Franprix, Carrefour... Le snacking, nouvelle arme du commerce de proximité face aux boulangeries et aux restaurants
SPÉCIAL PROXI. Longtemps cantonné au sandwich triangle, le snacking est devenu un levier stratégique pour la proximité. Les grandes enseignes veulent défier les acteurs historiques du secteur, boulangeries et restaurateurs en tête.
Nicolas Monier
\ 09h00
Nicolas Monier
Un marché de 72,2 milliards d’euros. C’est, selon Bernard Boutboul, président de Gira, le poids colossal du snacking dans l’alimentation hors domicile, soit plus de la moitié du marché total de la restauration. Si la boulangerie reste le leader historique du déjeuner des actifs, la grande distribution, en particulier les enseignes de proximité, s’est hissée au rang de challenger. « À elles deux, GMS et boulangerie représentent déjà 50 % du marché du midi-semaine », résume-t-il.
La tendance n’est pas nouvelle, mais elle s’est nettement accélérée après la période Covid et dans un contexte inflationniste. Selon François Blouin, fondateur de Food Service Vision, « la bataille du midi-semaine est totalement relancée. Les enseignes de proximité, qui avaient connu un creux après 2019, réinvestissent très activement ce créneau, avec une logique de fréquentation et de panier marginal ».
C’est dans ce contexte que, depuis un an, Casino a décidé d’accélérer. Philippe Palazzi, directeur général du groupe, vise, d’ici à dix ans, entre 4 et 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire via les enseignes Franprix, Monoprix et toute la proximité. Très en avance sur ses concurrents, le groupe a inauguré, il y a quelques mois, dans le quartier Beaugrenelle, au sein de son magasin pilote Monoprix, un nouveau concept de restauration, baptisé La Cantine. De même, Casino teste aussi La Cantinerie by Franprix, un concept 100 % snacking. Bar à salades, fruits, plats à emporter, le tout dans un décor soigné.
Il faut aller vite. Car dans un marché tendu par l’inflation, la restauration rapide a déclenché les hostilités fin 2023. McDonald’s, avec son menu à 5 € a été suivi par Burger King, KFC et consorts. Mais la GMS dispose d’un avantage : « Elle a la surface, les centrales, elle peut donc s’aligner sans réinvestir lourdement », souligne Bernard Boutboul. Mais il alerte : « Ce genre d’offre est très exposée. Si le taux de prise dépasse 30 %, on dégrade la marge. »
Le titre-restaurant, désormais utilisé comme un chèque alimentaire plus que comme un bon pour déjeuner assis, accentue encore la bascule. Chez Carrefour, Benoit Soury, directeur de la proximité, ne s’en cache pas : « Nos magasins de proximité sont devenus le premier lieu d’achat et de consommation de la restauration hors domicile. » Mais pour convaincre au-delà du prix, les enseignes doivent s’attaquer à un point faible structurel : la perception de qualité. « Le consommateur n’est pas dupe. Il sait très bien que le sandwich triangle ou la salade en barquette n’ont pas été préparés il y a deux heures comme à la boulangerie », rappelle Bernard Boutboul.
Vaincre l’obstacle culturel
Même constat pour François Blouin, qui insiste sur « la nécessité de réenchanter l’offre ». Cela passe par des signatures visibles, comme le partenariat tout récent signé entre Carrefour et le coffee shop Columbus. Une offre taillée spécialement pour la gare RER de Châtelet-les-Halles à Paris. Pour Food Service Vision, la clé réside dans « l’introduction de produits-services », à l’image de corners traiteur ou de découpes sur place. « Le snacking froid, industriel, ne peut pas être l’unique réponse. Il faut recréer des marqueurs de fraîcheur, de fait-main, de gourmandise », précise François Blouin.
Selon lui, l’inspiration pourrait venir de l’étranger. « Les convenience stores asiatiques sont très en avance sur cette logique de multiservice. Ils mêlent repas chaud, vrac, boissons fraîches, et même plats cuisinés à emporter. » En France, l’exemple Feuillette dans la boulangerie est cité comme un modèle de merchandising émotionnel appliqué à la restauration rapide.
« Nos magasins de proximité sont devenus le premier lieu d’achat et de consommation de la restauration hors domicile. »
Benoit Soury, directeur du bio et de la proxi chez Carrefour France
« Rien n’empêche certaines enseignes de proximité d’aller dans cette direction. Mais l’obstacle reste culturel. Le distributeur raisonne en rotation au mètre carré, là où le restaurateur pense en valeur perçue, explique Bernard Boutboul. Aujourd’hui, les GMS ont la capacité d’attirer grâce à un burger à 2,80 €, mais elles doivent encore convaincre sur la qualité. Il y a un vrai travail de montée en gamme sans sacrifier la marge. » D’autant que le différentiel de coût entre un menu industriel sous atmosphère et une préparation artisanale reste immense.
Mais la mutation est lente. « La GMS reste timide parce que ce n’est pas son métier. Elle ne sait pas faire du fait-maison, elle ne veut pas se lancer dans la restauration avec des équipes spécifiques, des labos, des contraintes sanitaires », poursuit Bernard Boutboul. Et pourtant, selon lui, « ce serait la bonne stratégie : déléguer à des restaurateurs en concession ce que la distribution ne maîtrise pas ». Une manière d’hybrider sans dénaturer le cœur du modèle. Pour François Blouin, « il ne faut pas rêver de faire du restaurant, mais il faut savoir s’en inspirer ». Si la proxi parvient à dépasser cette contradiction, elle pourrait imposer un nouveau standard : prix bas, accessibilité, diversité et une pincée de fraîcheur émotionnelle.
Cet article est issu de l'édition du 4 septembre 2025
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