Publicité en ligne : avec la fin des cookies tiers, des alternatives émergent
Google commence - enfin - à bloquer l'utilisation des cookies tiers sur son navigateur Chrome, depuis le 4 janvier. Baisse de la performance des campagnes, création d'outils de remplacement, redistribution des budgets : le secteur de la publicité digitale est bouleversé et cherche les alternatives pour rester à flot.
Lélia de Matharel
\ 08h00
Lélia de Matharel
Les enjeux
- Google met progressivement fin aux cookies tiers sur Chrome depuis le 4 janvier. Apple et Mozilla l'ont fait en 2017 et 2019 sur leurs moteurs de recherche Safari et Firefox. Mais Chrome pèse bien plus lourd…
- Risque de baisse de la performance des campagnes des annonceurs, car les données collectées sur les internautes seront moins précises.
- Les revenus captés par les campagnes basées sur les cookies tiers vont basculer en partie vers des outils existants ou de nouvelles solutions créées pour pallier cette disparition, comme la nouvelle suite de Google, baptisée Privacy Sandbox.
Le serpent de mer de la fin des cookies tiers sort enfin la tête du marécage où il s'était embourbé. Google avait annoncé, en 2020, qu'il mettrait un coup d'arrêt en 2022 à l'utilisation de ces petits programmes capables de tracer les internautes d'un site à l'autre, avant de décaler à deux reprises l'échéance. Mais, depuis le 4 janvier, les cookies tiers ne peuvent plus être utilisés chez 1 % des internautes qui surfent sur Chrome, son navigateur. Le nombre d'utilisateurs concernés, choisis de façon totalement aléatoire, va être étendu petit à petit en 2024, à un rythme que seul Google connaît.
Mesure de la performance, distribution des budgets entre les différents canaux du marketing digital… « La fin définitive de l'utilisation de ces outils va générer un changement radical au sein de notre écosystème », anticipe Geoffroy Martin, aujourd'hui PDG d'Ogury, société spécialisée sur la publicité ciblée, et ex-directeur de la division retail media de Criteo.
Le chiffre
- 65 % : la part de marché mondiale de Chrome, le moteur de recherche de Google, parmi l'ensemble des navigateurs en avril 2023, tous supports confondus
Source : Statcounter
« Google a construit une solution alternative aux cookies tiers pour le navigateur Chrome baptisée la Privacy Sandbox », souligne Benoit Bacuvier, gérant de Snow Globe. « Il espère qu'elle va s'imposer, en remplaçant chaque fonction d'un cookie par une interface de programmation », explique Arnaud Barbillon, data business lead chez le spécialiste Teads. Changements de noms, de technos sous-jacentes… La construction de ses API a été acrobatique. De nombreux acteurs du marché attendent la sortie d'un outil définitif pour adopter, ou non, la Privacy Sandbox et investir des fonds. La fin des cookies tiers touchera fortement les annonceurs. Ils risquent devoir, en même temps, baisser les performances de leurs campagnes et progresser leurs coûts. « Aujourd'hui, les outils de mesure de la performance sont majoritairement basés sur les cookies tiers, qui permettent de calculer l'efficacité d'une campagne pour chaque personne ciblée. Ils vont devoir s'adapter, passer à de l'échantillonnage, moins précis », détaille Arnaud Barbillon. « Les entreprises qui font beaucoup de branding pour faire connaître leur marque auprès d'audiences ciblées vont être touchées », complète Benoit Bacuvier.
Qui raflera la mise ?
Le budget des annonceurs placé dans des campagnes ciblées va être en partie redistribué. Il alimentera les autres outils de marketing digital déjà présents sur le marché, mais aussi ceux qui sont en train d'être construits pour remplacer les programmes de tracking. Les grands gagnants de ce big bang pourraient être les géants du Net, Google, Facebook et autres TikTok, ainsi que les distributeurs et e-commerçants qui surfent sur la vague du retail media (publicités diffusées directement sur un site e-commerce en s'appuyant sur ses datas pour cibler).
Les sites de ces entreprises ont une grosse audience avec de nombreux internautes identifiés. Ils collectent directement sur leurs plates-formes de précieuses données « first party » (de première main), dont la précision va devenir encore plus attractive sur le marché.
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Mais les Gafa, le retail media et les publicités diffusées sur le moteur de recherche Google captent déjà les trois quarts des budgets dédiés au marketing digital. De nombreux annonceurs estiment qu'ils font suffisamment de publicité sur ces canaux. L'inventaire (le nombre de publicités qu'il est possible de diffuser sur un site) disponible sur ces plates-formes n'est pas infini : les prix vont augmenter.
Ces entreprises utilisaient souvent les cookies tiers pour récolter des informations sur le comportement de leurs utilisateurs ailleurs sur le Net. Elles agrégeaient ensuite ces informations « tierces » avec leurs données propriétaires, pour avoir des portraits encore plus précis de leurs clients, et les vendre plus cher aux annonceurs. La fin des cookies tiers va faire baisser la qualité de ces informations et donc les performances des campagnes réalisées sur ces sites.
Publicités contextuelles
L'autre canal qui pourrait récupérer une partie de ces revenus est la publicité « contextuelle ». Les annonceurs poussent, par exemple, une pub sur une raquette de tennis à côté d'une interview de Novak Djokovic, grâce à des outils qui analysent le contenu textuel et visuel des pages web. « Ces données sont complétées par l'heure de la journée ou l'appareil utilisé par l'internaute…», détaille Arnaud Barbillon. Certains prestataires ajoutent aussi des informations probabilistes sur le profil des lecteurs d'une page donnée.
Un dernier système pourrait se développer : les identifiants publicitaires. Ils tracent les internautes d'un site à l'autre, comme leurs grands frères au nom gourmand, mais avec des outils différents. Au lieu du navigateur web, ils utilisent l'adresse IP, le mail… « Une centaine d'acteurs ont créé des solutions d'identification publicitaire. Aucune ne s'est imposée pour le moment. Elles ne représentent qu'une fraction de l'audience globale », pointe le PDG d'Ogury. « Comme ces identifiants ne sont pas basés sur la même méthodologie, il est impossible de réconcilier les données et donc de mesurer efficacement leurs performances », ajoute Arnaud Barbillon. Le passage à l'échelle de ces solutions n'est pas pour demain. Google pourrait-il faire volte-face sur la fin définitive des cookies tiers ? « Non, ils sont déjà trop engagés dans le processus », assure l'expert de Teads.
Une aubaine pour les distributeurs
Enseignes et e-commerçants n'ont pas attendu la fin des cookies pour se lancer dans la publicité digitale, avec le retail media qui s'appuie sur leurs propres données. Ils commercialisent depuis trois ans à grande échelle espaces publicitaires et données sur leurs clients, collectées au plus près de l'acte d'achat. Un business qui concerne les gros sites au trafic important. En plus des e-commerçants, Amazon en tête, les géants de la distribution alimentaire se pressent sur ce marché.
E.Leclerc a sa Consorégie (16 millions de visiteurs uniques par mois), Carrefour (13,5) s'est associé à Publicis au sein d'Unlimitail, et permet à des distributeurs tiers de faire du retail media. Dans le non-alimentaire, Fnac Darty (16,3), avec Retailink, est l'un des rares à maîtriser l'omnicanal (chiffres Médiamétrie). Dans le secteur de la maison, par exemple, 11 structures existent aujourd'hui, contre 3 il y a deux ans.
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