Éloge de la friction dans le parcours client, créatrice de la valeur [Tribune]
Joséphine Basly est strategist chez Futurebrand Paris. Pour LSA, elle explique comment les expériences de marques se sont standardisées à force de gommer toute friction. Et prône certaines frictions à (re)introduire, dans le but de créer du lien entre la marque et ses consommateurs.
Dans un monde où l'amélioration rime avec accélération et où la technologie fluidifie nos expériences, les interactions avec les marques se sont standardisées. En cherchant à simplifier le parcours client, les marques éliminent souvent chaque point de friction, c'est-à-dire tout aspect du parcours qui n’est pas fluide et immédiat et qui ralentit l’expérience.
Cependant, toutes les frictions ne sont pas négatives ; certaines enrichissent l’expérience malgré le ralentissement qu'elles entraînent. Ces frictions peuvent rendre nos interactions avec la marque surprenantes, intéressantes et surtout mémorables. Cela est d’autant plus important quand on sait que, selon Salesforce, 77% des consommateurs français attachent autant d’importance à l’expérience client qu’au produit ou au service associé. Obsédées par le service irréprochable, les marques se sont concentrées uniquement sur la rapidité, négligeant tout ce qu’une bonne friction peut apporter. Mais la vitesse et l’efficacité sont-ils les meilleurs choix pour des expériences de marque mémorables ?
Ralentir pour savourer sa consommation
Les frictions entre une marque et son consommateur ne sont pas toujours de simples obstacles. Prenons l’exemple du temps d’attente. Autrefois source de frustration, il était la bête noire de l’expérience client. Cependant, dans un monde d’immédiateté, l’attente nous offre désormais l’opportunité de savourer notre consommation. Pour modérer l’impatience de ses consommateurs, le domaine Franc Arman a créé un packaging innovant pour éduquer ses clients sur l’importance du temps dans la dégustation de ses vins. Avec l’édition limitée "It's Time for Your Time", la marque rend la bouteille inaccessible à la consommation immédiate, lui permettant de vieillir. Pendant ce temps, les consommateurs reçoivent du contenu sur l’histoire de l’œnologie via un QR code et une application. Lorsque le moment est venu, l'application envoie le code pour ouvrir la boîte. En ralentissant l’expérience client, la marque ajoute de la valeur à l’acte de consommation. Elle transforme ce moment en une expérience unique et mémorable.
Humaniser la technologie grâce à la friction
D'une manière générale, nous tolérons de moins en moins les étapes qui nous éloignent de l’acte d’achat. Aujourd’hui, la majorité de nos interactions avec les marques passent par l’intermédiaire d’un smartphone. Les marques trouvent des moyens ingénieux pour rendre notre expérience toujours plus fluide, grâce à la reconnaissance faciale, aux suggestions textuelles basées sur l'IA et aux renouvellements automatiques. Elles fluidifient la relation que nous entretenons avec elle. Mais malgré la progression implacable de ces technologies, une certaine lassitude se profile à leur horizon. The Light Phone, en anticipant cette tendance, a été le premier à proposer une alternative. En offrant un téléphone avec seulement les fonctionnalités essentielles, la marque remet de l’intentionnalité au cœur de l’expérience client et donne à ses utilisateurs la liberté de choisir leurs moments de connexion. C’est une réponse intéressante à la demande croissante d'une relation plus médiatisée avec la technologie, où la commodité et la rapidité ne sont pas des valeurs primordiales.
La friction comme source d’engagement des marques
Au-delà d’une simple expérience client, la friction est aussi la preuve de l’engagement des marques pour leurs valeurs. Alors que la technologie impacte nos interactions humaines, de nombreux consommateurs cherchent à redonner de la valeur aux liens sociaux. D’après une étude de PWC, 74 % des consommateurs* souhaitent que l’interaction humaine soit plus fréquente à l'avenir dans le parcours client (Source : Human interaction matters now—and 82% of U.S. and 74% of non-U.S. consumers want more of it in the future).
Avec sa campagne « Libérer la culture », la FNAC défend l’intelligence de ses vendeurs et propose une alternative à la fluidité. En valorisant l'expertise de ses conseillers, la Fnac nous convie à renouer avec ce qui résonne le plus profondément en nous : la passion et le partage. Elle remet l'humain au centre de la prescription culturelle tout en défendant la richesse de notre diversité de regards. Le parcours client, tout aussi important que sa finalité, ne doit pas être exclusivement axé sur la fluidité si l'on souhaite créer une émotion authentique chez le client. La friction a longtemps été l’ennemi de la fluidité et de la simplification de l’expérience client. Jusqu’à la faciliter à l’extrême, jusqu’à peut-être la lisser. Aujourd’hui, la friction séquence davantage, donne un nouveau tempo, semble également redonner du sens à l’expérience de consommation. Elle retisse du lien entre la marque et les consommateurs, le replace au cœur des réflexions, et nous invite à toujours comprendre l’évolution de ses comportements et de ses attentes, à davantage co-créer pour toujours nous réinventer.
A propos de l'auteur
Joséphine Basly est diplômée de l’ESCP et strategist chez Futurebrand Paris. Travaillant sur tous les sujets de branding, de la plateforme de marque à la brand experience, elle attache un intérêt particulier à l’influence des marques sur notre société et notre quotidien. Elle accompagne notamment Moët Hennessy, Valrhona et Nestlé.
LSA Databoard
Retrouvez les indicateurs de la consommation et du retail pour suivre les évolutions de vos secteurs.
Je découvre