Substituts végétaux : les start-up à la manœuvre
Dans un marché des substituts qui reste relativement modeste mais affiche de belles croissances, les levées de fonds se multiplient. Des moyens financiers qui permettent aux start-up d’accélérer en R & D et en communication.
Marie Cadoux
\ 07h30
Marie Cadoux
- 21,4% : le taux de pénétration des substituts végétaux à la viande en 2021 en France
Jeudi 9 juin. C’est à L’Antenne, dans un espace de 1 500 m² au cœur du 11e arrondissement de Paris, que se retrouvent une quinzaine de start-up. Corée du Sud, Espagne, Pays-Bas, Allemagne… Venues du monde entier, elles font partie des 250 finalistes du Plant-Based Contest, un concours organisé par Carrefour. Objectif de l’enseigne ? Identifier les talents et les entreprises qui lui permettront d’accélérer la transition végétale de son offre. Parmi les lauréats, La Vie fait goûter son jambon végétal, avant de recevoir en fin de journée une mention spéciale du jury. « D’ici à la fin de l’année, nous lancerons deux nouveautés, dont ce jambon végétal », s’enthousiasme Nicolas Schweitzer, cofondateur en 2019, avec Vincent Poulichet, de la jeune pousse. Ses produits, à base de soja et de tournesol, qui imitent le goût, la texture et le gras du porc, ont déboulé chez Carrefour en octobre 2021 et font partie des trois meilleures ventes de produits simili-carnés de l’enseigne. Leur industrialisation (lardons, bacon et bientôt jambon) a été confiée à Sodebo. Le numéro un du traiteur LS, reconnu pour ses salades repas, ses box et ses pizzas, reste pour le moment discret sur cette nouvelle activité. « Entre une ETI et une start-up, ce n’est pas a priori la même culture. Et pourtant, cela se passe très bien. Nous travaillons en direct avec les dirigeantes de l’entreprise et l’équipe d’ingénieurs. Derrière notre succès, il y a bien Sodebo », poursuit Nicolas Schweitzer.
Chiffre d'affaires des substituts végétaux par principales catégories de produits, en M €, en 2021, et évolution vs 2020, en %.

Source : NielsenlQ
Telle La Vie, les start-up spécialisées dans les substituts végétaux sont à l’offensive sur tous les fronts. Les investisseurs se laissent convaincre, au point de voir se succéder les records de levées de fonds. Depuis janvier, celle de La Vie (25 millions d’euros en série A) a été battue par celle d’Umiami (26,5 millions d’euros) et, plus récemment, par Happy vore (35 millions d’euros). « Tout va très vite. Le marché des substituts végétaux en GMS reste relativement modeste et, comme tous les marchés en construction, va tôt ou tard se structurer. Les marques qui resteront en rayon seront celles qui auront amélioré la formulation de leur produit et travaillé sur l’accessibilité prix », prédit un expert du secteur.
Plus de ressemblance avec la viande
Une conviction qui a gagné Happyvore. Cofondée en 2020 sous le nom Les Nouveaux Fermiers par Guillaume Dubois et Cédric Meston, deux ingénieurs passés par McKinsey, l’entreprise vient d’investir dans son outil de production. La start-up a racheté une usine de Labeyrie Fine Foods, à l’arrêt depuis quatre ans, située à Chevilly (45) et spécialisée dans les blinis. « Nous avons entrepris une rénovation complète du site qui entrera en production à la fin de l’année », explique Guillaume Dubois. La start-up, qui réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires en grande distribution, ne cache pas ses ambitions. « Nous voulons devenir le leader de la catégorie en France et exporter nos produits en Europe », poursuit Cédric Meston. Cette dernière raison a d’ailleurs participé au changement d’identité de la start-up, il y a quelques mois. En France, Happyvore – qui a une douzaine de références dans son portefeuille (boulettes, chipos, merguez, nuggets, steaks, allumettes...) à partir de protéines de blé, pois, fèves, avec un sourcing 100 % français pour le blé, la fève, le tournesol et la betterave – veut, avec sa levée de fonds, continuer à investir dans la R & D. Un objectif qui se traduit déjà par la rénovation complète de sa référence de nuggets, dont le Nutri-score est passé de C à A et dont la texture se rapproche, assurent les deux jeunes entrepreneurs, de façon beaucoup plus évidente de celle des nuggets de volaille.
Les produits font actuellement l’objet d’une campagne de communication dans les stations du métro parisien, à l’arrière des bus dans les métropoles régionales et dans les gares. Happyvore a aussi investi dans un food truck qui a pris la route des vacances cet été pour convaincre par la dégustation. Avec l’augmentation des volumes, la start-up a réussi à baisser ses tarifs. Une baisse tarifaire de près de 1 € pour ses nuggets qui passent de 4,99 € à 3,99 €, de près de 0,50 € pour les aiguillettes et les saucisses, et de 0,70 € pour les steaks à 4,29 € € contre 4,99 € auparavant. « Je crois que nous sommes la seule marque de l’alimentaire, dans un contexte de forte inflation, à revoir ainsi nos tarifs », ne manque pas de souligner Cédric Meston.
Un grand champ des possibles
Happyvore n’est pas la seule jeune pousse à vouloir frapper un grand coup. En juin, Umiami a inauguré à Villebon-sur-Yvette (91) son centre de R & D. Le site de 1 000 m² va permettre de lancer l’industrialisation du premier filet de volaille 100 % végétal, à base de soja non OGM européen. « Cela fait trois ans que nous travaillons sur ce process », indique Tristan Maurel, son cofondateur en 2020, avec Michel Habfast. Pour se distinguer, Umiami parie sur un procédé de texturation des protéines « l’umisation » qui, à partir de matrices végétales, permet d’obtenir une texture fibreuse et de maîtriser la taille, la direction et l’épaisseur des fibres, sans agent de texture artificielle. « Ce process va nous permettre de reproduire les filets de bœuf, de volaille de porc, de cabillaud, de saumon. Le champ des possibles est très important. Il s’agit d’une innovation de rupture. Sur le marché, les pièces alternatives à la viande sont déstructurées ou hachées. Cela ne sera pas le cas de nos produits », assure Tristan Maurel. Avec son installation à Villebon-sur-Yvette, la start-up va pouvoir produire jusqu’à 100 tonnes par an et poursuivre son travail de recherche sur de nouvelles sources protéiques, comme celles apportées par les algues et les champignons. Mais après la levée de fonds bouclée en avril pour un montant de 26,5 millions d’euros, l’objectif est aussi de passer à une échelle supérieure et de construire une usine. Sa mise en route est planifiée pour 2023.
De l’autre côté des Alpes, Planted, la start-up helvète qui s’est lancée en avril à l’assaut de la grande distribution française, vient de mettre en route une seconde ligne de production dans son site de Kemptthal et prépare une troisième levée de fonds. Avec une capacité multipliée par deux, la jeune pousse, qui fabrique ses émincés végétaux à partir d’une pâte de protéines et de fibres de pois extrudées, avec de l’huile de colza, présente désormais trois autres types de produits : des effilochés, des brochettes et des kebabs. Avec 50 % de son activité en GMS, Planted vient de s’associer aussi avec Kumo, la marque de street food qui propose, en ultrafrais, des rolls d’inspiration japonaise appréciés sur la côte ouest des États-Unis. Confectionnés à partir d’une garniture de riz vinaigré enveloppé dans une feuille d’algues avec des légumes croquants, du poisson ou de la viande, ils se déclinent désormais en version végane avec Planted. Les produits sont disponibles dans les distributeurs automatiques de la marque implantés notamment dans les universités, ainsi que chez Monop’.
Des posts informatifs
Comme Planted, Heura Foods, start-up barcelonaise, entend pousser ses pions sur le marché hexagonal. À la manœuvre, deux activistes militants, Bernat Ananos Martinez et Marc Coloma, ses cofondateurs en 2017. Quatre ans après sa création, la start-up affiche un chiffre d’affaires de 17,7 millions d’euros en 2021 contre 8 millions un an plus tôt et réussit à diffuser ses produits dans 22 pays. 11 % du CA est réalisé à l’international, dont 5 % en France. « Heura est leader sur le marché de substituts végétaux en Espagne. La France constitue son deuxième marché », note Marc Coloma.
Pour se différencier, Heura mise d’abord sur ses recettes (burgers, merguez, chorizo... à base de protéines de soja sourcées en Europe et d’huile d’olive), sur le packaging jaune de ses produits facilement identifiable en rayons. Mais pas seulement. « Nous voulons montrer que le changement est possible. Heura porte un message d’espoir contre le réchauffement climatique et l’élevage intensif. Tout cela, nous voulons le dire de façon cool et sans cristalliser les tensions entre pro- et anti-viande », estime Laurent Gubbels, responsable communication d’Heura Foods France. Les réseaux sociaux constituent à cet égard un puissant relais. « Nous avons une personne en interne qui rend accessible sous forme de posts des informations extraites de rapports et de parutions scientifiques. Avec un taux d’engagement de 10 %, nos posts sont les plus likés et les plus commentés », assure-t-il. Alors que selon les experts du cabinet de conseil AT Kearney, 60 % de la viande ne proviendra plus des animaux d’ici à 2040, les start-up à l’œuvre espèrent bien accélérer le mouvement en cours...

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