E.Leclerc accélère sur le commerce de proximité en centre-ville pour défier Carrefour et Casino
Jusqu’à présent chasse gardée de Carrefour et de Casino, la proximité suscite des convoitises. À défaut d’opération de croissance externe d’envergure, E. Leclerc accélère en plantant son drapeau dans les centres urbains.
Magali Picard
\ 07h00
Magali Picard
Les enjeux
- Le commerce de proximité reste le créneau le plus porteur (+ 2,6 % pour le chiffre d’affaires proximité réalisé par les GSA à fin mars 2025 selon Circana), surtout en milieu urbain.
- Ouvrir des supérettes dans le centre des villes permet au numéro un de la grande distribution alimentaire de couvrir les « zones blanches » d’où il reste quasiment absent, sauf avec les drives piéton.
- Les jeunes fréquentent moins les hypermarchés. Des commerces au cœur des grandes villes permettent de les attirer et de les faire venir demain, qui sait, dans les centres E. Leclerc.
Romain Leclair n’a pas froid aux yeux. Comme tout adhérent chez E. Leclerc, serait-on tenté de dire. Ce fils d’adhérent, qui vient d’accéder au statut en décembre dernier, non content de reprendre l’hypermarché familial, à Rivery, dans la banlieue nord-est d’Amiens, exploite deux drives et s’aventure maintenant dans le centre-ville de la capitale picarde.
En décembre 2024, ce trentenaire dynamique a agrandi le E. Leclerc Express qu’il avait ouvert un an auparavant, en doublant sa superficie, de 189 à 360 m². Objectif : renforcer les produits frais, qui lui manquaient cruellement. À côté de la place Gambetta, à deux pas des lycées et du quartier étudiant Saint-Leu, le petit magasin de proximité ne désemplit pas, sous les yeux du vigile posté à l’entrée. « Nous voyons défiler 750 à 800 clients par jour, se félicite Romain Leclair. Rapporté au mètre carré, c’est plus que mon hypermarché ! »
Sur une aussi petite surface, le magasin propose une offre riche de 9 500 références, soit 3 000 de plus qu’avant l’agrandissement. Présentes massivement, les gammes de marques propres Repère et celle des premiers prix Eco+, ainsi que des articles de dépannage pour le non-alimentaire, mais aussi des fruits et légumes, une cave avec des bouteilles au frais pour l’apéro, du poisson sous vide… C’est sur les produits frais que Romain Leclair compte s’améliorer. « Nous avons préféré favoriser le nombre de références plutôt que le snacking, mais il reste des pistes pour proposer une offre plus solide en viande, poisson, traiteur… », énumère l’adhérent.
Rude concurrence
Dans le centre d’Amiens, la concurrence devient rude. Carrefour règne avec pas moins d’une quinzaine de magasins, dont plusieurs de proximité. À 200 mètres de la supérette de Romain Leclair se trouvent deux Carrefour, City et Market. Et en septembre est annoncée l’arrivée d’Intermarché Express en face de la gare. Car Carrefour et Casino ne sont pas les seuls à lorgner du côté de la proximité.
Devant la croissance en berne des grands formats, le créneau fait partie des derniers, aux côtés de l’e-commerce, à afficher une part de marché et des ventes en hausse. D’où l’intérêt grandissant que lui porte le numéro un de la grande distribution alimentaire française. « Nous sommes tout aussi légitimes que Carrefour pour aller chercher de la part de marché en centre-ville, analyse Romain Leclair. Avec E. Leclerc Express, nous allons gagner un chiffre d’affaires qui ne vient pas naturellement à nous. Et ces clients-là seront peut-être les clients de demain de l’hypermarché. »
« La proximité, ce n’est pas que du chiffre d’affaires additionnel, cela nous permet de capter une clientèle qui n’entrait pas dans nos magasins auparavant. »
Romain Leclair, adhérent E. Leclerc à Amiens, un hypermarché, deux drives, et un Express en centre-ville
Petit retour en arrière. L’enseigne E. Leclerc Express n’est pas vraiment nouvelle. Créée il y a quinze ans, elle a connu quelques « tâtonnements » comme le reconnaissait Michel-Édouard Leclerc auprès de LSA en mars dernier. Le président du comité stratégique expliquait alors comment l’adhérent contracte un engagement de prix bas, « le moins cher sur sa zone, et peut ensuite se rapprocher de différentes clientèles, en mode multiformat ou multicanal ». « Il peut jouer sur toutes les touches du piano et piloter son offre, depuis le site internet national jusqu’à la livraison à domicile en passant par toutes les déclinaisons du drive. »
Interrogé par LSA, mais sous couvert d’anonymat, un adhérent du nord de la France renchérit : « Chaque adhérent est responsable de sa croissance. Le mouvement E. Leclerc est structuré pour accueillir un débouché de plus. » Avant-hier, le drive, que l’enseigne bleu et orange domine largement avec 50 % de part de marché ; hier, le non-alimentaire, qui pèse 17 % du CA total de l’indépendant ; aujourd’hui, la proximité, dernière arme pour couvrir les fameuses zones blanches d’où E. Leclerc reste absent ?
Les chiffres
- 112 E. Leclerc Express
- 132 drives piéton
- 30 relais mobiles
- 554 M € : le chiffre d’affaires estimé pour E. Leclerc Express
Source : E.Leclerc/LSA
- 361m² : la surface du magasin E. Leclerc Express d’Amiens
- 2 décembre 2024 : la date d’ouverture 2,4 M € de chiffre d’affaires en 2025
- 9 500 références
- 30 € de panier moyen
Source : entreprise
- 750 à 800 clients visitent chaque jour le magasin E. Leclerc Express d’Amiens
Tenir la promesse des prix bas
Le nouveau cap vers la proximité a été lancé en toute discrétion, il y a trois ans, dans le Sud-Est, à Draguignan (83) précisément. Ce n’est pas un hasard : l’adhérent responsable du chantier chez E. Leclerc n’est autre que Philippe Lelaure, président de la centrale régionale Lecasud et adhérent à Nice Saint-Isidore. Dans cette petite ville du Var, Loic Faraco, qui possède un hypermarché à une trentaine de kilomètres de là, au Luc, a ouvert un E. Leclerc Express dans une rue piétonne, à deux pas de la mairie. Sur 270 m², il propose un record de… 9 000 références.
Approvisionné directement par Lecasud, le magasin « tourne bien », affirme Loïc Faraco, peu disert. « Le panier moyen tourne autour de 10 euros. En plantant le drapeau E. Leclerc en centre-ville, nous touchons des gens qui rechignent à se déplacer en hypers. » Avec des prix E. Leclerc, pourrait-on ajouter. Car c’est bien là que le champion des prix bas compte faire la différence avec ses concurrents. « Nous sommes 15 à 20 % moins cher qu’Intermarché Express, 25 % moins cher qu’Utile (Coopérative U, NDLR) et 35 % moins cher que Spar (Casino NDLR) », affirme l’adhérent varois.
Dès lors, comment tenir cette promesse de prix bas alors que les coûts d’exploitation d’une supérette de proximité n’ont rien à voir avec ceux d’une grande surface ? Cédric Ducrocq n’y croit pas. Pour le fondateur du cabinet Diamart, « il est impossible de maintenir les prix de l’hypermarché en proximité avec les charges inhérentes à ce type de magasin. L’adhérent déporte les frais du magasin de proximité sur l’hypermarché, notamment les coûts salariaux ». Une forme de péréquation, l’un des basiques de la grande distribution. Pas faux. « La proximité est gérée comme un rayon supplémentaire de l’hypermarché », reconnaît un adhérent qui exploite deux Express. Pour Romain Leclair et Loïc Faraco, « les volumes et les flux font le reste »… et, oublient-ils de dire, la compression des marges, chaque adhérent étant totalement maître dans ce domaine.
Élargir son spectre
Gérés comme une extension du drive, les tests E. Leclerc Express qui concernent une centaine de magasins aujourd’hui, donnent des résultats probants, aux dires des adhérents. À Amiens, Romain Leclair emploie six salariés, tous issus de son hypermarché voisin, sans pour autant réduire les frais de personnel, qui représentent 12 % du chiffre d’affaires. L’ouverture de la supérette lui a permis de redynamiser le drive qui lui est accolé.
« L’adhérent fait un raisonnement global, explique David Pruvot, professeur de marketing à l’IUT d’Amiens. Grâce à ses deux drives, son hypermarché et maintenant une supérette, il élargit son spectre. » La semaine de la réouverture du E. Leclerc Express agrandi, en décembre dernier, le nombre de commandes sur le drive a doublé. Avec des prix 25 à 30 % moins chers que Carrefour City, Romain Leclair espère bien conquérir un maximum de clients. D’ici à la fin de l’année, il devrait réaliser 2,4 millions d’euros de chiffre d’affaires, devançant ainsi ses objectifs.
Et à l’échelle nationale ? Le mouvement présidé par Michel-Édouard Leclerc ressort quelque peu déconfit des récentes opérations de concentration. Il a juste réussi à mettre la main sur les 12 magasins du belge Colruyt, seulement après que Thierry Cotillard, le patron des Mousquetaires (Intermarché) a fait ses emplettes. Deviendront-ils des Express ? La rapidité et l’agilité de ces 550 adhérents biberonnés au pouvoir d’achat et à la conquête de parts de marché pourraient bien faire le reste. « Tout comme le drive, chaque hyper peut avoir deux Express qui font jusqu’à 500 m² et jusqu’à 1 000 m² parfois », assure un adhérent du sud-ouest de la France. À raison d’un chiffre d’affaires moyen de 5 à 6 millions d’euros et d’un maximum de deux magasins par adhérent, le potentiel pourrait atteindre 1 200 magasins pour un chiffre d’affaires de 6 à 7 milliards d’euros. Un joli relais de croissance.
Les moyens
- Les petites superficies, moins de 400 m², permettent de se passer de demander une autorisation d’ouverture devant la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). Depuis son explosion dans le drive où il détient la moitié du marché, le mouvement E. Leclerc est organisé pour accueillir un relais de croissance de plus. Il dispose de la capacité logistique (11 entrepôts automatisés dans ses bases régionales sur un total de 16) acquise avec le drive et de la puissance des hypermarchés.
- C’est aussi une manière de combler son retard en matière de croissance externe. Dans le grand mercato actuel de magasins, E Leclerc doit se contenter de la reprise de 12 magasins Colruyt, un maigre lot de consolation.
Les limites
- Il est difficile de tenir la promesse des prix bas en centre-ville alors que les coûts d’exploitation inhérents à l’emplacement (loyers notamment) sont forcément plus élevés qu’en périphérie.
- Pour supporter ces coûts, il faut nécessairement compenser par des volumes de ventes importants et par un mix produits davantage favorable aux marques de distributeurs, génératrices de marges.
Cet article est issu de l'édition du 4 septembre 2025
Top 100 des enseignes du commerce
AbonnésRetrouvez le classement annuel des 100 premières enseignes du commerce en France
Je découvre le classement