E-commerce : sortir de l’impasse pour bâtir un modèle responsable [Tribune]

En vingt ans, le e-commerce est devenu un réflexe quotidien. Mais derrière la promesse de simplicité, certains modèles détruisent plus de valeur qu’ils n’en créent : congestion des villes, précarisation des livreurs, marges érodées pour les enseignes. Deux réalités coexistent : dans les zones urbaines denses, la livraison à domicile s’impose mais elle est inefficace et destructrice ; dans les zones moins denses, le Drive domine et offre un point d’appui plus vertueux, mais qui doit être modernisé.

Les dérives d’un modèle à bout de souffle

La livraison à domicile massive et non optimisée provoque une explosion du trafic : +40 % de véhicules utilitaires légers attendus d’ici 2030, déjà responsables d’un tiers des émissions de GES du transport. Les contournements réglementaires sont fréquents, les trajets à vide nombreux, et les livreurs surexploités pour des revenus souvent inférieurs à 10 € nets/heure.

Présentée comme une solution miracle, l’ubérisation a aggravé le problème : elle transfère les coûts et les risques aux livreurs et fragilise les transporteurs en CDI comme les Retailers, privés de relation client. Résultat : une concurrence déloyale et une valeur captée par les plateformes, sans responsabilité sociale ni environnementale. Retailers, attention ! car vous risquez de nourrir et de vous faire dépasser demain par certains de ces acteurs irresponsables.

Mutualisation, consolidation et industrialisation sobre

La seule voie durable passe par la rationalisation : mutualiser les flux inter-enseignes et consolider les livraisons pour réduire drastiquement le nombre de trajets. Mais cela suppose aussi une industrialisation sobre, au plus près du client. Plutôt que de nouveaux entrepôts périphériques, il faut des hubs urbains mécanisés simplement, dans des sites existants ou des magasins. Pick : des solutions simples, robustes, peu coûteuses, capables d’optimiser l’espace et de densifier le stockage.

Le magasin et l’OOH : deux maillons à régénérer

Le magasin ne peut plus se limiter au « full instore picking », trop coûteux et saturé. Il doit évoluer vers un modèle hybride : stock dédié mécanisé en back-office et mise en rayon enrichie, avec un réassort à l’UVC.

Côté consommateurs, l’Out Of Home (Drive, lockers, pickup) doit devenir la norme. Le modèle PUDO est saturé, l’avenir est aux lockers et aux « stand alone » automatisés, accessibles 24/7. La livraison à domicile doit être l’exception : un service premium facturé à son vrai prix, ou un service social pour les publics fragiles.

La ville et les zones moins denses, acteurs clés

La ville doit passer de la contrainte à la co-construction. Elle peut valoriser les parkings souterrains, soutenir les hubs urbains et utiliser l’IA pour orchestrer les flux et réserver des places de livraison intelligentes. Dans les zones rurales, le Drive reste central mais doit évoluer : satellites automatisés, lockers semi-ruraux, tournées locales réinventées. Attention aux dérives de la livraison collaborative (livreurs rémunérés à moins d’1 €/km), qui menace les acteurs établis et la sécurité alimentaire.

Passer à l’action

Toutes les solutions existent déjà : hubs urbains, robotisation adaptée, cyclo-cargos, OOH automatisé. Mais tant que la réglementation sera contournée et que la livraison sera bradée comme un produit d’appel (il est inacceptable de voir des publicités promettre une livraison gratuite alors que son coût réel est reporté sur les livreurs précaires et la collectivité) aucun modèle vertueux ne pourra s’imposer.

Il est temps d’organiser un Grenelle de la logistique e-commerce. Pour imposer la transparence, réguler les publicités mensongères, et donner un cadre clair. Le commerce digital peut être durable et rentable, à condition de choisir la raison plutôt que l’illusion.