Philippe Rapp, co-président de Mobilier Européen (Fly, Atlas, Crozatier) : "L’histoire s’arrête pour la famille Rapp, mais les trois enseignes vont perdurer"
INTERVIEW EXCLUSIVE - Mobilier Européen vient d’être démantelé. Le groupement d'équipement de la maison voit ses magasins Fly, Atlas et Crozatier être rachetés par 5 repreneurs. La moitié seulement des 95 magasins et des 2000 salariés vont bénéficier du plan de reprise. Cet épisode douloureux marque la fin d’une aventure débutée en Alsace en 1959 par la famille Rapp qui a toujours été aux commandes. Le discret Philippe Rapp, fils d’un des deux fondateurs et lui-même co-président de Mobilier Européen, a répondu à LSA sans tabou sur le parcours, les réussites mais aussi la chute d’un grand nom du meuble, dont le CA a atteint 744 millions d’euros sur le dernier exercice.
Morgan Leclerc
\ 08h07
Morgan Leclerc
LSA : Quels sont les premiers mots qui vous viennent, quelques jours après le jugement du TGI de Mulhouse qui officialise le démantèlement de Mobilier Européen ?
Philippe Rapp : Cela a été une belle histoire, mais c’est une histoire qui se termine pour Mobilier Européen. Mes parents ont été pionniers dans la distribution du meuble, pour que le plus grand nombre de personnes puisse avoir accès à des meubles à prix abordable. C’était une idée de génie de créer un supermarché du meuble, regroupant toutes les familles de produits sous le même toit. Ensuite, la famille a pris conscience que pour se développer, il fallait des adhérents, d’où la création de franchises.
Aujourd’hui, l’histoire s’arrête, et les trois enseignes que sont Fly, Atlas et Crozatier vont perdurer. Je souhaite le meilleur aux salariés, et à ceux qui vont quitter le groupe. En termes de casse sociale, l’objectif était que les salariés qui partent puissent le faire dignement. Avec le travail de la région, des pouvoirs publics, etc., le PSE est d’un haut niveau, avec des conditions de départ honorables.
LSA : La famille Rapp, qui a créé le groupe, va-t-elle être associée aux nouveaux repreneurs ?
P. R. : Non. La famille Rapp a cédé toutes ses parts de la SA Meubles Rapp à NF Holding (repreneur de Fly) pour un euro. Et elle n’exercera plus dans le métier du meuble, à l’exception de Christophe Rapp, qui fait partie à titre personnel de la société Casalys, qui reprend 4 magasins Crozatier ainsi que les franchises de l’enseigne. La famille est restée solidaire durant toute cette épreuve. Mais nous ne garderons probablement pas de bureaux à Kingersheim, le siège historique du groupe (dans le Haut-Rhin, ndlr).
"En 2008, nous atteignons l’apogée. Fly compte 145 magasins"
LSA : Un chapitre est clos. Pouvez-vous nous raconter l’histoire du groupe et de Fly, très connu des français ? Créé en 1978, Fly a en quelque sorte, pris les devants sur Ikea, qui n’était alors pas encore arrivé en France...
P. R. :Effectivement. Le concept de Fly a été découvert en Allemagne, c’était un corner de meubles présenté dans un magasin. La famille a alors pris la décision, non pas de copier ce corner, mais d’en faire un magasin à part entière, basé sur ce concept de meubles plus modernes. En 1993, j’arrive dans le groupe. Le marché du meuble était difficile, nous décidons alors d’insister sur le développement de Fly, en pleine propriété.
LSA : Car en parallèle, Mobilier Européen compte deux autres enseignes, Atlas (créée en 1973) et Crozatier (rachetée en 1978)...
P. R. : Oui. Les franchisés Atlas avaient souvent un magasin à leur propre nom en centre-ville. Lorsque nous avons racheté Crozatier, cela leur a permis de basculer l’enseigne de ces magasins de centre-ville, avec une marque au positionnement plus premium. Nous possédions aussi les enseignes Beausalon et Force Cuisine, mais nous avons choisi de nous en séparer pour nous recentrer sur le meuble.
LSA : Le groupe ne cesse de se développer, jusqu’en 2008, une année charnière…
P. R. : Cette année-là, nous atteignons l’apogée. Fly compte 145 magasins. Le groupe en totalise 270 et réalise un chiffre d’affaires de 1,07 milliard d’euros. Nous souhaitons alors atteindre une masse critique par rapport à nos concurrents que sont Ikea, But et Conforama.
LSA : Comment s’explique alors la perte de terrain, qui ne va pas cesser de s’accentuer ?
P. R. : A l’époque, la concurrence des trois premiers cités est forte. Alinéa a aussi pris une position conséquente, tout comme Maisons du Monde. Tous ces concurrents sont monomarques. Or, Mobilier Européen avait trois marques, ce qui rend les économies d’échelle compliquées. Nous avons tenté de rester dans la course en ouvrant des magasins Fly en région parisienne, et en rachetant les magasins Fly franchisés de Suisse. Pour un acteur familial, il est plus dur de résister face à des groupes intégrés, d’autant que nous avions des moyens de communication plus limités. Quand la concurrence sortait trois ou quatre prospectus, nous ne pouvions en sortir qu’un seul sur le même période. On ne nous entendait quasiment plus.
"La famille a été prudente et a compris très vite, en 2012, qu’il fallait s’adosser à un partenaire ou vendre mais cela n’a pas pu se faire"
LSA : Quelles étaient les solutions pour tenter de sortir de cette impasse ?
P. R. : Très vite, j’ai convaincu la famille qu’il était nécessaire d’adosser le groupe pour parachever cette course à la taille. Car avec nos fonds propres, il était très difficile de répondre aux exigences du marché. Tout le monde se disait que la concentration se ferait entre Conforama et But. Mais je me suis dit qu’il fallait être à l’origine de la concentration. Nous avons rencontré Lutz, But, Conforama…
LSA : En décembre 2013, vous avez même signé un accord avec Conforama, qui prévoyait la mise en commun des achats et de la logistique, ainsi qu’une montée au capital de Conforama dans Mobilier Européen…
P. R. : L’accord avec Conforama n’a pas été au bout et je le regrette. Il devait monter au capital en avril 2015, et je leur demandais de le faire en avril 2014, avec un an d’avance.
LSA : Y a-t-il des décisions que vous regrettez, ou des actions que vous auriez dû entreprendre ?
P. R. : Je reconnais que nous avons par exemple raté le virage Internet. Mais cela n’aurait pas vraiment changé la donne pour le groupe. La famille a été prudente, et a compris très vite, en 2012, qu’il fallait s’adosser à un partenaire ou vendre mais cela n’a pas pu se faire. Nous n’avons jamais été regardants sur le prix. La préoccupation a été la continuité des enseignes et l’emploi. Regardez ! Même un groupe comme But, dans une meilleure situation que nous, est toujours en quête de repreneurs.
Cela a été une belle histoire, le groupe Mobilier Européen a marqué le secteur du meuble. L’histoire s’arrête pour la famille Rapp, mais les trois enseignes vont perdurer.
Propos recueillis par M.Leclerc
Découvrez notre évènement consacré à la chute de la maison Rapp, dans le numeroc 2345 datédu jeudi 4 décembre
- But a repris 4 Fly et 2 Atlas, soit 199 salariés et 119 propositions de reclassement
- Casalys, société constituée par des cadres de l’entreprise Crozatier, reprend 4 magasins Crozatier, pour un total de 36 salariés, ainsi que les contrats de franchise de l’enseigne.