De McDonald's à O'Tacos, les chaînes de restauration se trouvent à un tournant stratégique
Avec 21 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024, la restauration chaînée confirme son poids dans le paysage français. Mais sa croissance tient avant tout à l’extension des réseaux, dans un contexte de fréquentation en baisse. Le secteur se trouve à un tournant stratégique.
Nicolas Monier
\ 11h00
Nicolas Monier
La dernière édition de la Revue Chaînes, publiée par Food Service Vision en mai, dresse un constat clair : la progression du chiffre d’affaires des chaînes de restauration (+ 26 % entre 2019 et 2024, à 21 milliards d’euros) repose quasi exclusivement sur l’ouverture de nouveaux établissements. Le parc a bondi de 27 % en cinq ans, soit 3 591 points de vente supplémentaires, dont 786 rien qu’en 2024, tandis que le chiffre d’affaires moyen par restaurant reculait de 1 %. « Le gâteau continue de grossir, mais plus doucement. Et surtout, il se partage entre beaucoup plus d’acteurs », observe Florence Berger, directrice associée de Food Service Vision.
Selon elle, la fréquentation par établissement a chuté de 5 % en moyenne l’an dernier, confirmant une saturation à court terme. « La part d’estomac n’est pas extensible à l’infini », résume-t-elle. Pourtant, la consommation hors domicile française reste en deçà des standards observés au Royaume-Uni ou aux États-Unis, ce qui laisse un potentiel de développement.
Dans une interview accordée à LSA en juin dernier, Christophe Gaschin, directeur général du groupe Bertrand, posait d’ailleurs cette question : « Le marché est-il capable d’absorber toute la restauration ? C’est pour cela que nous avons voulu développer des enseignes complémentaires les unes par rapport aux autres et que nous saurons faire évoluer. » Il précisait aussi : « Il ne faut surtout pas, à mon sens, imaginer que la France se résume à Paris. Faire exister durablement une enseigne dans la capitale est plus difficile que dans le reste du pays. D’où l’importance de construire des marques emblématiques et solides. »
Les chiffres
- 123 Milliards d'euros : le CA 2024 de la consommation alimentaire hors domicile (CAHD), en progression de 2,3%
Source : Gira
La restauration chainée en chiffres
- 21 Mrds€ : le CA 2024 de la restauration chaînée, à +1 % vs 2023, dont 15,6 Mrds€ (+2%) pour les chaînes de restaurations rapides (311 enseignes au total) et 5,4 Mrds € (=) pour les enseignes de restaurations à table (141 enseignes)
Source : Food Service Vision
- 16845 : le nombre d’établissements, à + 5%
Source : Food Service Vision
Marché dense et fragmenté
La locomotive du secteur reste la restauration rapide, qui a capté l’essentiel de la croissance. Entre 2019 et 2024, ce segment a vu naître 3 702 points de vente, dont 739 en 2024, portant sa part de marché de 71 % à 75 %. Avec 311 chaînes actives, la restauration rapide génère désormais 15,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, en progression de 33 % depuis 2019.
Les fast-foods burgers dominent largement, avec 8,8 milliards d’euros, suivis par la viennoiserie-sandwicherie (1,5 milliard), les grills (1,06 milliard), le fast-food poulet (1,03 milliard) et les cafés-restaurants-pubs (768 millions). « Les mastodontes comme McDonald’s ou Burger King sont des contributeurs essentiels, mais la croissance se nourrit aussi de la diversification. Nous voyons monter des segments de cuisine grecque, africaine ou encore le snacking sucré », commente Florence Berger.
L’arrivée récente d’enseignes comme Dunkin’, Dairy Queen, spécialisée dans les glaces italiennes, ou Wingstop, pour le poulet frit, illustre cette dynamique. Pour Food Service Vision, ces nouveaux entrants renforcent l’intensité concurrentielle sur un marché national déjà dense et fragmenté.
D’ailleurs, en mai dernier, signe que l’événement était d’importance, Michael Haley, président et directeur général de la branche internationale du groupe américain Inspire Brands (Dunkin’, Buffalo Wild Wings, Arby’s, Baskin-Robbins, etc.) a fait le déplacement à Paris pour l’inauguration du premier flagship de l’enseigne Dunkin’, via la signature d’une master-franchise avec le belge QSRP (Burger King, Quick, O’Tacos).
« Le gâteau continue de grossir, mais plus doucement. Et surtout, il se partage entre beaucoup plus d’acteurs. »
Florence Berger, directrice associée de Food Service Vision
Le secteur est marqué par une structuration croissante autour de quelques acteurs majeurs. Food Service Vision identifie le « Big 8 », des groupes multi-enseignes réalisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires : Groupe Bertrand, Yum, Agapes, Le Duff, QSRP, Delineo, Baudaire et Wagram Food Service. Parmi eux, Groupe Bertrand se distingue par son hyperactivité : il compte désormais 13 enseignes réparties dans huit segments différents, du burger à la cuisine asiatique. « Les groupes de restauration investissent de plus en plus dans la reprise de master franchises étrangères, plus que les fonds d’investissement à proprement parler », explique Florence Berger.
Pour autant, le secteur continue d’attirer les capitaux. Bpifrance est entré chez Wagram Food Service en juin 2024, Berkshire Hathaway a pris une participation dans Domino’s Pizza à la fin 2024, et Iris Belgium a réinvesti, en janvier 2025, 15 millions d’euros dans l’enseigne belge Exki, spécialisée dans l’alimentation saine et durable. Cette combinaison de consolidations industrielles et d’investissements financiers illustre l’attrait persistant d’un marché jugé porteur malgré les tensions conjoncturelles.
Les segments les plus importants
Chiffre d’affaires 2024, en Mrds €, et évolution vs A-1, en %
Source : Food Service Vision
Cuisine du monde pour tous
Dans un contexte de fréquentation en baisse, les enseignes rivalisent de créativité pour attirer les consommateurs. « Les leaders ont compris que l’innovation était un levier de fréquentation majeur », insiste Florence Berger. L’année 2024 a ainsi vu se multiplier les éditions limitées, avec un engouement particulier pour les recettes spicy.
McDonald’s a ouvert la voie avec un partenariat autour de l’émission Hot Ones sur YouTube, rapidement imité par KFC et d’autres acteurs. Au-delà du goût, les marques exploitent la cuisine du monde comme source d’inspiration : des pizzas thaï chez Domino’s, des pâtisseries orientales chez Marie Blachère, ou bien des Crispy naan creamy & cheese et Crispy naan spicy tandoori pour KFC. « On peut être une enseigne généraliste et renouveler son offre en intégrant des influences internationales », souligne Florence Berger.
Podium des chaines de restauration à table
Source : Food Service Vision
Valoriser l’originalité
La bataille se joue aussi sur l’expérience client et la communication. Food Service Vision relève que les grandes chaînes comptent entre 500 000 et 3 millions d’abonnés sur les réseaux sociaux. Elles multiplient les partenariats avec des influenceurs, à l’image de Michou ou Amixem qui ont lancé leurs propres concepts de restauration. Cette effervescence cache toutefois un équilibre fragile. Les restaurateurs doivent composer avec la hausse continue des coûts, en particulier sur la viande. « Les marges sont chahutées, tandis que les consommateurs atteignent un plafond de verre », prévient Florence Berger.
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Le défi est d’autant plus complexe que la hausse des prix à la carte, pourtant inférieure à celle des matières premières, reste mal perçue par une clientèle sensible au rapport qualité/prix. Pour Food Service Vision, les acteurs qui tireront leur épingle du jeu seront ceux capables de valoriser l’expérience et l’originalité de leur offre. « Dans le contexte concurrentiel que nous connaissons, la capacité à surprendre et à fidéliser le consommateur est devenue une condition de survie », résume Florence Berger. On le voit, le potentiel reste important, mais la capacité des acteurs à innover et fidéliser sera décisive face à un marché saturé et sensible aux enjeux économiques.
Cet article est issu de l'édition du 18 septembre 2025