L'événement : "anticiper les risques pour accompagner l'innovation"
À l’occasion de la publication de la nouvelle enquête sur les habitudes alimentaires des Français, Roger Genet, le DG de l’Anses, revient pour LSA sur le rôle de l’Agence et sur les sujets polémiques du moment.
La Rédaction
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La Rédaction
LSA - Vous venez de publier une enquête, Inca 3, sur les habitudes de consommation des Français. Quelles en sont les principales conclusions ?
Roger Genet - Cette vaste enquête, réalisée tous les sept ans, est riche d’enseignements à bien des égards. Tout d’abord, nous constatons qu’il existe toujours une différence notoire entre les hommes et les femmes. Les premiers consommant davantage de charcuterie, de produits carnés, d’alcool, alors que les femmes ont un régime alimentaire plus équilibré et une meilleure connaissance des messages nutritionnels. Nous observons également une tendance vers plus de produits préparés (fait-maison et plats industriels). Enfin, c’est assez nouveau, l’enquête fait ressortir une multitude de problèmes liés au non-respect des règles sanitaires (DLC, cuisson…) et d’hygiène, notamment chez les CSP+, qui témoignent de la nécessité de faire de la pédagogie pour limiter les risques.
LSA - Qu’allez-vous faire de ces données ?
R. G. - À la différence des précédentes enquêtes Inca, nous avons utilisé une méthode standardisée au niveau européen qui nous permettra de comparer les résultats avec les autres pays. Cette méthodologie a été coordonnée avec l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments), qui l’a d’ailleurs proposée à tous les États membres de l’UE. Après l’analyse des informations, nous disposerons de données pour évaluer les risques liés à l’alimentation par rapport aux habitudes réelles des Français. Ce travail ouvre de nombreuses perspectives et nous irons plus loin en nous focalisant sur certaines habitudes alimentaires ou sur certaines catégories de population.
Forte présence des produits industriels
50% des aliments transformés et des plats composés consommés par les adultes de 18 à 79 ans, en dehors de la restauration, sont issus d’une fabrication industrielle et un tiers est fait maison
Plus de compléments alimentaires
29% des adultes consomment des compléments alimentaires (contre 20% vs Inca 2)
19% des 3-17 ans consomment des compléments alimentaires (contre 12% vs Inca 2)
Des apports en sel trop élevés
8 g d’apport en sel en moyenne par jour chez les adultes (8 g recommandé pour les hommes et 6,5 g pour les femmes)
Source : l’étude Inca 3 a été menée par l’Anses entre février 2014 et septembre 2015 auprès de 5 855 individus (enfants et adultes)
LSA - Comment constituez-vous les groupes d’experts pour vous assurer de leur intégrité ?
R. G. - Tous nos comités sont formés après appels à candidatures publics. Les experts scientifiques sont sélectionnés sur la base de leur compétence, bien sûr, mais également pour leur indépendance vis-à-vis de tout lien, qu’il soit économique ou intellectuel. Leurs déclarations publiques d’intérêt sont disponibles pour tous. Ce système a vocation à s’affranchir au maximum des conflits d’intérêts, qui, lorsqu’ils existent, doivent être identifiés et tracés, en faisant en sorte que l’expert concerné ne participe pas aux délibérations.
"« Il faut définir clairement les risques liés aux perturbateurs endocriniens. Cependant, il est difficile, dans la plupart des cas, de démontrer les effets directs sur l’homme. »
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LSA - Vous êtes à la tête de l’Anses depuis un an. Quelles nouvelles orientations allez-vous donner à l’agence ?
R. G. - Je m’inscris pleinement dans la voie ouverte par mon prédécesseur, Marc Mortureux. Depuis sa création, en 2010, les missions de l’agence n’ont cessé de s’étendre. Aujourd’hui, nous avons lancé un plan stratégique à horizon dix ans pour travailler sur la pertinence de notre rôle face aux enjeux de la sécurité sanitaire au plan national, mais également aux niveaux européen et mondial. Ma conviction est que nous devons être en capacité d’anticiper les nouveaux risques, qu’ils soient liés aux changements de mode de vie, de consommation ou aux nouvelles technologies…
LSA - Quelle place donnez-vous à la sécurité alimentaire dans les travaux de l’Anses ?
R. G. - La nutrition est un volet important sur lequel nous réalisons un travail très ordonné et structuré. Cette dernière année a été particulièrement riche. En septembre, nous avons publié une enquête sur l’alimentation totale infantile (EATI), c’est une première mondiale. Nous avons étudié 670 substances, dont les résidus de pesticides et les additifs, en conditions réelles, dans l’alimentation quotidienne des enfants de moins de 3 ans. Au final, neuf substances ont été considérées comme légèrement au-dessus du seuil de référence. Il en ressort une bonne maîtrise de l’alimentation de nos enfants en France.
Le rôle de l’Anses
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a été créée en juillet 2010 de la fusion entre l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) et l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail). Elle est placée sous la tutelle des ministères de la Santé, de l’Agriculture, de l’Environnement, du Travail et de l’Économie. L’agence assure des missions de veille, d’expertise, de recherche et de référence sur la santé humaine, la santé et le bien-être animal, ainsi que sur la santé végétale. Elle assure par ailleurs l’évaluation de l’efficacité et des risques, afin de délivrer les autorisations de mise sur le marché.
LSA - Que pensez-vous des politiques menées par les industriels pour diminuer les taux de sel, sucre et graisse dans leurs produits ?
R. G. - En résumé, je dirais « peut mieux faire ». À partir de notre base de données Ciqual sur la composition nutritionnelle des aliments et la base Oqali, gérée en partenariat avec l’Inra, sur les produits bruts et transformés, nous pouvons suivre l’évolution de la composition des produits dans la durée et les actions entreprises par les industriels. C’est ainsi que l’on peut constater, par exemple, qu’il y a encore un vrai problème concernant l’utilisation – trop importante – du sel. Certes, des efforts sont faits sur certaines références, mais quand on les replace dans une gamme globale, les effets demeurent modestes.
LSA - Après quatre ans à scruter l’assiette des Français, quels sont vos nouveaux conseils en matière alimentaire ?
R. G. - Sur le plan scientifique, nous insistons sur le fait qu’il faut manger plus de légumineuses, plus de fibres, plus de légumes, plus de fruits. À l’inverse, nous invitons à limiter la consommation des viandes, hors volailles, et plus encore des boissons sucrées et de la charcuterie. Nous ne disons pas qu’il ne faut plus manger du tout de sucre – la recommandation est de 80 grammes par jour, mais 20% des Français dépassent encore 100 grammes –, ni de charcuterie : notre recommandation est d’environ 25 grammes par jour, ce qui correspond à la moyenne de consommation des Français. Plus globalement, nous préconisons de diversifier et d’équilibrer son régime alimentaire. C’est à Santé Publique France, que nous nourrissons par nos études, de faire des recommandations précises au grand public.
Boom de l’auto-approvisionnement
75% des individus déclarent avoir consommé au moins une fois par mois des aliments issus de leurs propres productions (potager, chasse, pêche, cueillette,..) au cours des douze derniers mois
Des dépassements de DLC très fréquents
50% des ménages consomment le jambon, le saumon fumé et la viande préemballée après la date limite de consommation (66% pour les plats cuisinés, le beurre ou la margarine)
Des apports en fibres trop faibles
20 g d’apport en fibre en moyenne chez les adultes (30 g recommandé)
Des denrées animales crues largement consommées
80% Le pourcentage d’individus âgés de 15 à 79 ans qui consomment des denrées d’origine animales crues (œuf, viande, poisson, mollusque)
LSA - Le Nutri-score a été retenu comme système d’étiquetage nutritionnel mais il est boudé par les industriels. Qu’en pensez-vous ?
R. G. - Il n’y a aucune étude scientifique qui puisse aujourd’hui démontrer un effet direct entre la mise en œuvre d’un logo nutritionnel simplifié et la baisse du taux d’obésité. Mais ce logo s’inscrit néanmoins dans une stratégie globale de santé publique à laquelle nous souscrivons. Le Nutri-score est homologué par le Haut Conseil de la Santé Publique et il faut maintenant suivre sa mise en œuvre. Pour avoir un jugement pertinent et efficace sur le plan scientifique, nous avons toujours plaidé pour une harmonisation européenne. S’il y a des orientations fortes dans les changements d’habitudes d’achat des consommateurs, on pourra en tirer des conclusions. Mais pour cela, il faut que les industriels acceptent de participer à l’expérience. Car pour juger d’un système, il faut une adhésion massive.
LSA - Comment abordez-vous le sujet des perturbateurs endocriniens ?
R. G. - Nous sommes face à un problème scientifique complexe. Il faut définir clairement les risques liés aux perturbateurs endocriniens. Cependant, il est difficile dans la plupart des cas de démontrer les effets directs sur l’homme. Les critères de classification de ces substances font débat au niveau européen et pour notre part nous préconisons trois niveaux : le risque avéré avec un effet démontré chez l’homme ; le présumé, avec des effets démontrés sur l’animal et un mécanisme suspecté chez l’humain ; et le suspecté, avec un effet chez l’animal qui ne peut être facilement transposé à l’homme.
Un scientifique investi à la tête de l’Anses
Roger Genet, 58 ans, a été nommé directeur général de l’Anses en mai 2016, pour prendre la suite de Marc Mortureux. Titulaire d’un doctorat en enzymologie et ingénierie des protéines, ingénieur du Conservatoire nationale des arts et métiers, Roget Genet a consacré une grande partie de sa carrière à la recherche. En 2001, il entre au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et devient directeur de la recherche en 2004. En 2005, il intègre le cabinet du ministre chargé de la Recherche. Puis en 2009, il prend la tête du Cemagref, qui deviendra l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement (Irstea) et dont il sera le premier président exécutif. Depuis mars 2012, il occupait le poste de directeur général de la Recherche et de l’Innovation au ministère de l’Éducation nationale.
LSA - L’UE vient de reconnaître le bisphénol A comme substance extrêmement préoccupante. Est-ce une victoire pour vous ?
R. G. - Avec cette décision, la France, qui interdit depuis 2012 le BPA dans les biberons et depuis 2015 dans les contenants alimentaires, sort de son isolement car nous sommes les seuls en Europe à avoir pris cette décision. Le fait que le BPA soit reconnu comme substance extrêmement préoccupante au titre de ses propriétés de perturbateur endocrinien ouvre la voie à une instruction pour déterminer de façon précise ses effets négatifs. Cette procédure risque d’être longue. À terme, elle conduira les industriels souhaitant l’utiliser à demander une autorisation de mise sur le marché, et pourrait même conduire à une interdiction totale au niveau européen.
LSA - Comment graduez-vous les risques ?
R. G. - C’est un point important ! Il faut apprendre à faire la différence entre le danger et le risque : un produit peut être dangereux, comme l’alcool, mais le risque dépend de l’exposition à cette substance. Dans ce cas-là, c’est le niveau de consommation qui peut poser un problème, tout comme la sensibilité individuelle du consommateur. L’idée est donc de produire des études pour mieux qualifier les risques, mieux les encadrer et ainsi mieux les maîtriser.
LSA - Qu’attendez-vous des industriels pour vous aider dans cette quête ?
R. G. - Nous ne voulons pas être un frein dans le travail d’innovation des industriels. Ainsi, pour éviter qu’un produit soit mis sur le marché et retiré ensuite, nous voudrions que les fabricants soient capables de fournir, en amont, les données scientifiques sur la composition de leurs produits. Anticiper les risques pour accompagner l’innovation est un enjeu majeur pour l’agence.
LSA - Les craintes alimentaires des consommateurs sont-elles justifiées ?
R. G. - Je ne le pense pas. Nous avons plus d’outils et de méthodes scientifiques pour évaluer les risques. Les études sont de plus en plus précises, ce qui laisse parfois à penser que le danger est imminent, alors qu’il n’en est rien. Il reste néanmoins des questions scientifiques complexes : la poly-exposition, à savoir l’exposition à un cocktail de plusieurs substances, ou les effets cumulés d’une substance dans différentes situations.
Les habitudes alimentaires des Français décryptées
- La moitié des Français en surpoids ou obèses
- 34% des adultes de 18 à 79 ans sont en surpoids et 17% sont obèses
- 13% des enfants et adolescents sont en surpoids et 4% sont obèses
LSA - Quels sont les chantiers pour les prochaines années ?
R. G. - L’étude Inca 3 va engendrer de nombreux travaux sur des populations spécifiques. Nous allons travailler sur des focus comme l’hygiène sanitaire, ou l’usage de plus en plus fréquent des compléments alimentaires et aliments enrichis. Nous réfléchissons à des enquêtes pour actualiser les repères nutritionnels des populations sensibles ou exposées : les enfants, sur les 1 000 premiers jours suivant leur conception, les femmes enceintes, les personnes âgées. Mais aussi sur les personnes qui suivent des régimes alimentaires d’éviction, comme les végétariens, afin de prendre en compte les potentielles carences. Des études sur les nanomatériaux dans l’alimentation ou encore sur les expositions aux pesticides des populations seront également menées.
Propos recueillis par Florence Bray et Camille Harel
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