LSA et l'Ania décryptent le projet de loi
Alors que le gouvernement présentera prochainement la loi alimentation, LSA a souhaité réaliser, avec l’Ania, une analyse des différents points de ce texte qui imposera de nouvelles règles lors des négociations commerciales.
Yves Puget
\ 00h00
Yves Puget
Les chiffres :
37 % : le nombre d’entreprises ayant obtenu une hausse de tarif auprès des distributeurs lors des négos 2018, en moyenne de 1,5 %
Source : Ania
Depuis des semaines, l’Ania (Association nationale des industries alimentaires) dénonce des négociations commerciales 2018 catastrophiques. « Je suis en colère. Cela fait cinq ans que la situation se dégrade et personne ne réagit. Combien d’emplois détruits, d’investissements retardés voire abandonnés, d’exploitations agricoles ou d’entreprises obligées de mettre la clé sous la porte ? Pourtant tous les distributeurs s’étaient engagés dans le cadre des EGA devant les ministres et le président de la République à mettre fin à la guerre des prix entre les enseignes. Ils n’ont pas respecté leur parole et, pire, on assiste cette année à une véritable campagne de désinformation de certains acteurs », s’indigne Jean-Philippe Girard, président de l’Ania. C’est pourquoi LSA a demandé à cette association, qui représente plus de 17 000 entreprises de l’agroalimentaire, d’expliquer, selon elle, la teneur du projet de loi alimentation.
En effet, en contrepartie de la mise en place de plans de filières stratégiques, Emmanuel Macron s’est engagé sur un certain nombre de mesures visant à mettre fin à la guerre des prix. « Le dispositif est né des discussions entre tous les acteurs lors des EGA. C’est une opportunité unique de rééquilibrer le rapport de force et de recréer de la valeur pour tous les acteurs de la filière alimentaire (agriculteurs, industriels, distributeurs) au profit du consommateur, en mettant fin au dumping sur tous les produits alimentaires », explique Jean-Philippe Girard.
Une hausse du SRP
Aujourd’hui, les enseignes de la grande distribution se livrent une véritable guerre des prix et des promotions. Certains produits d’appel sont vendus à prix coûtant, sans marge, et donc sans intégrer les coûts de distribution et de logistique. Pour recouvrir les coûts, les distributeurs vont devoir marger sur d’autres produits moins « bataillés », par exemple les produits agricoles ou issus des PME locales… Pour mettre fin à ce système déséquilibré, le projet de loi alimentation devrait relever le seuil de revente à perte (SRP), c’est-à-dire majorer de 10 % le prix le plus bas auquel les produits peuvent être vendus en intégrant les coûts de distribution. Seuls les produits ayant des marges brutes inférieures aux coûts de distribution (5% par exemple), seront touchés par la hausse du SRP. Les produits ayant des marges brutes supérieures aux coûts de distribution ne seront pas concernés. « C’est la raison pour laquelle la hausse du SRP n’est pas synonyme de hausse des prix pour tous les produits », assure Jean-Philippe Girard. L’objectif de cette hausse obligatoire des marges sur les produits les plus bataillés est de faire disparaître les besoins de rattrapage de marges sur d’autres produits, agricoles par exemple. Les distributeurs pourraient alors accepter de rémunérer davantage les fournisseurs sans pour autant augmenter les prix massivement. « La hausse du SRP permettra de redonner de l’oxygène à tous les maillons de la chaîne. La marge retrouvée sur les “grandes noms” devrait bénéficier aux marques de PME et de produits régionaux que les distributeurs vendent aujourd’hui avec une surmarge destinée à compenser la faible marge réalisée sur les produits de grandes marques», poursuit Jean-Philippe Girard. Le gouvernement a estimé le surcoût de ce relèvement du SRP à 828 millions d’euros par an, soit 1 euro par mois par Français. Ce chiffrage est fondé sur le périmètre de l’ensemble des produits de la filière alimentaire française, c’est-à-dire en prenant en compte les produits agricoles et les produits transformés. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Stéphane Travert, interrogé fin mars dans L’Opinion, estimait le coût de la mesure à 800 millions d’euros, soit un surcoût de « 50 centimes par panier moyen ».
Les industriels de l’Ania estiment pour leur part que seuls les 5 000 produits les plus bataillés (qui subissent de plein fouet la guerre des prix et des promotions depuis quatre ans) seront concernés par la mesure, soit 18% de la consommation moyenne des ménages. Ce chiffrage est fondé sur le périmètre des produits industriels transformés. L’impact estimé du surcoût lié à la mesure ne devrait donc représenter que 391 millions d’euros par an, soit 50 centimes par mois et par Français. UFC-Que choisir ne partage pas cet avis et annonce le chiffre de 5 milliards d’euros. L’Ania évoque « des estimations largement surévaluées voire fantaisistes » de la part de l’association de consommateurs. D’une part, parce qu’elles reposent sur un périmètre très large. La hausse a été affectée à tous les produits alimentaires vendus dans tous les points de vente (par exemple les pommes de terre achetées au marché) alors que peu sont concernés par la mesure du relèvement du SRP. Et, d’autre part, parce que, partant du principe d’une expérimentation sur deux ans, UFC-Que choisir a appliqué deux fois le relèvement du SRP, 10% sur 2018 et 10% sur 2019, ce qui est une erreur. L’impact obtenu est ainsi multiplié par deux.
Certains évoquent aussi le fait que cette hausse du SRP ne serait pas conforme au droit communautaire, les dispositions des droits belge et espagnol relatives au SRP ayant été considérées comme potentiellement contraires au droit communautaire car entrant dans le champ de la directive européenne n°2005-29 du 11 mai 2005 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. Or, le projet de loi vise la protection de la concurrence au niveau des entreprises, et non au niveau du consommateur. « Nous considérons donc que ces dispositions, dans la mesure où elles n’entrent pas dans le champ de la directive PCD, ne sont pas en contrariété avec le droit communautaire », estime Jean-Philippe Girard.
L’encadrement des promotions
Elles seraient plafonnées à hauteur de 34% de la valeur des produits (afin de permettre les opérations du type 1 produit offert pour 2 achetés) et de 25% du volume vendu par an (mais le taux n’est pas encore indiqué dans le projet de loi). Pourquoi une telle mesure? Parce qu’à la guerre des prix s’est ajoutée une guerre des promotions, financées quasi exclusivement par les industriels, qui restreint encore leurs marges, fait perdre la notion de juste prix au consommateur, et est source de gaspillage. « Un encadrement des promotions vise à recentrer les négociations sur le prix tarif (prix unitaire net) de l’industriel, afin de favoriser un rééquilibrage des négociations commerciales », analyse Jean-Philippe Girard. Une telle mesure éviterait également un report de la guerre des prix sur les promotions du fait du rehaussement du SRP, ce qui priverait d’effet la réforme.
La contractualisation rénovée
Le principe est d’inverser la construction du prix en « redonnant la main » à l’amont agricole. Le producteur, éventuellement via son organisation de producteurs, sera désormais acteur de la proposition de contrat. Cette contractualisation rénovée devra tenir compte de la réalité des prix de production et de marché.
Le renforcement de la clause de renégociation
Les agriculteurs et industriels de l’alimentaire sont particulièrement exposés à la volatilité des matières premières et le dispositif actuel ne fonctionne pas. Il implique en effet de se mettre autour de la table des négociations, sans obligation de parvenir à un résultat. Le projet de loi vise à faciliter la mise en œuvre de cette clause dans des délais plus courts pour être plus efficace et permettre d’ajuster le prix aux circonstances économiques. Il prévoit ainsi que le délai de renégociation du prix soit ramené à un mois (au lieu de deux actuellement). En cas d’échec, il sera obligatoire de recourir au médiateur des relations commerciales agricoles (dont la mission ne pourra excéder une durée d’un mois), préalablement à toute éventuelle action en justice. L’interdiction pour un distributeur d’exiger de son fournisseur des prix de cession abusivement bas sera précisée dans le cadre de l’ordonnance visant à clarifier le Titre IV du Livre IV du Code de commerce.
Un renforcement des moyens de certaines structures
L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, France Agrimer, le médiateur des relations commerciales et agricoles et la Commission d’examen des pratiques commerciales verraient leurs moyens renforcés. « Tout simplement parce que les délais judiciaires ne sont pas adaptés à la vie des affaires. Les bonnes pratiques doivent être encouragées et la médiation et l’arbitrage présentent des délais et modalités de fonctionnement mieux adaptés pour faire respecter de bonnes pratiques commerciales et sanctionner les abus », note Jean-Philippe Girard.
Une simplification du Titre IV du Livre IV du Code de commerce
Ce texte traite de la transparence et des pratiques restrictives de concurrence, notamment concernant la notion de déséquilibre significatif (garde-fou essentiel en matière de pratiques abusives de la distribution). « C’est important parce que la loi est devenue extrêmement complexe du fait de l’empilement de textes au cours des dernières années (huit lois en quinze ans, une loi par an au cours des quatre dernières années). Elle n’est donc pas ou mal appliquée, contrôlée et sanctionnée », affirme Jean-Philippe Girard. Avant de conclure : « La loi doit donc être clarifiée et simplifiée, à droit constant pour être plus simple, plus efficace et plus lisible pour les opérateurs (notamment les PME), et pour faciliter son application et ses contrôles. »
Des abus trop fréquents
L’Ania constate souvent des pratiques abusives des enseignes, comme l’absence de prise en compte de la hausse significative des matières premières agricoles, qui sont extrêmement volatiles ; des exigences d’avantages ou de remises unilatérales et sans contreparties ; des déréférencements (ou des menaces de déréférencements) partiels ou totaux ; des pénalités logistiques qui se multiplient ; ou des comportements irrespectueux de certains acheteurs (pression psychologique, convocation à l’improviste, attente volontairement longue, changement brusque de date ou d’interlocuteur, nouvelles demandes au moment où un accord vient d’être trouvé, etc.).
Des amendes trop faibles ?
Les amendes et condamnations en cas de pratiques abusives prohibées par le Code de commerce ne sont pas suffisamment dissuasives, selon l’Ania. De plus, les remboursements des trop-perçus sont inefficaces puisque les distributeurs finissent par les récupérer lors des négociations suivantes… « Concrètement, les amendes restent sans commune mesure avec le gain tiré de la mauvaise pratique… », assure Jean-Philippe Girard. Il est donc nécessaire de prévoir un mécanisme suffisamment dissuasif pour que les pratiques abusives cessent de gouverner la négociation commerciale entre les distributeurs et leurs fournisseurs. »
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