Pourquoi les Galeries Lafayette achètent La Redoute

L’un est spécialiste de la mode et de la maison « en dur », l’autre « en ligne ». Les deux étaient donc destinés à se rencontrer. C’est chose faite. Mais si le partage des compétences paraît évident, les synergies, elles, le sont déjà moins.

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Pourquoi les Galeries Lafayette achètent La Redoute
Les Galeries Lafayette achètent La Redoute

le groupe Galeries Lafayette a de l’argent. L’époque est aux concentrations, si possible entre un acteur physique et un acteur du digital, comme le prouve le rachat de Whole Foods par Amazon, entériné il y a quelques jours. Ou, de manière moins spectaculaire, la prise de participation, minoritaire, de Conforama au capital de Showroomprivé. Ou encore le rachat de Rue du Commerce par Carrefour. Les Galeries Lafayette se marient donc à La Redoute, en avalant 51% des parts de l’e-commerçant français. La logique est implacable, même si personne n’avait rien vu venir.

Un gros coup pour les Galeries, donc. Mais pas que pour ce simple effet de surprise. Après InstantLuxe et BazarChic l’année dernière, le groupe présidé par Philippe Houzé met la main sur un géant de l’e-commerce. C’est que les mastodontes du web pesant 750 millions d’euros ne courent pas les rues. Et puisque, visiblement, La Redoute, remise à flot par le duo Nathalie Balla-Éric Courteille avec talent (tout le monde est unanime là-dessus, c’est suffisamment rare dans la distribution pour être souligné), a maintenant besoin d’un coup de pouce pour enclencher la vitesse supérieure, alors mieux vaut pour les Galeries que cela se fasse avec elles, plutôt que contre. Là encore, bien joué. La grande question, désormais, est de savoir pour quoi faire ? Simple voie de diversification pour assurer ses arrières, comme l’entrée de la famille Moulin-Houzé au capital de Carrefour en 2014 et comme, autrefois, les Galeries investissaient dans Monoprix ou dans LaSer-Cofinoga, d’où vient d’ailleurs le trésor de guerre du groupe, après leurs reventes ? Ou opération stratégique forte, avec une visée de pilotage commun des marques au plus près pour en tirer la substantifique moelle ?

Les limites

  • Les synergies ne vont pas de soi, à la différence d’une Fnac rachetant Darty. Le groupe Galeries Lafayette acquérant La Redoute ne peut en tirer tous les bénéfices qu’en s’attelant à un vaste travail de repositionnement de l’offre mode de La Redoute, pour la rendre compatible (au moins aux achats) avec celle de ses magasins de province.
  • On ne connaît pas le coût de l’acquisition, donc difficile d’en calculer les retours sur investissement.

75 %

des ventes de La Redoute sous marque propre, 10% pour les Galeries Lafayette

Source : estimations LSA

Décoller sur le web

L’avenir le dira car, en la matière, les deux cartes sont bonnes à tirer. De quoi, là encore, adresser un troisième satisfecit aux Galeries, qu’on retrouve gagnant dans tous les cas de figure. Oui, car le spécialiste des grands magasins fait, ou plutôt fera, forcément un pas de géant en matière de vente en ligne. Cela tombe bien, c’était son immense et historique faiblesse. Imaginez l’horreur : 2% de ses ventes seulement via le web, quand ses meilleurs concurrents britanniques dépassent les 20%. Pire encore : l’objectif d’atteindre les 10% en 2020, qui pourtant n’était guère que de rattrapage, paraissait largement inatteignable.

Mais cela, c’était avant. L’apport de La Redoute va permettre de pallier ce manque. Quand on n’a pas les compétences en interne, la logique est vieille comme le monde, il faut les chercher ailleurs. « Cette opération de croissance externe va faire gagner des années de transformation aux Galeries Lafayette, avance ainsi Édouard-Nicolas Dubar, spécialisé dans la recherche de dirigeants et d’administrateurs pour la distribution, au sein du cabinet Headlight International France. La Redoute dispose d’équipes solides, longtemps chahutées quand l’avenir du groupe était incertain, largement remaniées, mais aujourd’hui à l’organisation bien huilée, avec une expertise sans pareille sur les techniques du digital et un outil industriel à la pointe de la technologie. » 50 millions d’euros ont été investis dans un site qui a permis de faire passer le traitement des commandes de deux jours à deux heures.

Et puisque rien ne se fait jamais par hasard, l’acquisition de ce savoir-faire, pour un montant voué à demeurer secret, s’inscrit en plus, à en croire Édouard-Nicolas Dubar, « dans un parfait timing pour les deux groupes ». La Redoute, au moment où la croissance de son chiffre d’affaires revient et où sa rentabilité n’est bientôt plus un rêve illusoire, s’adjoint un partenaire solide, actionnaire que ses précédentes prises de participations peuvent permettre de qualifier de fiable. Et les Galeries Lafayette, de leur côté, obtiennent le sésame pour enfin pénétrer au cœur d’un écosystème qui, jusqu’alors, se refusait à elles. « Nous trouvons là à la fois l’occasion d’accélérer la digitalisation des Galeries Lafayette et celle de la montée en gamme de La Redoute », avance ainsi Nicolas Houzé, le directeur général des Galeries Lafayette et du BHV Marais. Simple vœu pieu avancé par le principal protagoniste de l’affaire, par définition empreint d’optimisme ? Évidemment pas. « Avec La Redoute, acteur de la mode et de la maison, comme lui, le groupe Galeries Lafayette entre en terrain connu », plaide Yves Marin, directeur expert de la distribution chez Wavestone. À l’entendre, en plus de diversifier son portefeuille en s’octroyant des compétences nouvelles, inconnues en interne, ce rapprochement offre la possibilité aux Galeries Lafayette de faire un pas vers le cœur de marché.

L’intérêt pour la Redoute

  • S’adosser à un actionnaire familial stable et en capacité d’investir.
  • Bénéficier du savoir-faire du groupe Galeries Lafayette dans l’exploitation des magasins à l’heure où La Redoute rouvre des points de vente.
  • Doper sa marketplace qui génère plus de 100 millions de volume d’affaires.
  • Faire monter en gamme son offre mode.
  • Saturer et optimiser un outil logistique ultramoderne (photo) dans lequel La Redoute a investi 50 millions d’euros.

4,4%

La part de marché cumulée des deux groupes dans l’habillement (3,5% pour les Galeries et 0,9% pour La Redoute), ce qui en fait le leader français devant Kiabi (3,7%) et H &M (3,3%).

Source : Kantar Worldpanel, en valeur au 30 juin 2016

Élargir les spectres

Mais les compétences nouvelles d’abord… « Une marque propre bien plus puissante que la sienne, une base de données de 10 millions de clients, une market­place qui pèse déjà aux alentours de 100 millions d’euros, un potentiel important à l’international, où La Redoute réalise 30% de ses ventes et, nerf de la guerre, un outil logistique ultramoderne », résume Yves Marin. Rien que pour cela, donc, l’intérêt est manifeste.

Il l’est aussi pour ce qu’Yves Marin nomme « la logique multi­marque dans laquelle est engagé le groupe ». Une stratégie confirmée par Philippe Houzé, le président du directoire des Galeries Lafayette : « Notre objectif est de couvrir un spectre encore plus large sur les marchés de la mode et de la maison qui sont les nôtres, explique-t-il. Si le magasin du boulevard Haussmann est davantage orienté sur le luxe, notre réseau de province est positionné sur une offre mainstream et de luxe accessible. Dans ce cadre-là, La Redoute, avec un prisme access mainstream, vient parfaitement s’intégrer à cet ensemble. »

La stratégie sous-jacente est très habile, il faut l’admettre. « Au navire amiral de Haussmann, transformé à petits pas (les travaux ont commencé cette année, et dureront cinq ans en tout, NDLR), et par définition très dépendant de la clientèle touristique internationale, le groupe s’agrège un business additionnel potentiel », analyse Yannick Franc, directeur chez Equancy, conseil en stratégie. Ceci posé, ajoute-t-il, « je ne vois pas forcément tant de synergies aux achats que cela. Certes, rien que les partages de savoir-faire qui vont s’opérer sur le digital et en matière d’outils logistiques rendent l’opération intéressante, mais le luxe et le mass-market, on a beau faire, ce n’est pas la même chose ».

14 000

salariés pour les Galeries Lafayette

2 000

pour La Redoute

Source : Galeries Lafayette - La Redoute

L’intérêt pour les Galeries Lafayette

  • Multiplier par cinq le poids des ventes en ligne pour atteindre, et même dépasser, l’objectif des 10% fixés pour 2020, contre 2% aujourd’hui.
  • Profiter de l’expertise métier de La Redoute dans l’e-commerce, pour la logistique, l’exploitation des données clients, et les technologies de front office et de back-office.
  • Mettre la main sur l’activité « maison » de La Redoute, au potentiel évident.
  • S’étendre plus facilement à l’international (photo), où La Redoute réalise 30% de son chiffre.

Boutiques La Redoute

De même, puisque l’on touche aux questions de synergies à attendre de ce rapprochement, pas sûr que l’installation de corners AM.PM – la marque déco de La Redoute – dans les magasins Galeries Lafayette, ou que l’ouverture de la marketplace de La Redoute à l’offre des Galeries Lafayette suffise à constituer un Eldorado capable de transformer les deux entreprises. Pourtant, quand la question est évoquée, les idées fusent… « Les offres sont complémentaires et peuvent générer du chiffre d’affaires additionnel », assure ainsi Nathalie Balla, coprésidente de La Redoute, qui s’imagine déjà, par exemple, vendre des montres Louis Pion sur son site. « Par ailleurs, ajoute-t-elle, nous possédons des lignes de produits similaires, qui peuvent nous permettre de travailler de concert en amont. » Sans parler de ces boutiques que La Redoute se met à ouvrir, à nouveau : quatre à date et deux autres dans les tuyaux, à Lyon et Carré-Sénart… « Les Galeries Lafayette ont une grande expertise en matière de magasins physiques, dont pourrait bénéficier La Redoute », juge de son côté Nicolas Houzé, quand l’autre coprésident de La Redoute, Éric Courteille, annonce « vouloir ne rien s’interdire, mais avec toujours le client et le service client comme obsessions. »

Autant d’éléments intéressants, évidemment. Mais tous, si l’on regarde de plus près, davantage apparentés au détail qu’au global. Alors certes, « retail is detail », mais si les Galeries Lafayette et La Redoute veulent faire de leur rapprochement autre chose qu’une simple alliance défensive, aussi utile soit-elle, ils ne couperont pas à un immense travail de repositionnement de l’offre de mode de La Redoute. Cette dernière est pour l’heure trop « populaire » pour coller aux exigences amont des Galeries. Si le groupe s’attelle rapidement à cette nécessaire montée en gamme du textile – pour la déco, le chemin est fait, avec AM.PM qui a opéré sa mue –, la cohérence sera pleine et entière avec le réseau des 55 magasins de province des Galeries. Un réseau qui, cela tombe bien, a justement besoin d’un bon coup de boost pour retrouver de l’allant.

3,8 Mrds€

Le CA TTC du groupe Galeries Lafayette en 2016

750 M

Le CA de La Redoute

Source : Galeries Lafayette - La Redoute

Des intérêts partagés

  • 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires additionnel à aller chercher : le nouvel ensemble, fort de 4,55 milliards d’euros en 2017, entend grossir jusqu’à 5,5 milliards d’euros dans cinq ans.
  • De quoi devenir le leader français de l’habillement en valeur, avec une base mutualisée de plus de 20 millions de clients.
  • Optimiser la logistique, la livraison et les retours, massifier les achats et renforcer le sourcing pour offrir des offres mode et maison différenciées mais complémentaires.
  • Trouver de nouveaux relais commerciaux sur les sites et les parcs de magasins des deux alliés.

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