Publicité : le retail media à l’assaut des magasins et des centres commerciaux
La commercialisation d’espaces publicitaires dans le retail n’est pas seulement l’apanage du digital. Les régies se structurent aujourd’hui dans les magasins et les centres commerciaux.
Julie Delvallée
\ 08h00
Julie Delvallée
Le temps de la revanche des magasins serait-il venu ? Le retail media, c’est-à-dire la commercialisation d’espaces publicitaires dans des environnements de retail, est né chez un certain Amazon au début des années 2000. Les possibilités presque infinies de tout tracer et mesurer en ligne ont vite séduit les annonceurs, accros à ces datas pour évaluer les retours de leurs investissements media.
« Du côté des magasins, les animations comme les bons de réductions ou la PLV se font beaucoup, historiquement, en papier, ce qui rend la mesure difficile. Les retailers ont et doivent d’abord s’équiper en écrans pour pouvoir profiter du retail media in-store », rappelle Tanguy Le Falher, responsable retail de la régie Unlimitail, créée par Carrefour et Publicis.
De plus, de nombreux emplacements comme les têtes de gondoles dépendent des accords fixés dans le cadre des négociations commerciales (trade marketing). Pas question, donc, d’allouer un budget media. « Aujourd’hui, dans un contexte généralisé de baisse – et de fin pour certains – des prospectus papier, la digitalisation de la communication du magasin est enclenchée, les enseignes s’équipent d’écrans », renchérit Nicolas Benoit, directeur général d’In-Store Media, groupe espagnol qui travaille notamment en France pour la régie de E. Leclerc (ConsoRégie). Il distingue : « La différence fondamentale dans le retail media en magasin et sur le digital tient à la portée des écrans : ils présentent un message diffusé à un grand nombre de personnes, dans le premier cas, quand le discours est personnalisé, dans le second. »
Pour s’approprier cette activité alléchante, où les marges sont bien plus attractives que sur les activités historiques, le premier point obligatoire consiste à s’équiper. S’agissant des écrans : « Chaque point de vente n’a pas la même valeur ni la taille critique nécessaire à un investissement en écrans. Comme nous supportons 100 % de l’investissement initial, nous analysons finement le trafic, la zone de chalandise et les boutiques présentes dans les centres commerciaux pour choisir là où nous implantons des écrans », précise Nicolas Benoit.
Ces équipements représentent aujourd’hui l’essentiel du retail media physique. « C’est le média le plus simple à activer car l’annonceur peut dupliquer une publicité digitale, et il est générateur de ventes, c’est pourquoi beaucoup de marques présentes dans les enseignes les privilégient », indique Basile Hennin, directeur marketing et insights d’Imediacenter, la régie historique d’Auchan, qui réalise près de 90 % de son activité grâce à des spots diffusés sur écrans.
Les principales mesures de ces dispositifs
Les annonceurs exigent des mesures de leurs dispositifs médias afin de justifier leurs investissements. Voici les principaux KPI qui leur sont livrés :
Occasions de voir
Pour évaluer la fréquentation d’un lieu d’affichage afin de révéler le nombre d’occasions où le dispositif a pu être vu par les visiteurs.
Drive-to-store
À l’aide de partenariats noués avec des applications mobiles et diverses sociétés, il est possible de « tracer » l’internaute afin de connaître la part de ceux qui se sont rendus dans un magasin ou un centre après avoir été exposés à une publicité.
Taux d’engagement
Les points de vente et les foncières se sont équipés de capteurs (caméras, balises, smartphones des passants…) qui évaluent le temps passé devant un stand ou un écran. À partir de X secondes (une minute chez Westfield) on estime les visiteurs engagés.
L’uplift (effet sur les ventes)
Si les dispositifs incluent toutes formes de bons de réduction, il est possible de faire le lien entre une opération et les ventes liées à cette campagne. Pour les propositions en centres commerciaux, les enseignes concernées (par exemple celles de beauté si L’Oréal crée une expérience) doivent être associées afin de pouvoir calculer les effets sur les ventes.
De nombreux prestataires externes
La commercialisation des espaces publicitaires sur ces supports est, le plus souvent, externalisée, comme en témoigne la liste des prestataires dont s’entourent les enseignes alimentaires. Pour autant, cette nouvelle activité nécessite de créer des équipes compétentes pour la piloter : « Mercialys ne possède pas de régie mais s’est doté d’un pôle marketing en interne pour animer les centres et créer du flux », témoigne ainsi Morgan Le Dantec, responsable specialty leasing de Mercialys.
« Je n’ai la main ni sur les totems digitaux ni sur l’affichage papier car nous externalisons la commercialisation de ces espaces. En revanche, Mercialys a fait le choix de gérer en interne la partie commerces éphémères, qui est le principal levier de communication pour nos marques », complète Laura Biolé, directrice des centres commerciaux La Galerie Cap Costières (93 commerces) à Nîmes, et La Galerie (27 boutiques), à Arles.
« C’est un atout car nous connaissons très bien nos centres : je suis capable de dire à un annonceur s’il est plus judicieux pour lui d’être implanté dans une cellule dédiée près de l’entrée principale du centre, pour capter un flux important, où s’il est préférable d’être installé dans des zones où les visiteurs flânent, ce qui est plus propice pour des stands où le conseil prime. De même, on fait souvent du conseil en merchandising car nous maîtrisons nos flux », développe la directrice.
Les partenaires des enseignes alimentaires pour accélérer sur les dispositifs médias en magasins
Tous les distributeurs alimentaires ont structuré leur offre pour répondre au retail media in-store. Mais tous n’ont pas la même force de frappe. Premier d’entre eux, Carrefour se distingue tant par le nombre de magasins équipés (1 525 magasins sur 6280 au total, soit un peu moins d’un quart du parc) qu’en nombre d’écrans déployés (plus de 4 700 au total). Si la plupart ont créé leur propre régie, tous s’appuient sur des sociétés externes pour commercialiser ces espaces publicitaires.
Les centres commerciaux s’activent
En plus des enseignes, les centres commerciaux s’y mettent. C’est le cas d’Unibail-Rodamco-Westfield, qui a lancé sa régie en 2022. À sa tête, Candice Mayer-Gillet, directrice générale de Westfield Rise : « Nous avons des audiences de masse. Le Forum des Halles, situé en plein cœur de Paris, à Châtelet, totalise, par exemple, 60 millions de visites par an à lui seul. En plus, nous bénéficions d’audiences qualifiées avec une grande part d’“intentionnistes”. Nos visiteurs restent près de deux heures dans nos centres commerciaux », avance-t-elle.
Son équipe travaille sur la commercialisation des écrans, via Cityz Media (ex-Clear Channel France), et traite en direct la partie événementielle. 1 500 campagnes ont essaimé partout en France dans les centres de la foncière, avec des animations et des typologies d’annonceurs très variées, du streaming aux marques de voiture, en passant par la beauté et des plates-formes d’entertainment.
Même stratégie chez Klépierre, qui s’est spécialisé dans la commercialisation de « roadshows » de marques et l’habillage de façades, comme celle du centre Le Prado, à Marseille, qui s’étale sur 300 m², et valorise au fil des événements tantôt l’arrivée d’une nouvelle boutique souhaitant événementialiser son actualité (JD Sports, Zadig & Voltaire…), tantôt le rappeur Jul, dans le but d’offrir plus de visibilité à son pop-up store local. « Chaque annonceur nous demande ce qu’on peut faire ensemble qui n’a jamais été vu ailleurs. On fait du sur-mesure, en commercialisant parfois des espaces comme des ascenseurs, et avec des dispositifs uniques », souligne Salma Kharchafi, directrice marketing et communication France-Belgique chez Klépierre, qui cite une chasse aux Pokémon géante dans le centre Val d’Europe.
Mais comment mesurer de telles opérations, pour rassurer les annonceurs sur leurs investissements et répondre aux diktats du digital ? Là encore, la tech est venue à la rescousse du monde physique. Les centres se sont équipés et entourés de prestataires afin de pouvoir tracer un maximum d’éléments.
Ainsi, chez URW, la régie a gonflé son parc de caméras. Les personnes détectées sont « floutées », la société Digeiz analyse ensuite les images afin de fournir aux annonceurs des probabilités sur le sexe et la tranche d’âge des visiteurs d’après leur tenue vestimentaire. In-Store Media, qui opère notamment chez Mercialys, s’est rapproché de la société Mytraffic en ce sens. « Ils sont capables de géolocaliser à 5 mètres près les flux piétons et suivent 15 millions de signaux GPS. On peut ainsi comprendre le profil et l’intérêt des personnes via leur durée de visite », dévoile Nicolas Benoit, le DG.
Adidas a surfé sur les Jeux olympiques
Du 22 juillet au 8 septembre 2024, au Forum des Halles (URW),à Paris, Adidas a installé un terrain de jeux pour s’initier à plusieurs disciplines (danse, vélo, skate, parkour, basket…). Objectif : susciter de l’engagement. 83,5% du million de visiteurs ont passé plus d’une minute au sein de cette installation ludique.
Klépierre amplifie campagnes sur ses façades
La foncière s’est spécialisée dans les événements sur-mesure. Et commercialise plein d’espaces… dont cette grande façade au Prado, à Marseille. Ici, Zadig &Voltaire s’est offert cette vaste vitrine pour souligner son arrivée dans le centre commercial.
Imediacenter travaille la préférence de marque
Imediacenter opère surtout les écrans (DOOH) mais monte aussi des opérations «waouh». Ici avec Yoplait l’an passé à Noyelles-Godault (62), pour une gamme de yaourts à boire. Les spots DOOH ont engendré une hausse des ventes de 43,2%. Quand du gaming et des tests étaient installés en plus, les ventes ont doublé (+96%).
Mercialys mise sur les commerces éphémères
La foncière Mercialys ne possède pas de régie mais a développé un pôle marketing. Et, au local, comme ici à Nîmes (30), les directeurs de centre gèrent les activations dans les espaces dédiés au commerce éphémère et conseillent les annonceurs pour accroître leur visibilité ou se tester sur de nouveaux marchés.
Mesurer les résultats concrets
Chez Klépierre, un programme de fidélité incite les clients à scanner leurs tickets de caisse pour capter des données transactionnelles. Car c’est là toute la limite des foncières : contrairement aux enseignes, elles détiennent certes des murs mais pas les précieux tickets qui permettent de mesurer les ventes. Pour autant, une batterie de résultats sont délivrables. Comparaison est souvent raison… Les magasins s’appuient volontiers sur des méthodes d’A/B test. Le principe : comparer un magasin où un dispositif est déployé et un autre similaire qui n’en bénéficie pas. La différence révélera l’influence de la campagne.
Mattel a ainsi voulu mettre en lumière les 65 ans de la pimpante Barbie à travers 50 magasins Carrefour au mois d’octobre 2024, au début de la période des achats de Noël. Des écrans affichaient une offre promotionnelle. En comparaison avec des magasins similaires non exposés, les premiers ont réalisé 20 % de chiffre d’affaires en plus (« uplift ») et un panier moyen total à + 6 %. « Au-delà de ces performances immédiates, cette initiative a également permis de valider un modèle de mesure dans l’univers du retail media, dans un contexte où les standards restent en pleine construction » souligne Delphine Sochon, directrice marketing France de l’industriel Mattel.
Demain, l’enjeu sera de démocratiser les dispositifs et leur mesure de façon omnicanale. Fnac Darty le propose déjà. Il faut dire que la moitié de sa clientèle effectue un parcours d’achat conjuguant la Toile et le carrelage. « Le Ropo (pour recherche online et achat – purchase – offline) est de plus en plus mesuré dans les dispositifs de retail media », assure Tanguy Le Falher de la régie Unlimitail, membre de l’Alliance digitale. « C’est une demande récurrente des annonceurs, nous commençons à créer des POC (proof of concept, NDLR) avec des agences et des annonceurs », nous glisse Basile Hennin, de la régie Imediacenter. Les écrans constitueront sans aucun doute un trait d’union précieux pour y parvenir.
En magasins, une nouvelle génération d’écrans
Des supports en version liseuse, équipés de technologie permettant des visuels en 3D, parfois bombés, XXL ou au format « rail » pour se clipser aux rayons… Les formats d’écrans ne manquent pas ! À chaque fois, l’objectif est identique : déployer un dispositif fort pour faire mouche auprès des visiteurs sur le point de concrétiser leurs achats.
Si Fnac Darty et Westfield ont parié sur des formats géants, Catalina commence, par exemple, la commercialisation de spots en vidéo 3D anamorphique, qui donnent l’impression que le produit « crève » littéralement l’écran. Unlimitail (régie issue de la joint-venture entre Carrefour et Publicis) déploie, lui, des écrans renflés au Brésil, dans certains magasins Atacadao. Leur avantage ? Tous permettent de contextualiser une publicité (évolution du contenu selon les heures de la journée, le trafic ou la météo, par exemple) reprenant ainsi l’un des facteurs clés du succès du retail media en ligne.
« Nous avons sorti la campagne Extra sur 720 écrans, du 31 mars au 12 avril. En moyenne, il y a eu une hausse des ventes de 15% là où le dispositif était présenté sur écrans », indique Violaine Pettiti, responsable de l’activation des marques adultes du groupe.
En octobre 2024, Mattel a choisi 50 magasins Carrefour pour valoriser les 65 ans de sa célèbre poupée. L’industriel a mis en place une offre promotionnelle dédiée pour l’événement.
Cet article est issu de l'édition du 10 juillet 2025
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