[Dossier] Les drives plus que jamais à la recherche de la rentabilité
Le drive, déjà dynamique avant la pandémie, a connu une formidable accélération depuis le confinement. Une situation qui rend encore plus nécessaire le besoin d’optimiser le fonctionnement de ce circuit loin d’être globalement rentable.
Morgan Leclerc
\ 10h00
Morgan Leclerc
- 1 à 2 % : a rentabilité que peuvent atteindre les drives qui dépassent 20 M € de CA
Fidèle à sa tradition des petites phrases, Georges Plassat, qui n’a pas vraiment été l’artisan de la digitalisation de Carrefour, a pourtant bien résumé l’insoluble dilemme du format de distribution en vogue du moment. « Le drive, soit j’en ai et je perds de l’argent, soit je n’en ai pas et je perds des clients », déclarait l’ancien PDG du groupe en 2012, alors que le format connaissait une progression exponentielle. Neuf ans plus tard, les données n’ont pas vraiment changé. Aux hausses régulières jalonnant les dernières années s’est greffé un formidable coup d’accélérateur lié à la pandémie, avec une hausse des ventes de 42 % du drive en 2020, et un afflux massif de nouveaux clients, attirés par son côté pratique et sécurisant, puisqu’il évite de passer son temps en magasin et de manipuler les produits. Résultat (des courses), les drives ont été mis à rude épreuve ces derniers mois.
Lors du premier confinement, il y a un an, la quasi-totalité d’entre eux était passée en mode dégradé, pour tenter d’absorber les flux. Et pour ceux qui pratiquent le picking en magasin, autant dire que l’impact sur la gestion des rayons n’a pas été simple. Côté entrepôts, il a parfois fallu passer au trois-huit. Autant d’éléments déstabilisants pour les équipes, mais aussi pour les structures de coûts. S’il est difficile de dresser le portait robot d’un compte de résultat du drive – celui-ci étant le plus souvent intégré, sinon noyé dans celui du magasin ou d’une business unit –, jusqu’à peu, il était courant d’entendre que le point mort d’un drive se situait autour des 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, seuil au-delà duquel on gagne de l’argent. Un chiffre qui fait aujourd’hui largement débat et une barre loin d’être atteinte pour la majorité des 4 200 drives existants en France.
CONTRIBUE À LA FIDÉLITÉ DE L’ENSEIGNE
« La rentabilité de l’activité drive est à appréhender dans la globalité, tout comme la contribution de l’activité drive à l’enseigne. Il est évident qu’un certain nombre de modèles et de drives ne sont pas forcément profitables. Mais il faut bien prendre en compte les impacts de la croissance du circuit sur l’enseigne, son image, et sur le recrutement de nouveaux clients », analyse Yannick Franc, associé retail chez Deloitte Conseil. Faudrait-il donc faire attention à ne pas trop vouloir « isoler » le drive du reste ? C’est aussi ce que pense Frédéric Valette, directeur du département retail de Kantar : « Le client qui effectue ses achats alimentaires uniquement en drive n’existe quasiment pas. Il est aussi client du magasin, la rentabilité s’apprécie donc client par client. Si le drive peut contribuer à ce qu’il soit plus fidèle à l’enseigne, c’est un modèle gagnant. Notre vision chez Kantar, c’est qu’un client “mixte internet et magasin” dépense plus qu’un client uniquement magasin ou monocanal. » Voilà pour tordre le cou aux idées reçues.
Jusqu’ici, le drive était souvent perçu comme « un îlot (nécessaire ?) de pertes dans un océan de profits », pour paraphraser la fameuse formule du consultant Bernardo Trujillo, l’un des théoriciens du commerce dans les années 60. Mais la situation exceptionnelle liée à la pandémie, qui a entraîné une forte hausse des commandes sur le drive, a semble-t-il permis d’écraser une partie des coûts fixes. À moins que les modèles soient mieux rodés. En tout cas, de manière surprenante car quasiment coordonnés, plusieurs distributeurs ont publiquement soutenu, en dévoilant leurs résultats 2020, que leurs activités e-commerce étaient devenues rentables. Info ou intox ? Difficile d’y voir clair, personne n’ayant encore détaillé les comptes d’exploitation.
COMPENSE LA BAISSE DU TRAFIC EN MAGASIN
Chez Auchan, les ventes en ligne ont compensé l’an dernier la baisse de trafic en magasin, avec des ventes à + 32 % pour le digital, dont « un format drive, rentable, principal moteur de cette croissance », a précisé Edgard Bonte, président d’Auchan Retail en mars. Chez Casino, plutôt axé sur la livraison à domicile que sur le drive pur, les ventes de l’e-commerce alimentaires ont, elles, aussi progressé en 2020, « grâce au développement de modèles structurellement rentables ».
Tout irait donc bien dans le meilleur des mondes ? La réponse est évidemment non, et le fonctionnement des drives, qu’ils soient rentables ou pas, peut encore se perfectionner. Car au-delà de la course à la taille, les leviers d’amélioration sont légion. LSA en a identifié plusieurs, comme proposer une offre mieux calibrée aux besoins des clients et des enseignes, adopter des organisations plus efficaces pour la préparation des commandes, diversifier son offre et ses services, ou encore monétiser les milliards de données recueillies. Autant de sujets devenus essentiels. Tant il semble impossible aujourd’hui de snober un marché qui pèse désormais près de 10 milliards d’euros par an et a séduit sur un an 2,5 millions de nouveaux clients.