Retail : l'heure des révolutions a sonné
Pendant deux jours, les participants du premier congrès LSA Live, dédié aux mutations du retail et de l’industriede la grande consommation, ont présenté leurs retours d’expérience et les actions mises en place pour réussir la transformation de leurs entreprises, qu’elle soit structurelle, digitale ou organisationnelle.
Morgan Leclerc
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Morgan Leclerc
Virage, secousse ou tremblement de terre... À chacun son expression pour qualifier les mutations actuelles du commerce, qui, tout le monde en conviendra, rebattent les cartes. C’est justement pour mesurer ces transformations à l’œuvre que LSA a rassemblé pendant deux jours des dirigeants internationaux du secteur de la grande consommation lors de la première édition du congrès LSA Live. L’objectif était simple : échanger et partager sur les travaux et les efforts de chacun pour s’adapter, ou tout simplement découvrir des entrepreneurs et entrepreneuses d’autres horizons, dans ce que l’on pourrait appeler une séance de brassage des idées.
À la tribune, il a été question de logistique, d’intelligence artificielle, de la génération Z, mais aussi de transformation des organisations ou de changement (plus ou moins forcé) des habitudes. Car le défi le plus important pour une grande partie du monde du retail n’est plus de faire le deuil d’une période où la croissance était régulière et confortable, mais d’agir et réagir devant ces mutations. Certains intervenants n’ont pas hésité à mettre les pieds dans le plat. Sur la quête de sens, sur l’environnement, sur la surconsommation de plastique, et même sur les fondamentaux du business. Un exemple ? Le patron d’Ocado Solutions, Luke Jensen, a taclé le système actuel de promotions, qu’il a assimilé à un vrai gâchis, militant pour une analyse plus fine de la clientèle qui permet de mieux gérer ce sujet, plutôt que de l’aborder de façon massive et indistincte.
L’irruption de marques digitales (les fameuses DNVB) ou celle de clients de plus en plus connectés sont venues s’ajouter à la longue liste des sujets à traiter par les enseignes, avec le paiement et la refonte de la logistique. Bref, les débats ont été riches, très riches pendant cet événement qui s’est tenu les 26 et 27 novembre à Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine.
Toujours plus vite
L’un des éléments récurrents dans les discours a été la vitesse d’exécution. De la devise olympique Citius, Altius, Fortius (Plus vite, plus haut, plus fort), on ne retiendra que le premier élément : plus vite. Car, à l’image de la livraison en une heure, l’espace-temps se raccourcit, qu’il s’agisse de la sortie d’un nouveau produit ou des processus internes. « De nos jours, les projets sont de plus en plus courts. L’époque où la R & D durait deux ans semble révolue. Aujourd’hui, le temps moyen d’un projet oscille entre quatre mois et un an », expliquait Karine Picard, directrice générale d’Oracle France. Cette accélération est l’un des bouleversements managériaux majeurs. Tout comme le besoin de poser à plat et repenser les méthodes de travail. Une anecdote racontée par Anthony Bourbon, fondateur de la start-up Feed (spécialisée dans les repas complets en poudre, en barre ou à boire), est assez parlante. « Des grands groupes de notre secteur veulent nous rencontrer, et nous demandent des choses très simples, par exemple comment organiser une réunion ! Car, chez eux, il y a des lourdeurs. »
La transformation des organisations est dans toutes les têtes. Pour Ludovic Holinier, qui a longtemps été patron de Sun Art en Chine (coentreprise entre Alibaba et Auchan) et vient d’être nommé directeur général du groupe Cora, le premier métier touché est celui de directeur de magasin. Avec le principe d’unité de lieu et de temps qui a volé en éclats. « On assiste à la même mutation que lors du passage du théâtre au cinéma. Il faut donner des compétences nouvelles aux directeurs de magasin, intégrer de nouveaux talents avec des profils très différents, savoir livrer des clients, etc. Cela nécessite d’avoir un véritable rôle en logistique, en supply chain », souligne celui qui a observé de près la mutation ultrarapide du commerce en Chine. Pour les organisations monolithiques, souvent héritées du passé et représentées par un empilement de couches (outils, logicielles ou managériales), les efforts sont importants. Mais attention à l’éparpillement des ressources et des projets. « Prioriser, c’est essentiel. Car trop de transformations échouent en raison de la tentation d’aller partout. Il faut se concentrer sur du test & learn », poursuit Ludovic Holinier.
Une quête de sens plus forte que jamais
Olivier Mathiot, cofondateur de PriceMinister en 2001 (depuis revendu à Rakuten), est président de The Camp, un campus dédié à l’innovation. Et il voit arriver des changements à grande vitesse. « Je suis issu de la transformation digitale et, aujourd’hui, c’est une transformation durable qui est en train de se mettre en place, sous l’influence des jeunes générations notamment. Ces dernières mettent la pression sur les entreprises et les organisations. » Ce qui vient accélérer la quête de sens, correspondant maintenant à un mantra dans beaucoup de structures. Car elle apparaît comme un moyen de se distinguer de la masse et du mass market.
Signe des temps, dans le cadre de la loi Pacte en France, les entreprises qui le souhaitent peuvent désormais inscrire dans leurs statuts une « raison d’être », liée à leurs engagements en matière sociale ou environnementale. Des engagements qui sont devenus difficiles à mettre sous le tapis, tant ils correspondent aux attentes des nouvelles générations, mais pas uniquement. La recherche d’ingrédients plus sains, moins gourmands en intrants (citée à la tribune par Mondelez), la limitation et, surtout, la réutilisation du plastique (Plastic Bank, TerraCycle) ont été parmi les sujets évoqués sans fard. Car rester au plus près des consommateurs et montrer ses efforts est une condition indispensable du succès, à l’heure où les choix sont multiples, dans les réseaux physiques comme en ligne.
La start-up Vinted, plate-forme de revente de vêtements d’occasion, indique ainsi disposer d’un catalogue de pas moins de 180 millions de références. Quel distributeur physique peut en dire autant ? Des chiffres qui ont de quoi faire froid dans le dos aux enseignes de mode qui seraient incapables de se transformer.
Une expérience client fondamentale
Au-delà de la refonte des organisations et de la quête de sens, au niveau opérationnel, les distributeurs ont de quoi répliquer sur le terrain, avec des armes physiques (accueil du client, contact en magasin) ou digitales (publicité, paiement, etc.). Qui ont toutes un point commun : l’humain et les compétences.
Les caisses s’automatisent ? Dans le même temps, les clients ont besoin de plus de conseil en magasin. La logistique se complexifie et se robotise ? La pénurie de chauffeurs routiers a rarement été aussi forte. « L’expérience client est aussi importante que les talents », avance Karine Picard, d’Oracle France, citant en exemple le distributeur britannique Tesco, qui investit à parts égales entre ses process RH et le service client. Sur un autre plan, Accenture constate la poussée de l’intelligence artificielle sur des tâches précises, avec en parallèle la création par les entreprises de digital factories, et le recrutement (pas toujours simple) de compétences sur l’acquisition et les partenariats.
« Une sortie de caisse brute ne veut rien dire. Pour être utile, il faut enrichir cette donnée », assure Olivier Girard, président d’Accenture France. Alors que l’e-commerce enregistre des croissances à deux chiffres, ou qu’en Chine le paiement ne se fait quasiment plus qu’avec le mobile, le digital est source d’inquiétudes pour ceux qui ne sauraient pas le piloter, mais il est également source d’opportunités. L’entreprise de meubles design Made.com, née sur le web, compte beaucoup sur ses showrooms, car quoi qu’on en pense, les clients aiment encore toucher les produits. Les marques nées sur le web, créées par des jeunes entrepreneurs, cherchent à prendre du poids avec leur propre réseau de distribution, ou plus simplement en collaborant avec les enseignes déjà existantes, et cherchent un ancrage physique. À condition de partager la même vision du commerce et les mêmes valeurs, un aspect sur lequel les jeunes générations sont davantage attentives.
L’heure est aux partenariats
Jean-Paul Agon, du haut de ses quarante et une années passées chez L’Oréal, ajoute une touche d’optimisme. « Contrairement à l’idée qui circule, le digital profite aux grandes marques. Certes, il permet à beaucoup de petites marques d’apparaître mais, au final, les algorithmes font que ce sont les grandes qui émergent. Nos marques mondiales (L’Oréal Paris, Maybelline, Lancôme, Yves Saint Laurent...) ne se sont jamais aussi bien portées. » Ce résultat est aussi dû en partie à une présence très omnicanale, qui est devenue le levier majeur pour les marques et les distributeurs. Car l’acte de vente ne se fait plus uniquement sur le « carrelage », pour paraphraser le langage de la grande distribution.
« Avant, le magasin était le seul point de contact. Il est, aujourd’hui, un point de contact parmi d’autres. La méthode d’approche a complètement changé », constate Cédric Ducarrouge, directeur retail région de JLL, groupe spécialiste en conseil en immobilier d’entreprises. La zone commerciale de demain (et même de nos jours) glisse de plus en plus vers le mobile et les applications, des canaux à part entière. Face à ce bouleversement, distributeurs, fournisseurs et industriels sont en train de s’interroger : et s’il fallait de nouveau travailler ensemble ? Les collaborations les plus visibles sont la multiplication des corners et des shops-in-the-shop d’une enseigne à l’autre. Mais les échanges peuvent même donner lieu à des collaborations très en amont : L’Oréal a ainsi travaillé avec les équipes de Casino pour créer Le Drugstore parisien. Car la somme des savoirs à piloter est immense. Et on ne peut plus tout faire sous le même toit.
Dans les hypermarchés, Carlos Mario Giraldo Moreno, le patron du groupe colombien Exito, exhorte à remettre des zones d’expérience et d’expérimentation, tout en abandonnant certains pans du non-alimentaire pour se concentrer là où l’enseigne est la plus forte. Comme l’indiquait un autre grand patron, « l’entreprise ne peut pas être le siège de tous les savoir-faire ». Une façon de reconnaître, avec une certaine humilité, le rôle de chacun. Rappelé d’une manière originale par Laurent Francony, directeur qualité France et groupe de Carrefour, lors d’un échange dédié aux partenariats distributeurs-fournisseurs, qui doivent permettre de rester au plus près des attentes des consommateurs. « Dans le passé, nous avons sans doute commis l’erreur de remonter trop dans la chaîne de production du fournisseur et de lui expliquer de quelle façon produire une bonne mousse au chocolat, par exemple. L’industriel est assurément le mieux placé pour cela. » Même cette fameuse mousse au chocolat n’échappe pas à la transformation numérique et digitale, puisque de plus en plus de filières, notamment alimentaires, réfléchissent à la blockchain pour assurer la transparence et la traçabilité des produits, dans la volonté de rassurer les consommateurs.
Le changement, bon pour les plus agiles
Les entreprises les plus en vue actuellement sont celles qui ont imposé leur propre modèle, comme Amazon ou Ocado, avec une forte composante digital ou tech. Serait-ce plus simple que de dupliquer ou de transformer un modèle existant ? Sans doute, mais il ne se crée pas beaucoup de sociétés de ce type chaque jour. Et même des géants peuvent changer, comme Walmart qui met les bouchées doubles sur l’e-commerce et les services.
Interrogé sur la capacité des grands groupes à agir et à réagir, notamment pour réconcilier la marche des affaires avec un impact positif sur la société, Olivier Mathiot, de The Camp, estime que cela reste plus compliqué pour les grosses structures. « La transformation durable prendra du temps. Cela demande un bouleversement des habitudes avec des avantages concrets et aussi un équilibre subtil. Le numérique est un gros consommateur d’énergie par exemple, mais son impact dans l’ensemble est positif. Prenez les smartphones : ils génèrent de la pollution dans leur conception, et, en même temps, ils remplacent tout un tas d’appareils qui n’existent plus. » Invité à conclure ces deux jours de vastes débats d’idées, de partages d’expériences et d’échanges de bonnes pratiques, Jean-Paul Agon a eu le mot de la fin. Le patron de L’Oréal expliquant se sentir challengé, mais à l’aise dans ce monde complexe et mouvant. « Tout changement crée des opportunités et permet de se remettre en question. C’est dans ces moments de disruption que les entreprises les plus agiles, les plus malignes, sont capables d’aller plus vite. »
Transformation digitale : Que retenir des États-Unis ?
- L’alimentaire dope l’e-commerce
L’e-commerce américain enregistrera une croissance de 14 % au cours des cinq prochaines années, ce qui représentera la moitié de la croissance américaine du commerce, selon une étude Kantar dévoilée en exclusivité lors de LSA Live. Cette évolution s’appuiera essentiellement par le développement de l’offre alimentaire en ligne, qui ne pèse actuellement que 2 % du marché, et une organisation qui mixera livraisons et click & collect pour tenir compte d’un territoire très étendu avec une densité de population très disparate d’une zone à l’autre.
- Prime crée une addiction à Amazon
Le programme d’abonnement Prime d’Amazon a changé les habitudesde consommation des Américains, créant une véritable dépendance. L’étude de Kantar démontre qu’au bout de trois années d’engagement, 64 % des abonnés zappent Google pour la recherche de produits et vont directement sur Amazon.
- Les distributeurs créent des plates-formes médias
Les distributeurs traditionnels veulent monétiser le trafic créé chez eux, que cela soit en ligne ou sur leur site web, et devenir ainsi des agences de médias pour diffuser des campagnes de marketing digital.
Transformation digitale : que retenir de la Chine ?
- Un écosystème « digital engagement »
Que cela soit avec Alipay ou WeChat, les consommateurs chinois évoluent sur des plates-formes digitales qui les suivent à tous moments de la journée. La clé d’entrée est le mobile. Et aux réseaux sociaux s’ajoutent le paiement, les services de divertissement, des fonctions utilisables en magasin et des miniprogrammes pour accéder au contenu de marques et enseignes. Cette organisation permet d’interagir plus facilement avec le client. Les datas sont mises à profit pour personnaliser les offres.
- Les produits de grande consommation ont la cote
Acheter en ligne est une évidence en Chine , avec une accélération sur la vente de produits de grande consommation. Ils pèsent 18 % des ventes e-commerce en 2018, et les prévisions tablent sur 35 % en 2022.
- Plus de facilité pour atteindre le marché chinois
Le marché chinois est complexe à toucher pour des marques étrangères, mais les réglementations évoluent. Des zones franches sont créées pour diminuer le coût des taxes, et le nombre d’intermédiaires pour vendre en B to B se réduit afin de gagner en transparence.




"Les grands groupes ont tout intérêt à intégrer des start-up et à s’en inspirer. Nous sommes là pour mettre de la “haine positive” dans la distribution, pour bousculer l’ordre établi. Nous participons à la révolution en cours, car les grands groupes n’ont pas été capables d’innovation et de transparence."
Anthony Bourbon, fondateur et CEO de FEED

Samuel Guez, fondateur et CEO de My Jolie Candle
"Les distributeurs disposent de 25 à 30 sources de données, d’où la nécessité de structurer ces informations pour personnaliser les offres aux clients. De plus, la gestion de la data concerne aussi l’expérience employée et la gestion des talents. Tesco a investi autant dans sa plate-forme RH que marketing."
Karine Picard, country manager d’Oracle France
"Il y a un énorme gâchis avec les promotions dans la grande distribution. On pousse aux clients des produitsqu’ils auraient achetés à plein tarif,ou on va faire changer les habitudesdes consommateurs qui auraient pris un autre article non remisé et basculent sur la promo. Tout cela coûte cher. L’atout du digital, c’est que l’on peut adapter les prix et les offres en fonction des clients."
Luke Jensen, directeur général d’Ocado Solutions
"Quand je demande à mes clients pourquoi ils s’engagent avec nous, avant ils répondaient parce que c’est ce que nos consommateurs demandent. Maintenant, la réponse est parce que nous avons des problèmes pour recruter. Les jeunes ne veulent pas travailler pour des entreprises qui polluent. Ils veulent donner du sens, un but à leur travail."
David Katz, fondateur et CEO de Plastic Bank
"On perd des surfaces dans le retail,mais on a besoin de plus de surfaces pour la supply chain. C’est aussi une affaire de réaffectation des surfaces. Supply chain et retail raisonnent aujourd’hui de la même manière, en termes de chiffre d’affaires et de zone."
Cédric Ducarrouge, directeur Retail région de JLL
"Nous travaillons pour que le coût soit moindre pour nos prestataires de livraison. Et ce au moyen du machine learning. Nous ne sommes pas une entreprise de mode ni de marketing, mais de technologies. Nous employons des mathématiciens et des data scientists pour ventiler nos coûts de la manière la plus optimale possible."
Thomas Plantenga, PDG de Vinted
« La définition de la qualité a évolué. Elle ne se résume plus au goût et à la sécurité du produit. Aujourd’hui, ce sont les attentes particulières du client qui définissent la notion de qualité d’un produit. »
Laurent Francony, directeur qualité de Carrefour
"Chez Made, l’expérience clients commence en ligne et se termine en ligne mais, entre les deux, elle peut aussi passer par l’un de nos sept showrooms en Europe. C’est alors une autre expérience d’achat que l’on doit actionner."
Jessica Delpirou, directrice générale de Made.com
"Jusqu’ici, la façon de voir, c’était de générer du profit à court terme pour les actionnaires. Cette dictature du court terme nous entraîne dans une spirale. Dans cet ancien modèle, nous ne nous projetions pas assez dans le futur. Je suis issu de la transformation digitale et, aujourd’hui, c’est une transformation durable qui se met en place."
Olivier Mathiot, cofondateur de PriceMinister, président de The Camp
"La France a révolutionné mondialement la distribution dans les années 60 avec E. Leclerc, Carrefour, Auchan, etc. Mais, aujourd’hui, il y a besoin d’une nouvelle révolution. En beauté particulièrement, il y a urgence à repenser l’expérience client, qui n’a pas changé depuis quarante ans. Au lieu d’aller voir les transformations du retail à New York ou Shanghai, que les distributeurs viennent nous voir."
Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal
"Le principal frein à notre développement en France est culturel. 60 % des Français ne se font jamais livrer de repas. Notre mission est de continuer à les évangéliser."
Mathieu Maure, Head Of Marketing d’Uber Eats France
Morgan Leclerc, avec la rédaction
LSA Databoard
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