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Didier Toubia (Aleph Farms) : « La viande cellulaire ne remplacera pas la viande conventionnelle »
Didier Toubia (Aleph Farms) : « La viande cellulaire ne remplacera pas la viande conventionnelle »
La start-up israélienne Aleph Farms, créée en 2017 et spécialisée dans le développement de la viande cellulaire, vient de déposer une demande de mise en marché en Suisse. Dans une interview accordée à LSA, Didier Toubia, cofondateur et PDG d’Aleph Farms, revient notamment sur les projets qu’il nourrit avec la grande distribution en Europe.
Marie Cadoux
\ 09h00
Marie Cadoux
Après avoir multiplié les demandes d’autorisation de mise en marché en Israël et à Singapour, la start-up israélienne Aleph Farms, créée en 2017 et spécialisée dans le développement de la viande cellulaire se tourne vers l’Europe. Elle vient de déposer une demande de mise en marché en Suisse. Pour LSA, Didier Toubia, cofondateur et PDG d’Aleph Farms, a accordé un entretien dans lequel il revient sur le concept de l’agriculture cellulaire, sur le lancement des premiers produits d’ici la fin de cette année en Israël et à Singapour, mais aussi sur les projets qu’il nourrit avec la grande distribution en Europe.
LSA - Au mois de juillet Aleph Farms a déposé une demande d’autorisation de mise en marché en Suisse auprès de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) dans le but de commercialiser les premiers produits de viande cultivée. Pourquoi avoir choisi la Suisse ?
Didier Toubia - Depuis 2019, nous travaillons en étroite collaboration avec le distributeur et producteur Migros pour la mise en place d’un plan de développement pour la Suisse. Migros, qui fait partie des actionnaires d’Aleph Farms, est un acteur très impliqué dans la filière de l’élevage mais aussi sur les questions de développement durable. Du fait de cette étroite collaboration, il nous paraissait naturel de déposer notre première demande d’autorisation de mise en marché en Europe en commençant par la Suisse. Mais il faudra attendre au moins 3 ans avant de pouvoir lancer les premiers produits.
De quoi s’agit-il exactement ?
D.T. - Notre première gamme, les Aleph Cuts, ont été développés à partir de cellules prélevées sur différences races de bœuf et cultivées dans un environnement complètement maîtrisé, c’est-à-dire dans un fermenteur qui reproduit les mêmes conditions que le corps de l’animal. Nous consommons aujourd’hui des cellules quand nous mangeons de la viande conventionnelle, car elles composent notre steak. Avec la « viande cultivée », au lieu d’élever un animal pendant plusieurs années, avec ce que cela implique en termes de disponibilité de terre arable, de consommation d’eau, nous pouvons, grâce à ce procédé de prolifération cellulaire, obtenir en l’espace de 4 à 6 semaines un produit comestible hybride d’origine animale développé sur un substrat d’origine végétale. Pour nourrir ces cellules, nous n’utilisons pas de sérum fœtal bovin.
Comment allez-vous organiser le lancement de ce produit ?
D.T. - En plus de la Suisse, nous avons déposé des demandes d’autorisation de mise en marché en Israël et à Singapour. Elles sont en cours d’examen et nous espérons démarrer la commercialisation de nos produits d’ici le dernier trimestre de cette année. En Israël, 88% des volumes de viandes de bœuf sont importés et à Singapour, ce sont 90% des volumes de produits alimentaires qui viennent d’ailleurs. Dans un premier temps, nous nous appuierons sur le circuit de la restauration et dans un second temps celui de la grande distribution. Dans ces deux pays, nous avons déjà signé 4 contrats avec des groupes de restauration qui représentent plusieurs dizaines de restaurants.
Mais comment travailler à l’acceptation de cette nouvelle catégorie de produits auprès du consommateur ?
D.T. - Après la viande, puis le lait entré dans l’alimentation humaine il y a près de 7000 ans, une fois que les animaux ont pu être domestiqués, nous pensons que les cellules cultivées peuvent être cette troisième catégorie de produit d’origine animale. Comme la viande ou le lait, les cellules peuvent servir de base à une large gamme de produits finis. La viande cultivée est l’une de leurs applications et est destinée à offrir un choix supplémentaire au consommateur. Pour cela, nous misons dans un premier temps sur le circuit de la restauration. Nous avons choisi le chef américain Marcus Samuelson comme ambassadeur global d’Aleph Farms. En France, nous travaillons avec le célèbre boucher Olivier Metzger qui a développé des corners chez Monoprix et est spécialisé dans la commercialisation des viandes d’exception. Il nous conseille sur le développement des produits et du concept. Nous prônons une démarche inclusive. Nous n’avons absolument rien contre la viande conventionnelle. Nous échangeons avec les agriculteurs et nous avons conscience que le développement de la viande cellulaire ne pourra se faire sans le partenariat des industriels du secteur. A l’image du secteur des énergies renouvelables, dont le développement s’est accéléré à la faveur de l’arrivée des grands acteurs du secteur comme Engie ou EDF.
Quel rôle peut jouer la grande distribution dans le développement de l’agriculture cellulaire ?
D.T. - Nous avons en France rencontré la plupart des grandes enseignes de distribution qui ont parfaitement mesuré les enjeux liés à l’agriculture cellulaire sur le plan environnemental, en termes de sécurisation de la chaîne alimentaire, de traçabilité et de diversification de l’offre. La réglementation et la compréhension de l’offre par le consommateur restent les principaux obstacles à lever. Nos produits ont leurs propres attributs et une proposition de valeur que nous devons expliquer. Je pense qu’ils ne doivent pas être forcément comparés à une entrecôte ou un filet, sous peine de créer de la déception ou une mauvaise compréhension. A nous d’imaginer quelque chose de sain et délicieux pour cette nouvelles source de protéines et de matières grasses.
L’accessibilité prix est un autre enjeu majeur. Comment ces produits se positionneront. Pourront-ils être à parité avec les produits issus de l’élevage ?
D.T. - Comme pour les voitures électriques, les panneaux solaires ou les appareils numériques, l’innovation coûte relativement chère lorsqu’elle arrive sur le marché. Ce coût baissera de façon progressive avec le développement des volumes. Les produits lancés au cours du dernier trimestre 2023 devraient être au même niveau de prix que celui d’un morceau de bœuf premium.
De quelles capacités de production disposez-vous ?
D.T. - L’unité pilote que nous avons installé à Rehevot en Israël servira au lancement commercial de cette fin d’année. A Singapour, nous avons conclu un accord avec un sous-traitant en capacité de produire quelques centaines de tonnes par an selon notre cahier des charges. En Israël, nous venons d’acheter un second site dont la capacité de production s’élève à quelques dizaines de tonnes par an. Nous travaillons également sur le développement d’unités à plus grande échelle pour une production de 5 à 10 000 tonnes et dont la première implantation se fera sans doute en Asie d’ici à 2028. D’ici là, nous aurons probablement besoin de nouveaux moyens financiers.
Justement de quels moyens dispose Alpeh Farms et par qui êtes-vous soutenu ?
D.T. - Depuis sa création en 2017, Aleph Farms a collecté 120 M$. Nous bénéficions de subventions publiques de la part d’Israël, du soutien de Temasek, un fond souverain de Singapour ainsi que celui d’Abu Dhabi aux Emirats Arabes Unis. Nous sommes également soutenu par des entreprises internationales de premier plan dans le secteur des protéines comme Cargill, Thaï Union ou encore le groupe Mitsubishi. Nous veillons à notre indépendance et au contrôle de notre technologie. Aucun de ces acteurs n’est impliqué dans nos procédés de prise de décision. Dans le même temps, nous pensons que nous devons mener un projet commun avec le secteur des protéines animales. Nous sommes sur une ligne de crête dont il ne faut pas s’écarter.
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