Intelligence artificielle : quelles pistes pour réduire l'empreinte environnementale de l'IA ?
L’essor de l’intelligence artificielle générative a des effets néfastes sur l’environnement et la biodiversité, mais son évaluation reste complexe, faute de transparence des fournisseurs. Des pistes émergent pour atténuer l’impact de cette technologie.
Emilie-Xuân Nguyen
\ 07h00
Emilie-Xuân Nguyen
Les enjeux
- L’utilisation massive de l’intelligence artificielle générative nécessite une forte consommation d’énergie, entraînant une hausse de la consommation d’eau et des émissions de GES, et un épuisement des ressources minérales.
- Il est difficile de mesurer l’impact environnemental de l’IA en raison du manque de transparence des fournisseurs, combiné aux difficultés de remonter la chaîne de valeur des équipements.
- Un profond changement nécessite des politiques publiques volontaristes, bien que les entreprises puissent aussi inciter à la transparence des données chez leurs fournisseurs.
Les solutions
- Concevoir des outils simples et accessibles pour évaluer l’empreinte écologique de l’IA, en prenant en compte les ressources consommées et les émissions de CO2 générées pour mieux suivre et réduire son impact environnemental.
- Adopter une approche critique sur l’utilisation de l’IA, en pesant les bénéfices par rapport aux risques. Cela implique d’évaluer régulièrement les cas d’usage afin de s’assurer que l’IA est utilisée uniquement lorsqu’elle apporte une réelle valeur ajoutée.
- Promouvoir l’adoption de bonnes pratiques, comme l’optimisation des algorithmes pour consommer moins d’énergie ou le recours à des modèles plus sobres et moins gourmands en ressources.
Des images façon studio Ghibli générées par ChatGPT au « starter pack » : vous avez sûrement vu passer ces contenus sur Instagram, X ou encore Facebook. Même Dominique Schelcher, le patron de Coopérative U, a cédé à la tendance ! Ces gestes multipliés par million ont pourtant un impact sur la planète. L’effet est d’autant plus insidieux que l’internaute ne se rend souvent même pas compte qu’il « consomme » quelque chose, tant il est simple, voire gratuit, de créer en un clic une image, une vidéo humoristique ou un mail professionnel.
Et c’est l’un des problèmes majeurs aujourd’hui : l’utilisation massive et parfois irraisonnée de l’IA générative qui s’ajoute à la course à la puissance. Comme une recherche sur Google, chaque requête sur ChatGPT sollicite un data center. À la différence près que cette dernière est jusqu’à 4 600 fois plus gourmande en énergie que les modèles traditionnels, selon une étude projective des impacts environnementaux de l’IA sur les entreprises publiée en janvier 2025. « Nous avons aussi calculé que les Small Language Models ont une consommation énergétique 186 fois plus faible que les Large Language Models, indique Simon Gosset, directeur chez Capgemini Invent, chargé des services de data et IA durable, qui a participé à l’étude en question. Cela illustre bien la tendance de cette course à la puissance. »
Selon un rapport de l’International Energy Agency d’avril, la demande d’électricité des centres de données mondiaux devrait plus que doubler d’ici à 2030 pour atteindre environ 945 térawattheures (TWh), soit un peu plus que la consommation annuelle d’électricité du Japon aujourd’hui. « Dans certaines villes, les serveurs sont devenus si énergivores qu’en période de canicule, cela a limité la disponibilité en eau pour les habitants », s’alarme Philippe Vachet, directeur général de l’agence Lucie, spécialiste des sujets RSE.
Les chiffres
- 4,2 à 6,6 Mrds de m3 : le volume d’eau que devrait représenter la demande mondiale pour l’intelligence artificielle en 2027
Source : Cornell University, 2023
- +100% : l’évolution probable de demande d’électricité des centres de données mondiaux d’ici à 2030, pour atteindre environ 945 térawattheures, soit un peu plus que la consommation totale d’électricité du Japon aujourd’hui
Source : Energy and AI, International Energy Agency, avril 2025
- 4600 fois plus : la quantité d’énergie que les grands modèles d’IA générative consomment par rapport aux modèles traditionnels.
Source : Exploring the sustainable scaling of AI dilemma : A projective study of corporations’ AI environmental impacts, coll., 2025
En quête de modèles plus sobres
Les data centers ont en effet besoin d’eau pour fonctionner. « Un tiers de l’eau qui y est consommée est dédié au refroidissement, tandis que les deux autres tiers concernent l’électricité du réseau électrique », détaille Théo Alves Da Costa, président de Data for Good. L’entraînement des modèles d’IA s’appuie sur des calculs intensifs qui exigent une puissance de traitement conséquente mobilisant une quantité considérable d’électricité et d’eau.
La demande mondiale pour l’IA pourrait entraîner un prélèvement de 4,2 à 6,6 milliards de mètres cubes d’eau d’ici à 2027, soit l’équivalent de la consommation annuelle de la moitié du Royaume-Uni, selon un article des chercheurs Pengfei Li, Jianyi Yang, Mohammad A. Islam et Shaolei Ren. Pour répondre à ce défi, des solutions émergent mais en sont encore à leur début. Par exemple, le projet Itrium 1 de TotaLinuX, en cours de réalisation à Jouy-en-Josas (Yvelines), qui prévoit un refroidissement d’un data center par immersion.
Concrètement, les serveurs sont plongés dans de grands réservoirs remplis d’une huile synthétique non conductrice d’électricité. Le principe repose sur la circulation d’un fluide en circuit fermé, grâce à une pompe et un échangeur externe pour le refroidir. Cette technologie est plus économique que le refroidissement à air traditionnel et présente des avantages écologiques : elle ne consomme pas d’eau, ne génère pas de bruit et n’émet ni CO2 ni autres gaz à effet de serre.
Ce projet attrayant soulève des questions sur le coût de la maintenance de ces équipements. En outre, « créer un data center vertueux ne suffit pas à compenser l’impact des 700 millions de personnes qui produisent des images de produits de fast fashion ou qui surconsomment des ressources. Il est essentiel de s’interroger sur l’usage final de cash technologies », prévient Lou Welgryn, secrétaire générale de Data for Good.
Une courte conversation avec un chatbot issu de la version de ChatGPT (4o) consommerait…
- 35,1 Wh d’électricité
- 21,4 g eqCO2 d’émission de gaz à effet de serre
- 359 kJ d’énergie
Si 1 % de la planète avait une courte conversation avec un chatbot tous les jours pendant un an
- Cela équivaudrait à 3 535 vols entre Paris et New York en termes de GES
Source : EcoLogits Calculator
Un impact difficile à mesurer
Au-delà des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d’eau, les impacts environnementaux incluent l’empreinte carbone de la fabrication et de la fin de vie du matériel utile pour faire tourner l’IA, sans oublier l’épuisement des ressources, comme les minéraux rares. « Nous vivons dans un monde limité par les ressources physiques », rappelle Philippe Vachet, de l’agence Lucie.
Si l’on sait que l’IA a un impact sur l’environnement, ni les chercheurs, ni les États, ni les entreprises ne connaissent son coût réel. Les données chiffrées partagées ne sont que des estimations. D’une part, il est difficile de remonter toute la chaîne de valeur ; d’autre part, le manque de données précises est aggravé par un déficit de transparence.
Tout au plus, sait-on qu’en raison des besoins en calcul informatique de l’intelligence artificielle, Google a vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter de 48 % en cinq ans, tout comme Microsoft qui avait annoncé une hausse de 30 % en un an. « Ce manque de connaissances est sciemment organisé, car les opérateurs de ces services refusent de donner accès à leurs informations », glisse Lou Welgryn. Et Simon Gosset d’ajouter : « Aujourd’hui, il existe trop peu d’études multicritères qui prennent en compte à la fois les émissions de GES, l’eau, la biodiversité, les ressources… »
« Créer un data center vertueux ne compense pas l’impact de 700 millions de personnes qui génèrent des images de produits de fast fashion ou qui sur-consomment les ressources. »
Lou Welgryn, secrétaire générale de Data for Good
Des outils en ligne, comme EcoLogits Calculator, permettent d’estimer l’impact environnemental de certaines requêtes, comme l’écriture d’un mail ou d’un rapport de cinq pages, en fonction du modèle. Capgemini Invent est également en train de développer un calculateur à destination des entreprises fondé sur les éléments de l’étude projective des impacts environnementaux de l’IA sur ces mêmes entreprises.
Il permet d’évaluer l’impact environnemental d’un cas d’usage en fonction de la taille du modèle ou du lieu du data center. En plus de fournir des estimations de l’impact en matière d’émissions de carbone, d’eau, de matériel et d’opérations pour le cas d’usage concerné, cet outil, qui n’est pas encore disponible, inclut également un onglet de recommandations sur les actions à entreprendre pour réduire cet impact. Ainsi, pour traduire les fiches produit d’un site internet, l’entreprise peut par exemple opter pour un Small Language Model qui consomme moins de ressources qu’un Large Language Model.
Bien penser à l’usage de l’IA en amont
Même si l’IA devient plus frugale grâce à des méthodes de refroidissement optimisées des data centers et à une réduction de la puissance de calcul, cela ne garantit pas une diminution de son utilisation. Au contraire, cela pourrait justifier une utilisation accrue, annulant les gains escomptés. Ainsi, « avant d’évoquer des solutions techniques, je pense qu’il est crucial de se poser la question de l’utilité de l’IA, affirme Lou Welgryn. La première question doit toujours être : pourquoi voulons-nous l’IA ? ».
Ainsi, pour les entreprises de la grande consommation, agir en faveur d’une IA vertueuse revient à se poser la question de son usage pour optimiser certaines tâches, car c’est l’élément sur lequel elles ont le plus d’emprise. Cela consiste à réfléchir aux usages dès la conception des solutions, à l’instar de Leroy Merlin, qui utilise des solutions d’IA existantes sur le marché en les sélectionnant en fonction de leurs besoins. En somme, il est crucial de ralentir l’engouement pour l’intelligence artificielle ou, du moins, d’adopter une approche réfléchie avant de passer à l’action. Cela peut également contribuer à réduire les coûts, tant pour la planète qu’au niveau de ses finances.
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LSA Databoard
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