De la formulation à la fabrication, plongée dans l'innovation du géant L'Oréal
Le groupe L'Oréal a ouvert, pour LSA, les portes d'un univers jusque-là plutôt discret. Celui de ses services de recherche et d'innovation. Quelques mois après le lancement, en janvier, de la gamme pour cheveux Pro Bond Repair développée par la marque Elseve, visite du laboratoire de Saint-Ouen et de l'usine de Rambouillet.
Nicolas Monier
\ 07h00
Nicolas Monier
La recherche & innovation L’Oréal
- 38,26 Mrds € : le CA de L’Oréal en 2022, à +10,9% vs 2021
- Plus de 1 Mrd € investis en 2022 en recherche & innovation
- Plus de 4 200 chercheurs dans le monde dans 20 centres de recherche (dont 2600 personnes en France. Avec, au total, 69% de femmes)
- 561 brevets déposés en 2022
- 85 nationalités représentées
- 4 300 nouvelles formules lancées sur le marché
La recherche avancée L’Oréal
- +de 800 : le nombre de chercheurs dans le monde dont près de 500 en France
- 1 centre de recherche, à Aulnay-sous-Bois
- 130 molécules propriétaires
Source : L’Oréal
Comment est conçu un best-seller du numéro un mondial de la cosmétique ? Pour le savoir, LSA a pu pénétrer dans le centre de recherche de L'Oréal de Saint-Ouen (93), consacré à la recherche capillaire. C'est ici qu'est née la nouvelle gamme Pro Bond Repair de la marque Elseve. « Nous avons, chez L'Oréal, 20 sites de recherche répartis dans le monde entier afin de pouvoir répondre à la diversité des besoins cosmétiques. On y développe une connaissance unique au monde des cellules de la peau humaine et du cheveu. C'est ensuite ici, dans le centre de recherche et innovation capillaire de Saint-Ouen, que l'on met au point et que l'on conçoit concrètement les shampooings et les soins capillaires de demain », explique Élisabeth Bouhadana, directrice scientifique internationale pour L'Oréal Paris.
Dix ans pour une innovation majeure
Le groupe L'Oréal, c'est aujourd'hui quelque 4 200 chercheurs répartis à travers le monde, dont 2 600 en France dans les centres de Chevilly (94), Aulnay-sous-Bois (93), Saint-Ouen (93) et Lyon (69). Cela représente plus d'un milliard d'euros investis en recherche et innovation, soit 3 % du CA du groupe pour 2022. Sur ce total, 700 millions d'euros sont investis en France. « Pour la gamme Pro Bond Repair, l'innovation est venue de notre capacité à intégrer dans nos formules une très forte concentration d'acide citrique (près de 10 %). C'est une première, même si nous avions identifié, dès le milieu des années 1990, tout l'intérêt de cette molécule dans différents domaines biologiques, pour la peau et les cheveux », précise Philippe Barbarat, directeur international du domaine de découverte fibre capillaire.
Le dirigeant détaille aussi la genèse chronologique d'un produit L'Oréal : « Tout dépend de l'expertise scientifique que l'on a dans le domaine. Il faut constamment identifier les besoins de la consommatrice. Il faut, en moyenne, environ dix ans pour faire naître une innovation majeure. Dans le cas de Pro Bond Repair, nous avions déjà acquis beaucoup de connaissances sur les effets bénéfiques des acides pour les cheveux. Nous avons donc réussi à mettre au point cette technologie en cinq ans. »
Après ce stade de recherche fondamentale, Élisabeth Bouhadana fait le lien avec les différentes équipes du groupe. « Mon rôle est d'accompagner les équipes marketing pour exploiter au mieux les dernières innovations et sélectionner le meilleur de la technologie pour développer des produits innovants, sûrs et très performants dans toutes les catégories », explique la directrice scientifique internationale de L'Oréal Paris.
Adaptation par pays
S'il existe des technologies communes à l'ensemble du groupe, chaque marque possède son laboratoire, qui développe ses propres formules en intégrant d'autres ingrédients si elle juge nécessaire d'apporter des bénéfices supplémentaires. La gamme Pro Bond Repair, elle, est composée de trois produits pour une routine complète. Pour la première fois en GMS, un préshampooing a vu le jour dont l'objectif est de saturer la fibre du cheveu en acide citrique. Puis, plus classiquement dans ces offres, on trouve un shampooing et un démêlant.
Dans d'autres pays, L'Oréal va souhaiter pousser certaines autres technologies. « Au Brésil, par exemple, nous avons développé une quatrième étape dans la routine de soin capillaire de Pro Bond Repair, car les habitudes des femmes brésiliennes sont différentes de celles en Europe. Le climat y est plus chaud et très humide et les consommatrices apportent un soin plus particulier à leurs cheveux, qu'elles peuvent laver plusieurs fois par jour. C'est pourquoi ce marché propose un produit Pro Bond Repair supplémentaire qui a une concentration légèrement différente d'un même actif clé, un produit additionnel spécifique. Dans tous les cas, cela s'accompagne toujours d'un nom de produit différent ou une d'une appellation complémentaire spécifique (par exemple le %), car nous apportons une grande importance à la transparence vis-à-vis de nos consommateurs », explique Élisabeth Bouhadana.
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Mais attention, Pro Bond Repair n'est pas né par hasard. Comme son nom l'indique, la gamme est dédiée aux cheveux abîmés sursollicités par les colorations ou bien par le lissage thermique. Très en pointe sur l'étude des habitudes des utilisatrices, L'Oréal savait qu'il faudrait, dans le futur, des produits dédiés à la réparation des cheveux et donc être capable d'arriver avec le bon actif pour inonder le marché mondial. Comme c'est le cas aujourd'hui avec cette nouvelle gamme lancée en janvier dernier.
Ligne de production dédiée
Une fois la formulation développée, rendez-vous à Rambouillet, dans les Yvelines, où se situe l'une des 11 usines du groupe, celle-ci étant principalement dédiée à la production capillaire (près de 88 % pour la marque Elseve). Avec ses 16 lignes de production, l'usine s'est tout naturellement vue confier la réalisation du nouveau best-seller créé par L'Oréal. « Compte tenu du succès, le shampooing Bond Repair bénéficie d'une ligne de production dédiée, alors qu'au démarrage, cette même ligne était partagée entre plusieurs autres références », explique d'ailleurs Diego Salvo, directeur de l'usine de Rambouillet. Et Olivier Binet, directeur technique opérations L'Oréal produits grand public pour l'Europe de l'Ouest, d'ajouter : « Nous avons adapté nos dispositifs pour répondre à la demande. Déjà, lors du lancement du shampooing Elseve Hyaluron Repulp en 2022, et au regard de l'immense succès du produit, nous sommes passés en neuf mois à une ligne dédiée supplémentaire. »
Aujourd'hui, plus d'un million de produits, toutes références confondues, sortent chaque jour de l'usine. Ainsi, 22 camions partent quotidiennement du centre de production vers toute l'Europe. Face à la montée en puissance de la nouvelle gamme du géant de la cosmétique, tout doit donc être fait pour éviter les accidents industriels. « Sur toutes nos références clés, dont Pro Bond Repair fait partie, nous avons un taux de service supérieur à 99,5 %. Ce sont donc des produits qui bénéficient de toute notre attention pour produire les quantités attendues par nos partenaires distributeurs et éviter tout risque de rupture », note Olivier Binet.
En gros, en cas de rupture sur certaines matières premières, de panne sur une ligne ou de problèmes de transport, des arbitrages ont lieu pour privilégier ces gammes. De même, la direction privilégiera, durant les week-ends, si une dizaine de lignes fonctionnent, d'en dédier autant qu'il est nécessaire à ces « hero SKU », c'est-à-dire les références reines. Ce qui permettra d'éviter aussi, accessoirement, les pénalités en cas de retard sur les livraisons.
L'usine de Rambouillet
- 33 000 m² de surface
- Activité : 88 % des shampooings Elseve et 12 % des gels douche et shampooings Dop
- 1 million de produits par jour
- 250 collaborateurs
- 61 % de l'eau utilisée dans les procédés industriels est recyclée
- 11 sites de production industrielle en France chez L'Oréal
Source : L'Oréal
Montée en puissance attendue
Au niveau des commandes, chaque pays européen fait des prévisions mensuelles et corrige ses besoins de manière hebdomadaire. Là aussi, rien ne doit être laissé au hasard. « Au niveau du groupe, des équipes sont chargées de consolider les besoins des différents pays, ce qui nous permet d'adapter en permanence nos plans de production », poursuit Olivier Binet. Si L'Oréal ne communique pas sur les prévisions de vente de cette innovation, le groupe mise beaucoup sur ce lancement dont le futur chiffre d'affaires devrait lui permettre de prendre de nouvelles parts de marché. Les signes, sur les premiers mois de vente de Pro Bond Repair, sont en tout cas supérieurs à ceux estimés par la direction. L'usine est d'ailleurs prête à sortir 16 millions d'unités sur une année. Contrairement à d'autres produits, le shampooing ne connaît pas de pics de vente. « Il y a un peu d'effets liés à la saisonnalité sur le shampooing entre le premier et le deuxième semestre, mais c'est à la marge. Nous cherchons simplement à avoir plus de stock pour la période estivale où la consommation est légèrement supérieure, mais nous ne sommes pas sur des pics de consommation, que l'on peut retrouver par exemple pour les produits solaires », note Diego Salvo.
Le groupe a aussi décidé d'installer son fournisseur de flacons dans les murs du bâtiment. « Avant cette mise place, près de 2 300 camions par an venaient dans les murs de l'usine pour nous livrer les flacons. Désormais, nous sommes passés à un seul camion par jour rempli de préformes destinées à être soufflées sur place par notre partenaire. Nous ne transportons donc plus de camions remplis de flacons vides », précise Olivier Binet. Une démarche qui favorise, outre la réduction de l'empreinte carbone, la montée en puissance de la production. Notamment pour les références phares comme Pro Bond Repair. D'après les chiffres de NielsenIQ, six mois après son lancement, l'innovation d'Elseve a généré en France un chiffre d'affaires de presque 3,4 millions d'euros, pour un taux de réachat de 31 %.
L’innovation capillaire
Le centre d’innovation de Saint-Ouen (93) est dédié aux cheveux. Les équipes y développent des shampooings pour répondre aux besoins qui ont été identifiés par le centre de recherche fondamentale d’Aulnay-sous-Bois (93).
Principe actif et formulation
Une fois le principe actif technologique identifié, il doit ensuite être formulé car un préshampooing ne se développe pas, par exemple, comme un conditionneur pour cheveux ou bien encore un masque.
La carte mondiale du cheveu
Les produits sont testés dans les différents hubs mondiaux de recherche pour être sûrs de pouvoir s’adapter à tous les types de cheveux. En fonction des besoins, des soins spécifiques peuvent être développés pour tel ou tel pays.
À la pointe de la technologie
L’usine de Rambouillet (78) produit certaines gammes Elseve et Dop pour l’Europe. De ces ateliers sortent un peu plus d’un million de références par jour en flux tendu, sans stockage de produits finis.
Une coordination bien en amont
Entre un et deux ans avant la fabrication du produit, lorsque le concept est en phase de validation, les équipes de développement coordonnent les différents métiers et fournisseurs afin de s’assurer que les capacités soient suffisantes pour le futur lancement.
Des lignes flexibles
En fonction de leur succès, les références peuvent occuper une à trois lignes de production pour répondre à la demande. Lors du reportage, en juin, Pro Bond Repair était la référence numéro un de la division grand public L’Oréal chez Amazon.
Une distribution arbitrée entre chaque pays
Chaque filiale européenne fait des prévisions mensuelles, corrigées toutes les semaines en fonction de la demande. Une tour de contrôle centrale arbitre les besoins des différents pays en recommandant de décaler les campagnes marketing pour éviter les ruptures.
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