Ikea, analyse d'un conflit social
Magali Picard
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Magali Picard
«Ils savent compter leurs sous, pas leurs salariés. » Marylène Laure, déléguée syndicale centrale CGT, huit ans d'ancienneté, 1 150 E net par mois pour 33 heures hebdomadaires, n'en démord pas : il y avait bien 1 000 salariés en grève sur 3 000 planifiés dans les 26 magasins français ce samedi 13 février. La direction, elle, en avançait la moitié, 500, soit 9 % des effectifs. Au-delà de la bataille des chiffres, une chose est sûre : Ikea n'avait jamais connu une grève pareille. Mis à part quelques débrayages en 2007, tout allait bien dans le meilleur des mondes à la suédoise, jusqu'à ce 6 février où, pour la première fois de son histoire, un magasin, celui de Thiais (Val-de-Marne) a dû rester fermé. Après plus de dix jours de conflit, l'image sociale de l'entreprise en ressort sacrément ternie. Drôle de baptême de feu pour Stefan Vanoverbeke, directeur général d'Ikea France depuis fin janvier. Le successeur de l'emblématique Jean-Louis Baillot s'en souviendra longtemps. Une dernière réunion devait se tenir mercredi 17 février, alors que les syndicats menacent de bloquer les entrepôts.
Salaires, horaires, effectifs...
Difficile de prévoir une telle mobilisation. Autant les salariés de Conforama s'étaient insurgés il y a un an quasiment jour pour jour contre un plan de réduction d'effectifs drastique, autant ceux d'Ikea ne subissent pas (heureusement pour eux) le même régime. Point de départ du conflit, les négociations salariales, qui se tiennent chaque année en février. Les syndicats ont vu rouge quand la direction leur a proposé une augmentation individuelle au mérite de 1 %... et aucune collective. Celle-ci revoit sa copie et revient à la table des négociations avec une enveloppe de 2 %. Rien n'y fait, les syndicats restent arc-boutés sur une hausse de 4 % (2% collective et 2% individuelle). Mais, surtout, le conflit dégénère rapidement avec, en toile de fond, la détérioration des conditions de travail. « Nous avons perdu 10 % des effectifs alors qu'il y a eu trois ouvertures de magasins en 2009, ce qui représente 1 200 emplois », pointe Marylène Laure. Et de dénoncer le manque d'effectifs en logistique, en caisses ou aux restaurants. Même malaise concernant la variabilité des horaires. « Nous acceptons de faire des semaines hautes, à plus de 40 heures, mais, en contrepartie, nous ne pouvons pas récupérer comme nous le voulons », avance un salarié.
Une enseigne plutôt épargnée par la crise
La croissance rapide de l'entreprise (sept nouveaux magasins en trois ans) n'aurait pas été compensée par une gestion sociale des effectifs. Et les syndicats ont beau jeu de mettre en avant les bénéfices nets d'Ikea France : 52 millions d'euros pour le dernier exercice clos le 31 août 2009 pour un chiffre d'affaires de 2,2 milliards d'euros, après plus de 80 millions d'euros en 2008. « C'est un peu la douche froide pour les salariés, analyse Valérie Jaunasse, consultante à la Cegos en droit et relations sociales. Ikea était leader sur son marché avec une politique sociale généreuse, mais n'est pas à l'abri de la crise. Or, les salariés n'ont pas vu venir le retournement de conjoncture et n'ont pas été informés préalablement. » Un retournement qui a frappé de plein fouet le secteur du meuble avec une baisse de 3,1 % de chiffre d'affaires en 2009 selon l'Ipea (Institut de promotion et d'études de l'ameublement), mais dont Ikea sort plutôt épargné. L'enseigne suédoise a en effet gagné 1,2 point de part de marché en 2009, pendant que ses concurrents décrochaient.
Un malaise général dans la distribution
La direction d'Ikea aurait-elle devancé la crise ? « Nous gagnons des parts de marché, mais notre chiffre d'affaires recule à périmètre constant », plaide-t-elle. Et d'ajouter : « Nous investissons plus en France que nous ne gagnons d'argent. » À savoir 100 millions d'euros pour deux ouvertures de magasins en 2010. Côté direction, on met en avant également une politique sociale plutôt meilleure que celle de la moyenne des distributeurs (lire ci-dessus). Le conflit chez Ikea cristallise en réalité des mécontentements latents dans la grande distribution. Le baromètre social effectué auprès du secteur du commerce par la Cegos en 2008 montre bien l'insatisfaction des salariés de ce secteur. 51 % seulement se disent satisfaits des horaires contre 71 % dans les autres secteurs ; 55 % se trouvent stressés, alors que le chiffre atteint 51 % ailleurs. Sans commentaire.