021.
LSA Databoard
Retrouvez les indicateurs de la consommation et du retail pour suivre les évolutions de vos secteurs.
Je découvre