Cent foncières immobilières lancées au secours des coeurs de ville
Grâce au soutien financier de la Banque des Territoires, le gouvernement veut donner les moyens aux collectivités de prendre en main la redynamisation commerciale de leurs cœurs de ville, via la création de foncières. La réussite est possible à condition d’associer tous les moyens d’expertise et partenaires professionnels pour s’assurer de la viabilité commerciale des projets. Et de ne pas céder aux visées utopistes.
Daniel Bicard
\ 11h28
Daniel Bicard
Le dispositif
- Il se base sur le Plan en faveur du commerce de proximité, de l’artisanat et des indépendants, annoncé le 29 juin par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, lors de l’examen du troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3), à l’Assemblée nationale.
- Il prévoit le déploiement de 100 foncières, constituées avec les collectivités locales dans toute la France et ses territoires d’outre-mer.
- Il se fixe une échéance à cinq ans.
- Il est financièrement soutenu par la Banque des Territoires.
Sa finalité
- Rénover 6 000 à 10 000 petits commerces.
- Revitaliser le commerce de proximité, les commerçants indépendants et les artisans.
- Acheter des commerces vacants ou en difficulté, les rénover et les louer à un tarif préférentiel.
- Atteindre, à terme, un équilibre économique viable.
Le chiffre
- 80 000 : le nombre de commerces en centre-ville des villes moyennes fortement impactés par le confinement
Source : Banque des Territoires
On savait déjà les villes malades de leur cœur, avec une vacance commerciale qui a doublé en France durant les dix dernières années. Le confinement a redoublé le mal. « Ce sont 80 000 commerces en centre-ville de villes moyennes qui en subissent fortement l’impact, détaille la Banque des Territoires. Facteur de fragilité accru par le fait que 70 % des commerces de ces villes sont des commerces indépendants, avec une surreprésentation des types de commerce (hôtels-cafés-restaurants) les plus vulnérables aux fermetures, tandis que le commerce alimentaire, qui a pu rester ouvert, est sous-représenté, à 11 %. »
D’où cette initiative de l’État d’une ampleur inédite : la création de 100 foncières, d’ici à cinq ans, pour rénover 6 000 à 10 000 petits commerces. Avec, pour bras armé, la Banque des Territoires, direction dédiée de la Caisse des dépôts et consignations créée en mai 2018, instrument financier du projet. Dont la première action a été signée à La Roche-sur-Yon, en Vendée. Ces opérations ont pour but de lutter contre la vacance commerciale et la mono-activité en proposant, dans un appareil commercial revisité et réhabilité, des locaux à loyer modéré à des commerçants et artisans « choisis ». Cette décision annoncée par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, fin juin, nourrit son vaste Plan en faveur du commerce de proximité, de l’artisanat et des indépendants. Mais l’idée vient de plus loin, puisque l’intention de créer de telles microfoncières locales était déjà en germe dans le tout aussi vaste rapport sur la revitalisation commerciale des villes petites et moyennes, remis à l’Assemblée nationale en mars 2018 par André Marcon comme texte préparatoire à la loi Elan. Reste à définir la forme, le type de partenariat, le périmètre d’action, les apports d’expertise et les conditions de viabilité de ces outils locaux.
Ces foncières ne relèvent certes pas de la « génération spontanée », puisque « des sociétés d’économie mixte sont déjà au travail sur les territoires, certaines d’envergure régionale, d’autres départementale ou municipale. Ce qui nous intéresse, c’est de nous appuyer autant que faire se peut sur ces outils existants, sans s’interdire d’en créer de nouveaux », précisait Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre, lors de la présentation du plan.
La proximité, un service à la population
De plus, un modèle éprouvé d’accompagnement des collectivités pour remodeler leurs équipements commerciaux existait déjà. Il s’agit de l’Epareca (Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux), spécialisé depuis 1996 dans la réhabilitation des espaces commerciaux en déshérence dans les quartiers sensibles. Celui-ci a intégré l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), mise en place en janvier.
Ex-directrice générale de l’Epareca, Valérie Lasek est désormais directrice générale adjointe à l’appui opérationnel et stratégique de l’ANCT. « Les foncières en voie de création sont autant de mini-Epareca, résume-t-elle. L’angle s’élargit des quartiers sensibles à des cœurs de ville semblablement abandonnés par l’investissement privé. Elles ont les mêmes missions d’acquérir, restructurer, gérer, exploiter des équipements commerciaux pour les remettre sur les marchés des investisseurs. Nous œuvrons ainsi pour le besoin de proximité, vrai service à la population, et donnons aux collectivités les moyens de se prendre en main. »
La preuve que les sociétés d’économie mixte préexistantes pourraient être les premières briques de cette vaste entreprise de (re)construction est aussi donnée par la Ville de Paris. Dans son programme électoral Anne Hidalgo, réélue maire, annonçait la création d’une foncière Paris Commerce et Proximité pour conserver la richesse et la diversité commerciale de la capitale, en acquérant et en installant, là aussi, les commerces les plus adaptés à chaque quartier. « C’est, dès 2004, avec la création de la Semaest (Société d’économie mixte de la Ville de Paris), à laquelle la Ville déléguait sa mission de préemption et de réinstallation, que nous avons entrepris ces actions de revitalisation et de lutte contre la mono-activité, détaille Olivia Polski, adjointe à la maire de Paris chargée du commerce et de l’artisanat. En 2017, nous lancions le GIE Paris Commerces pour développer une politique d’attribution des locaux situés en pied d’immeubles. Il s’agit aujourd’hui de regrouper ces initiatives et d’élargir leur périmètre partout dans Paris, en y associant la participation de la Caisse des dépôts. » Ce vaste projet encore en genèse vise à œuvrer à la fameuse « ville du quart d’heure », en régénérant plus spécialement les quartiers populaires et les déserts commerciaux, notamment sur l’arc nord-est des 18e au 20e arrondissements.
Pas de folles utopies
Il ne manque donc pas de sources d’inspirations et de préalables aux futures foncières. Mais les experts sondés par LSA recadrent vers le réalisme ce qui ne doit pas relever de folles utopies. « Que l’État donne les moyens aux collectivités d’être propriétaires de leurs commerces de cœur de ville et de les gérer, à travers ces outils, est une bonne nouvelle, juge Jérôme Le Grelle, directeur exécutif chez CBRE Retail. Mais le challenge est d’élaborer des stratégies viables. Il faut établir le bon merchandising, quantifier et proportionner les catégories d’offres, trouver le juste niveau de gamme en cohérence avec le statut de la ville, en ne cédant pas à la tentation de certains élus de “surclasser” leur cité, s’assurer aussi les flux… Bref, prouver la commercialité du nouvel ensemble pour être crédible auprès des enseignes que l’on veut faire venir. Et surtout ne pas perdre de vue, même si la philosophie de démarrage s’appuie sur des mises à disposition à loyers raisonnables, qu’au bout de l’exercice, c’est à une entreprise rentable que doit aboutir la démarche. Pas de foncière locale si l’environnement ne satisfait pas ces conditions ! »
Il est également indispensable pour les collectivités de s’entourer d’experts. « Au-delà de la connaissance intime que peut avoir tout élu de son tissu urbain, il doit être accompagné de professionnels du commerce, estime Jean-Sylvain Camus, consultant spécialiste en communication immobilière. Pour bâtir ensemble une vision stratégique de l’avenir de son centre-ville, et notamment comprendre qu’il ne peut mettre du commerce partout, mais doit au contraire raisonner et agir par centralités commerçantes. Jusqu’à avoir le courage d’admettre que certaines villes, qui en sont dépourvues, ne peuvent prétendre au déploiement commercial. »
Aussi investie que soit la Banque des Territoires avec ses 306 millions d’euros apportés aux budgets des futures foncières, auxquels s’ajoutent 500 millions d’euros de prêts, seule, elle ne pourra pas tout. Il s’agit de mobiliser aussi des contributeurs privés. Gontran Thüring, délégué général du Conseil national des centres commerciaux (CNCC), suggère de « faire appel à l’investissement local en sollicitant notamment les notables de la ville, qui ont de l’épargne à investir et sont d’autant plus susceptibles de soutenir les projets qu’ils concernent leur territoire, auquel ils sont attachés ». Soit les notaires, médecins, avocats, banquiers, assureurs et autres professions libérales constituant le « Rotary Club local ». « Le seul appui de la Banque des Territoires ne suffira pas si l’État n’accompagne pas ces initiatives de mesures fiscales incitatrices pour les occupants des locaux telles qu’exonération de taxes foncières ou de Tascom (taxe sur les surfaces commerciales)... », ajoute Jean-Sylvain Camus. Dans le même esprit, Gontran Thüring propose de faire profiter les investisseurs potentiels dans les futurs commerces « de bénéfices semblables, en matière d’économies d’impôts, que ceux accordés par la loi Pinel aux acquéreurs de logements neufs ».
Et tant qu’à œuvrer à la revitalisation urbaine, pourquoi limiter le périmètre aux cœurs de ville et la typologie aux rues commerçantes ? « La qualité d’un territoire ne se mesure pas uniquement à l’aune de son hypercentre, estime Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos. Ces initiatives devraient être élargies aux zones et friches de périphéries où la tâche est aussi vaste en matière de réhabilitation. » Frédéric Merlin, président de la Société des Grands Magasins, étendrait bien l’exercice du côté de sa foncière spécialisée dans l’acquisition et la réhabilitation de centres commerciaux d’hypercentre-ville : « Une redynamisation de cœur de ville moyenne ne peut se concevoir sans une galerie commerciale locale au firmament. Elles aussi devraient donc être intégrées dans les réflexions. »
On le voit, les suggestions ne manquent pas autour du grand dessein des 100 foncières. Il ne s’agit certes pas de copier-coller les stratégies des grandes foncières. Reste que l’initiative réclame l’apport professionnel de tous les experts et prestataires – juristes, commercialisateurs, gestionnaires, spécialistes marketing, etc. – de bonne volonté, pour arriver à gérer les centres-villes, sinon à l’identique de centres commerciaux, du moins comme des pôles marchands organisés, cohérents. Et surtout, pérennes.
La Roche-sur-Yon pionnière
Luc Bouard, maire de La Roche-sur-Yon (Vendée), a signé le 5 septembre, avec Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts (Banque des Territoires), une convention de partenariat visant à « favoriser l’attractivité et la qualité de vie du territoire de l’agglomération de La Roche-sur-Yon ». Elle lie les deux partenaires jusqu’en 2026. Ce partenariat se concrétise par la signature des statuts de la SAS Metropolys, première foncière Action cœur de ville en France. Constituée avec la société d’économie mixte locale Oryon, elle exercera son activité sur les secteurs des bureaux, commerces et logements et concentrera son action sur le développement du centre-ville, en démarrant dans le quartier des Halles. « Il s’agit de réactiver la fibre cœur de ville d’une agglomération dont le développement commercial s’était fait en périphérie dans les années 1990 et 2000, détaille Luc Bouard. Pour cela, nous achetons des bâtiments dont nous optimiserons l’accessibilité pour accueillir notamment des métiers de bouche. Nous conduirons aussi des opérations mixtes incluant l’habitat pour faire revenir nos habitants, désormais soucieux de bilans écologiques dans leur cœur de ville. » La Banque des Territoires apporte 775 000 € sur le total de 1,2 million de fonds propres dont se trouve dotée la SAS Metropolys pour ses premières acquisitions.
3 Questions à Michel-François Delannoy (Responsable des programmes nationaux - Banque des Territoires) : "Les effets du confinement confortent notre initiative"
LSA - Où le projet des 100 foncières trouve-t-il son origine ?
Michel-François Delannoy – Ce projet est né avec le plan national Action cœur de ville lancé en décembre 2017 pour conforter le rôle moteur des villes moyennes dans le développement du territoire. Avec cette intuition de départ de monter ces foncières locales comme véritables outils de redynamisation des cœurs de ville. Nous avons fait la proposition au gouvernement de développer cette démarche et c’est le ministre Bruno Le Maire qui a officialisé, le 29 juin, devant l’Assemblée nationale, l’objectif de déploiement de 100 foncières pour rénover 6 000 à 10 000 commerces de proximité sur cinq ans. Une nouvelle légitimité a été donnée à cette initiative, par le choc du confinement, dur et durable. Nous estimons à 80 000 le nombre de commerces en villes moyennes qui en ont subi l’impact, et à 30 %, au minimum, leur baisse de chiffre d’affaires en 2020.
Quels moyens sont-ils affectés au projet ?
La Banque des Territoires (entité dédiée de la Caisse des dépôts et consignations créée en mai 2018, NDLR) va investir 300 millions en entrant au capital des futures foncières. Et contribue en plus, à hauteur de 6 millions, aux budgets d’expertises préalables à cette structuration. Auxquels s’ajouteront 500 millions d’euros de prêts pour activer ces foncières. L’État a décidé de créer un fonds de soutien de 60 millions d’euros, sur 2021-2022, afin d’accompagner ces foncières pour des opérations de reconquête très coûteuses.
Où ce plan de déploiement en est-il ?
Une trentaine de foncières sont déjà actives. Et autant repérées pour y investir d’ici à la fin 2021. Ce qui porte déjà à une soixantaine le nombre de foncières structurées en un an et demi, sur la centaine annoncée. Notre rôle est de leur permettre d’élargir leur portefeuille aux actifs plus onéreux ou risqués dont elles se détournaient, faute de moyens. S’associant l’expertise d’ensembliers comme les banquiers, les investisseurs privés, les cabinets d’experts, les chambres de commerces, etc., ces sociétés auront pour décisionnaire ultime le maire ou l’élu intercommunal ou départemental. Et comme périmètre d’action, le plus souvent, celui des ORT (Opérations de revitalisation de territoire) inscrites dans la loi Elan, ou des zones fragiles reconnues par l’Europe. Leur but est, à défaut de dégager des rentabilités phénoménales, d’atteindre à terme un équilibre économique viable.
Les chiffres
- 30 % : l’estimation minimale de la baisse du chiffre d’affaires des commerces de centre-ville en 2020
- 15 à 30 % : la hausse des défaillances attendue en centre-ville en 2020
Source : Banque des Territoires
Cinq des foncières déjà créées
- SAS Metropolys pour La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte (85)
- Sema 71 pour Mâcon (71)
- Semaville pour Belfort (90)
- SAS Immobilière Charente pour Angoulême (16)
- Breizh Cité pour la région Bretagne
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