Faire pousser du coton dans le Gers ? Le pari fou (et réussi) de trois agriculteurs
À Montréal-du-Gers, au lieu-dit Luzent, des champs aux fleurs blanches s'étendent à perte de vue. Le coton, cultivé à la faveur de conditions particulièrement propices, est transformé en vêtements sans quitter l'Hexagone.
Installé sur un ancien site gallo-romain, Montréal-du-Gers n'est pas seulement une cité antique et médiévale de Gascogne. Ici, au cœur du département du Gers, au pays de l'armagnac et du foie gras, le village pourrait bien devenir célèbre pour son coton. À la sortie du village, sur les coteaux argilo-calcaires de Gascogne, de vastes champs de coton s'étendent au milieu des vignes et des céréales.
Au début du mois d'octobre, Yohan de Wit et les frères Médéric et Samuel Cardeillac, des amis d'enfance, ont reçu la visite de quelques hommes en costume, prêts à acheter la production de la prochaine campagne pour le compte d'une marque de maroquinerie de luxe. « Nous ne sommes pas très doués pour les réseaux sociaux. Nous communiquons peu. Nous avons été surpris de cette visite, mais cela montre qu'il y a un intérêt pour du coton made in France », s'enthousiasme Yohan de Wit.
Sans traitement chimique
C'est en 2016 que le jeune agriculteur et ses amis se sont lancés dans le pari fou de faire pousser du coton sur leurs terres, jusque-là occupées par de la vigne et des champs de blé, de tournesol et de maïs. « Avec l'idée de diversifier notre activité, nous avons réfléchi à ce qui est important dans la vie des gens. Les Français boivent, mangent et aiment s'habiller, alors pourquoi pas avec des vêtements fabriqués avec du coton français ? »
Ils achètent leurs premières graines de coton sur un site de jardinerie en ligne et commencent par les faire pousser dans leur jardin. Ils démarrent la production sur deux hectares, puis quatre. Sept ans plus tard, les surfaces cultivées sont en passe de doubler. «Nous sommes sur un sol argilo-calcaire qui offre des conditions idéales. Nous n'avons pas mis en place de système d'irrigation. L'humidité du sol et l'eau de pluie suffisent. Les arbustes résistent bien aux périodes caniculaires » , explique volontiers Yohan de Wit.
Des polos 100% made in France
Les graines semées au printemps permettent normalement de récolter les fleurs de coton fin novembre, début décembre. Mais cette année, les fleurs sont arrivées à maturité dès la mi-octobre. Sans irrigation, donc, et sans traitement chimique. La production n'est pas pour autant labellisée bio. Les volumes ne sont pas assez importants et les agriculteurs n'ont pas encore suffisamment de recul. « Les arbustes se développent sans difficulté. Cependant, notre principal souci cette année est une attaque de xanthium. Il s'agit d'une plante tropicale très invasive qui peut asphyxier le plant de coton. La seule solution est de désherber à la main, ce qui représente une tâche immense », poursuit l'agriculteur.
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En cette fin de semaine, alors que la pluie est annoncée pour le week-end, Yohan de Wit passe entre les rangs des arbustes au volant d'un camion pour récolter les fleurs de coton. Dans un marché mondial dominé par l'Inde, le Brésil, la Chine et les États-Unis, le coton gersois n'est pas destiné à être vendu comme matière première mais à être valorisé sous la forme de polos et de tee-shirts 100% made in France, commercialisés sous la marque Jean Fil.
Tour de France du coton
Le coton récolté est d'abord placé dans une machine afin de séparer les graines de la fibre et d'en retirer les impuretés. « Nous l'avons achetée sur le site de commerce en ligne chinois Alibaba. Elle est arrivée par avion en pièces détachées jusqu'à Montréal-du-Gers. Nous avons eu du mal à l'assembler mais nous y sommes arrivés », raconte Yohan de Wit.
Une fois cette opération réalisée, le coton est séché à l'air libre quelques jours et formé en ballots avant de partir sur les routes de France. « La qualité du coton est identifiable à sa couleur blanche, à la longueur de la fibre et à son épaisseur. Celui que nous produisons coche ces trois critères. Il peut être utilisé pour fabriquer des vêtements militaires », souligne l'agriculteur.
120€ le polo et 50€ le t-shirt
Direction Troyes (10), dans une usine de filature, puis dans les Vosges pour le tricotage du tissu et la teinture et, enfin, dans les Landes pour la partie confection. La gamme est simple. Deux collections, une pour homme et l'autre pour femme. En 2023, Jean Fil a vendu depuis son site internet une centaine de polos et une centaine de tee-shirts. Le prix des vêtements n'a évidemment rien à voir avec ce que les enseignes de la fast-fashion proposent. Il faut compter 120 € pour un polo et 50 € pour un tee-shirt. « Notre coton est complètement déconnecté des cours mondiaux. Nous partons de nos coûts de production pour fixer le prix des vêtements, fabriqués en France », insiste Yohan de Wit. Bien loin du modèle décrié du chinois Shein.
Alors que l'impact social et écologique de la mode est un sujet qui monte et que l'affichage environnemental des vêtements doit aussi, à partir de 2024, aider les consommateurs à faire leurs choix, le coton de Montréal-du-Gers n'a sans doute pas fini de faire parler de lui…
Pourquoi fabriquer du coton dans le Gers ?Des conditions idéalesSur les coteaux de Gascogne, le sol argilo-calcaire offre des conditions idéales pour les arbustes de coton qui ont besoin d'humidité et supportent de grosses chaleurs.Une récolte précoceLes semis se font au printemps et la récolte, traditionnellement, fin novembre ou début décembre. Cette année, elle a commencé dès le mois d'octobre. Elle se fait à l'aide de ce camion qui passe entre les rangs des arbustes.Une matière de qualitéLe coton récolté est séché quelques jours à l'air libre. Sa qualité est perceptible à la longueur de la fibre, sa blancheur et son épaisseur.Une égreneuse d'AlibabaLa machine achetée sur un site de commerce en ligne chinois est une égreneuse. Elle sert à séparer les graines de la fibre et à en retirer les impuretés.
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