Les questions que pose le revers d'Amazon Fresh
Se retirant de certains quartiers aux États-Unis mais s’étendant en Allemagne, le service de livraison de courses alimentaires d’Amazon avance dans sa recherche d’une équation économique durable.
Flore Fauconnier
\ 17h15
Flore Fauconnier
Que se passe-t-il?
Dans neuf États américains, et notamment à Philadelphie et Los Angeles, des clients d’Amazon Fresh ont reçu un mail le 2 novembre les informant que leur quartier ne serait plus desservi à la fin du mois. Amazon a ensuite fait savoir que son service de livraison de courses à domicile restait actif dans bon nombre de grandes villes, dont d’autres quartiers de ces deux métropoles.
À l’inverse, en Allemagne, après Berlin en mai et Hambourg en juillet, l’e-commerçant a lancé Fresh le 8 novembre à Munich, qui dispose déjà depuis cet été de la livraison en une à deux heures d’Amazon Prime Now.
Comment l'interpréter ?
Le marché américain est très hétérogène. Amazon a pu décider de stopper le service dans les zones où le panier était trop bas, la logistique trop compliquée, la concurrence physique locale trop dure, ou encore où un nombre insuffisant d’acheteurs étaient prêts, pour pouvoir l’utiliser, à payer 14,95 \$ (un peu moins de 13 €) par mois, en plus des 99 \$ annuels de Prime. Les codes postaux suspendus laissent penser que Fresh se retire des banlieues et reste actif dans les centres-villes.
Que l’équation économique du dernier kilomètre des courses alimentaires soit difficile à équilibrer n’est pas un scoop. Selon toute probabilité, Amazon Fresh n’est pas encore rentable non plus dans les quartiers où il est maintenu. Toutefois, les distributeurs traditionnels auraient tort de se frotter les mains trop vite. Si un acteur parvient à rentabiliser ce type de service, ce sera très certainement un pure player tel qu’Amazon ou Hellofresh qui eux, au moins, essaient.
Il est possible aussi qu’aux États-Unis, Amazon soit en train de reconfigurer le service. En juin, l’acquisition de la chaîne de supermarchés bio Whole Foods tendait à confirmer la difficulté pour l’e-commerçant de développer Fresh. Depuis ses débuts à Seattle il y a dix ans, il n’a qu’assez lentement été étendu à d’autres villes. La firme, qui a annoncé que les centres de préparation de commandes desservant les quartiers suspendus continueraient à tourner, pourrait néanmoins remettre en question ce modèle d’entrepôts centralisés et mettre à profit les magasins Whole Foods. Début novembre, elle indiquait déjà à ses actionnaires travailler à l’intégration de Prime et Fresh à l’enseigne. Et il serait logique qu’elle développe son e-commerce alimentaire dans les quartiers où un magasin lui facilite click & collect et ship-from-store.
Amazon va-t-il maintenir tous ses services alimentaires?
Alors qu’en ligne, tout le non-alimentaire cohabite sous le même toit (la plate-forme principale Amazon.com), l’alimentaire se décline en Fresh, Prime Now, Pantry et Amazon.com. « Nous avons lancé nos innovations au sein de services distincts afin qu’ils répondent au mieux à chaque besoin. Mais si les faire converger devient pertinent pour le client, nous y réfléchirons », expliquait en août à LSA Sunny Jain, vice-président consumables d’Amazon.
La question est loin d’être évidente : à chaque canal correspondent une méthode de livraison et donc un assortiment spécifique. Les retailers éprouvent d’ailleurs les mêmes difficultés à rassembler leurs services sous un seul portail de façon compréhensible, et on n’est pas près de pouvoir basculer une liste de courses de drive en commande cybermarché. Pour Amazon, la question d’un rapprochement de Fresh avec Prime Now pourrait toutefois se poser d’autant plus vite que le second, monté à 32 villes américaines en moins de trois ans, bénéficie d’une meilleure traction en dépit de son offre plus réduite. Amazon pourrait donc opter pour une tarification de type Prime revalorisée, opérer depuis les magasins Whole Foods et quelques entrepôts dédiés, avec une offre à géométrie variable selon la localisation.
Faut-il enterrer la livraison alimentaire à domicile?
La seule certitude est qu’Amazon continue à chercher la bonne équation et peut maintenant faire du ship-from-store. Il n’a, de plus, aucun état d’âme à financer de nouveaux services, seul contre tous et pendant des années, sur la seule conviction qu’ils répondent à un besoin client. Sa marketplace, son programme de fidélité Prime et son activité de cloud AWS en sont de parfaits exemples. En outre, la fréquence élevée des courses alimentaires lui apportera une montagne de données pour optimiser localement ses assortiments et offrir une expérience très personnalisée. Enfin, la question de la rentabilité n’est peut-être pas la bonne. Comme le drive ou le mobile, la livraison à domicile fait sans doute partie d’un éventail de services indispensables, à évaluer globalement. Et celle d’Amazon sera peut-être la moins coûteuse.
Même s’il y renonçait et se concentrait sur la distribution physique, les retailers seraient bien avisés de ne pas fanfaronner. La firme de Seattle est passée maître dans l’art de réinventer l’expérience client au plus proche des attentes des consommateurs, y compris en magasin. Voir opérer Amazon Go, d’où des centaines de salariés ressortent chaque jour sandwich à la main sans se soucier de payer, rappelle la force de sa culture d’innovation. L’actuelle reconfiguration de Fresh doit donc avant tout servir de rappel de la puissance d’un test & learn (« essayer et apprendre ») décomplexé et pratiqué à grande échelle.
- Coûts trop importants, rentabilité opérationnelle impossible
- Tarification trop élevée pour trouver une clientèle suffisante
- Renforcement de la concurrence physique locale
- Désintérêt des clients au profit de Prime Now
- Habitude des business à petite marge et gros volumes
- Fort pouvoir de négociation auprès des fournisseurs
- Click & collect et ship-from-store possibles depuis les magasins Whole Foods
- Connaissance client très fine permettant d’optimiser les opérations
- Capacité à investir à perte pendant des années
- 2007 Lancement expérimental de Fresh à Seattle.
- 2013 Fresh commence à s’étendre à d’autres villes américaines.
- 2016 Fresh arrive au Royaume-Uni.
- 2017 Fresh lance deux drives Fresh Pickup à Seattle, intègre le programme Business, se lance en Allemagne et au Japon et se retire de certains quartiers dans neuf États américains.
LSA Databoard
Retrouvez les indicateurs de la consommation et du retail pour suivre les évolutions de vos secteurs.
Je découvre