E.Leclerc : la centrale Galec cache une machine financière de 8,3 Mds€ [Exclusif]
Les comptes 2024 consultés par LSA révèlent la face cachée du modèle E.Leclerc. Derrière une centrale d’achats affichant à peine 180 M€ de revenus sociaux, l’ensemble consolidé atteint 8,27 Mds€. Une mécanique coopérative unique en Europe, qui combine puissance d’achat, poids croissant des MDD et intégration industrielle, tout en absorbant un e-commerce encore déficitaire.
Nicolas Monier
\ 07h01
Nicolas Monier
E.Leclerc s’affiche plus puissant que jamais. Les procès-verbaux et comptes sociaux du Galec (groupement d’achats des centres E.Leclerc) et de ses filiales, obtenus par LSA, révèlent qu’à l’échelle consolidée, le périmètre pèse 8,27 Mds€ de chiffre d’affaires en 2024, en progression de 5,1 %. Le résultat net atteint 42,2 M€, contre 38 M€ en 2023, et les capitaux propres frôlent désormais les 500 M€.
Ces chiffres publiés donnent la mesure d’une mécanique coopérative unique en Europe, qui rapproche le modèle Leclerc de la puissance des distributeurs intégrés. Pris isolément, le Groupement d’achats des centres E.Leclerc (Galec) n’affiche pourtant qu’un chiffre d’affaires de 180,1 M€, en hausse de 4,2 %, et un résultat net de 12 M€, intégralement affecté en réserves. Cette prudence coopérative, qui bannit toute distribution de dividendes depuis trois exercices, masque l’essentiel : ce sont en réalité 327,9 M€ de ristournes fournisseurs qui transitent par la centrale, illustrant le rôle pivot de cette structure dans la compétitivité prix du mouvement.
Un périmètre consolidé à 8,3 milliards d'euros
Scamark concentre l’essentiel du poids économique du Galec. La filiale, qui porte les marques de distributeur de l’enseigne (Marque Repère, Eco+, Nos Régions ont du Talent…), a généré en 2024 un chiffre d’affaires net de 6,30 Mds€, soit près de 80 % du périmètre consolidé. La progression (+6,9 %) traduit l’essor des MDD, mais la rentabilité reste quasi nulle : 0,75 M€ de résultat net, un niveau stable par rapport à 2023.
Le résultat d’exploitation atteint 4,5 M€, mais il a été grevé par un résultat exceptionnel négatif de près de –1,8 M€. Les comptes font aussi ressortir une dette fournisseurs de 668 M€, qui illustre la puissance de négociation de la structure. En parallèle, Scamark (pour société coopérative d’approvisionnement des magasins à responsabilité coopérative) a accru ses effectifs, avec des charges de personnel en hausse de 15 % à 20,3 M€, et versé 1,56 M€ d’intéressement et de participation à ses salariés.
À noter que les produits premiers prix semblent curieusement non inclus dans ce périmètre. Selon les annexes des comptes annuels, le rôle de Scamark se limite en la matière à "l’approvisionnement des centrales régionales Leclerc dans un rôle restreint de commissionnaire à l’achat agissant pour le compte de ses commettants". Or ces produits, dont l’enseigne indiquait une croissance de l’ordre de 40 % l’an dernier, n’apparaissent pas dans les chiffres consolidés.
Contrairement aux marques propres comme Marque Repère ou Eco+, gérées directement par Scamark, les premiers prix ne font l’objet que d’une commission : ils échappent donc au chiffre d’affaires, seuls les honoraires étant comptabilisés. Leur poids réel reste une zone aveugle, un angle mort comptable qui illustre la discrétion stratégique du modèle Leclerc.
Galec, pivot discret mais central du modèle
L’e-commerce reste la zone d’ombre. Logé dans la SNC L Commerce, il a généré en 2024 environ 131 M€ de chiffre d’affaires, mais creusé dans le même temps des pertes nettes de –46,2 M€, supérieures à celles de 2023. Ces déficits récurrents concernent le site marchand et la livraison à domicile, mais pas le drive, qui relève du chiffre d’affaires magasins et constitue au contraire une réussite. Les pertes sont compensées par des reprises de provisions et les dividendes des autres filiales, mais elles soulignent la difficulté persistante de Leclerc à rentabiliser son offre digitale.
Derrière Scamark et L Commerce, d’autres filiales structurent le dispositif. Kermené, spécialiste de l’abattage et de la transformation de la viande, a réalisé en 2024 un chiffre d’affaires de 1,29 Md€ pour un bénéfice net de 19,9 M€, avec plus de 3 100 salariés. Leadex, société de négoce de viande, affiche de son côté 93 M€ de chiffre d’affaires et 3,1 M€ de bénéfice… avec seulement 7 salariés. Logilec, qui assure une partie de la logistique, a généré 125 M€ de chiffre d’affaires pour un résultat net de 0,4 M€, tandis que Conso Régie, régie publicitaire de l’enseigne, a atteint 44 M€ de revenus et 1,08 M€ de bénéfice. Cet ensemble dessine une véritable colonne vertébrale industrielle et logistique, rarement mise en lumière.
Scamark, la colonne vertébrale des MDD
Derrière les comptes, c’est le réseau qui incarne la véritable puissance économique. Les magasins E.Leclerc en France (hors carburant) ont généré 48,5 Mds€ TTC en 2024, en progression de 2,9 %. La part de marché alimentaire atteint 24,2 %, en hausse de 0,7 point sur un an. En incluant carburant et international (Espagne, Pologne, Portugal, Slovénie), le volume d’affaires global du mouvement est compris entre 65 et 70 Mds€ TTC. Une assise qui confirme l’ancrage du leader sur le marché français.
Le modèle Leclerc repose donc sur une double mécanique. D’un côté, le Galec, pivot de la négociation coopérative, alimente les magasins grâce à des flux massifs de ristournes. De l’autre, les filiales industrielles et logistiques – Scamark en tête dont les ventes de produits sous marques propres en magasins sont évaluées à plus de 10 Mrds d’€ – structurent une puissance économique comparable à celle des groupes intégrés. Cette organisation, renforcée par la montée en puissance des MDD et soutenue par près d’un demi-milliard de fonds propres, permet à l’enseigne d’allier prix bas et leadership, tout en absorbant les pertes d’un e-commerce encore déficitaire.
Les chiffres clés du Galec et de ses filiales en 2024 :
Consolidé
- Chiffre d’affaires : 8,27 Mds€ (+5,1 %)
- Résultat net : 42,2 M€
- Capitaux propres : 498,7 M€
Galec (centrale d’achats)
- CA : 180,1 M€ (+4,2 %)
- Résultat net : 12,0 M€ (100 % en réserves)
- Ristournes fournisseurs à encaisser : 327,9 M€
Scamark (MDD)
- CA : 6,30 Mds€ (+6,9 %)
- Résultat net : 0,75 M€
- Résultat d’exploitation : 4,5 M€
- Charges de personnel : 20,3 M€ (+15 %)
- Intéressement et participation : 1,56 M€
- Dette fournisseurs : 668 M€ (reflète les flux d’achats centralisés, pas une dette bancaire)
Kermené (viandes)
- CA : 1,29 Md€
- Résultat net : 19,9 M€
- Effectifs : 3 100 salariés
Leadex (négoce international viande)
- CA : 93 M€
- Résultat net : 3,1 M€
- Effectifs : 7 salariés
L Commerce (e-commerce)
- CA : 131 M€
- Résultat net : –46,2 M€
Logilec (logistique)
- CA : 125,3 M€
- Résultat net : 0,4 M€
Conso Régie (publicité)
- CA : 44 M€
- Résultat net : 1,08 M€
Le réseau E.Leclerc en 2024 :
- CA France hors carburant : 48,5 Mds€ TTC (+2,9 %)
- Part de marché alimentaire : 24,2 % (+0,7 pt)
- CA total mouvement (avec carburant + international) : 65 à 70 Mds€ TTC
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