[Dossier] La charcuterie cherche des alternatives aux nitrites

Jamais la défiance des consommateurs à l’égard des produits de charcuterie ne semble avoir été aussi grande. Malmenés sur la question des nitrites, les industriels tentent de trouverla parade. Les lancements aux promesses plus ou moins claires se multiplient.

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[Dossier] La charcuterie cherche des alternatives aux nitrites

Le contexte

  • Les nitrites suscitent plus de méfiance chez les consommateurs.
  • Face au recul des ventes, en particulier celles du jambon cuit, poids lourd du marché, les industriels tentent des solutions pour assurer la sécurité sanitaire des produits, tout en éliminant l’agent conservateur de la liste des ingrédients.
  • La mobilisation s’organise dans la filière. Un programme de recherche scientifique financé à hauteur de 2 M € a été lancé et s’inscrit sur quatre ans.

Chiffres :

Un marché fragilisé

  • 5 Mrds € : le CA de la charcuterie,à + 1,6 %, en CAM au 18 février 2018
  • - 1,9 % : l’évolution des volumes au cours de la même période
  • - 3,1 % : l’évolution des volumesen cumul courant

Source : Iri, total distribution

Une consommation en baisse, mais de meilleure qualité

  • 99,3 % : le taux de pénétration, à - 0,1 point
  • 17,9 kg : la quantité achetée par anet par foyer, à - 0,2 %
  • 35,5 : le nombre d’actes d’achat par an et par ménage, à - 0,2 %
  • 185,60 € : la somme dépensée par an et par ménage, à + 2,9 %

Source : Kantar Worldpanel, en CAM au 18 février 2018 (hard-discount compris)

Lundi 5 février. À l’angle de la rue du Faubourg-Saint-Antoine et de l’avenue Ledru-Rollin, dans le 11e arrondissement de Paris, la députée européenne Europe Écologie Michèle Rivasi, accompagnée du mouvement Climat social et de militants écologistes, déclare ouverte la chasse aux nitrites dans les produits de charcuterie. Prêts à débouler dans les supermarchés du quartier, les militants sont, pour l’occasion, assistés de Guillaume Coudray, auteur du livre Cochonneries, comment la charcuterie est devenue un poison et du documentaire de Cash Investigation diffusé en septembre 2016 sur le sujet.

À l’autre bout de Paris, le communiqué de presse de la Fédération des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes (Fict) est déjà prêt à partir : « Cet acharnement, depuis des mois, envers les charcuteries françaises, met à mal les éleveurs et les fabricants français. Il a de graves conséquences économiques et sociales pour le secteur », rétorque la profession. Oui, mais voilà, les militants, qui accusent les industriels d’avoir la main lourde sur ces additifs soupçonnés d’augmenter le risque de développer certains cancers colorectaux, en appellent au principe de précaution et réclament que les nitrites soient bannis dans la charcuterie dès demain en France, puis en Europe. D’après une publication en 2015 du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), une consommation de charcuterie supérieure à 50 grammes par jour augmente le risque de cancer de 18% et classe les produits de charcuterie, au même titre que le tabac, en catégorie 1, c’est-à-dire au rang des produits certainement cancérogènes. En France, la consommation moyenne s’élève à 36 grammes par jour. « Cela fait vingt ans que la profession est attaquée sur les nitrites. Mais avec cette publication, le sujet a pris de l’ampleur. Il figure en haut de notre pile de dossiers. On ne peut pas faire comme si de rien n’était », convient Bernard Vallat, le président de la Fict.

Phase de transition alimentaire

L’enjeu est de taille. Pour la troisième année consécutive, la consommation de charcuterie recule, et la situation n’est pas en passe de s’arranger, selon les chiffres du panel Iri. Depuis le début de l’année, les volumes baissent en effet de 3,1% (données arrêtées au 18 février 2018). Mais la situation est encore plus alarmante pour le jambon cuit de porc, qui constitue la plus grosse catégorie du marché. Depuis le début de l’année, ses volumes ont dévissé de 4,9%. Seul point positif, les ventes ont tendance à se valoriser :+ 1,6% sur le total charcuterie (données en CAM au 18 février). « Les Français consomment moins mais mieux. Nous sommes entrés dans une phase de transition alimentaire », relativise Sophie Van Eeckhaute, directrice de marque pour la charcuterie et chargée de la RSE chez Herta. De fait, la profession cherche la parade, tant sur le plan de la recherche que de la communication.

En 2016, la Fict a ainsi lancé un site d’information grand public (info-nitrites.fr). De façon pédagogique, il explique quel rôle jouent les nitrites et les nitrates dans la sécurité sanitaire des produits de charcuterie, en empêchant le développement de bactéries très dangereuses pour la santé de l’homme, provoquant botulisme et salmonellose. Il rappelle aussi que 70% des nitrites sont d’origine végétale. Il revient également sur la réglementation stricte qui conditionne leur utilisation. En Europe, l’emploi des nitrites ne peut pas dépasser les 150 milligrammes par kilogramme de produits finis. En France, ce seuil a été ramené à 120 mg pour l’industrie charcutière et est limité à 80 mg pour les produits bio.

Réactions après Cash Investigation

Mais les écologistes, Michèle Rivasi en tête, n’en démordent pas. Fabriquer des produits de charcuterie sans nitrites est possible. Et de mettre en avant l’exemple du jambon de Parme, produit à grande échelle (9 millions par an) sans nitrites et, surtout, sans un cas de botulisme depuis vingt-cinq ans, grâce à une hygiène stricte. Malmenés dans Cash Investigation en septembre 2016, les industriels sont donc passés à l’offensive. À commencer par Herta qui, en février 2017, a sorti une gamme de cinq références sous la marque Le Bon Paris. Pour ce lancement, il aura fallu cinq ans et la mobilisation de plusieurs centres de recherche et de développement en Europe. Le résultat ? Une nouvelle recette qui, alliée à un procédé de fabrication au secret bien gardé, permet de produire un jambon sans sel nitrité et sans nitrites d’origine végétale, élaboré à partir de viande fraîche de porc. La cuisson se fait dans un bouillon de légumes. Sel, sucre et arômes naturels complètent la liste d’ingrédients.

« Contrairement à ce que font certains industriels, nous n’avons pas, dans le bouillon, sélectionné des végétaux riches en nitrates qui pourraient, sous l’effet de ferments ajoutés, se transformer en nitrites et constituer un moyen de conservation », assure Sophie Van Eeckhaute. Plus d’un an après, Le Bon Paris conservation sans nitrite affiche un taux de pénétration de 9 % et a contribué à 7 % des ventes de jambon de la marque Herta à fin 2017. Depuis avril, la gamme s’est enrichie de références de charcuterie de volaille et de lardons. Avec des résultats prometteurs si l’on en juge l’évolution du taux de pénétration d’Herta depuis 2016. Selon Kantar Worldpanel, il était de 54,1% en CAM à P2 2016, de 51,8% en 2017 et de 52,8% à P2 2018.

Revalorisation face aux produits classiques

« Cette inversion de consommation correspond au lancement du Bon Paris conservation sans nitrite. Surtout, nous constatons que ce lancement a généré des ventes additionnelles à la catégorie, permettant certainement à des consommateurs de se réconcilier avec la charcuterie », signale Sophie Van Eeckhaute. Une chose est sûre, avec une valorisation de l’offre sans nitrites de l’ordre de 20% par rapport aux produits classiques, la filiale charcuterie et traiteur de Nestlé France y trouve son compte. « Il s’agit d’une gamme à part qui répond aux attentes de certains consommateurs. Mais notre objectif est de donner le choix en continuant à proposer nos gammes classiques », poursuit-elle.

Dans la droite ligne d’Herta, Monique Ranou, la filiale charcuterie du Groupement des Mousquetaires, dévoile à son tour une gamme de charcuterie sans nitrites, y compris d’origine végétale. « Aider les consommateurs à mieux manger est devenu un axe fort de la politique de développement du Groupement depuis 2017 », indique François Ollivier, directeur général adjoint de la filière porcs pour Agromousquetaires. Leur pôle industriel ne part pas d’une feuille blanche, travaillant depuis des années à la réduction du taux de sel.

De fait, depuis 2017, les produits issus de filières de qualité, comme le sans-antibiotiques, le bio, le Label Rouge et le Bleu-Blanc-Cœur, pèsent 30% des volumes de jambon et sont en croissance de 25%. « Les attentes sont fortes. Nous étions mobilisés sur la question des nitrites depuis un moment, mais nous avons accéléré les recherches », ajoute François Ollivier. La gamme de jambon Monique Ranou dénommée, comme celle d’Herta, conservation sans nitrite, est en cours de déploiement et va être complétée d’ici à juin par une offre de lardons et de rôtis. « C’est une nouvelle page de la charcuterie qui est en train de s’écrire. Nous n’en sommes qu’au début », estime François Ollivier.

Recherches de trente ans

De son côté, Fleury Michon, encouragé par le chef Joël Robuchon qui guide le développement des produits de la marque, travaille à l’amélioration des recettes et à la suppression des additifs depuis près de trente ans. « Nous n’avons pas attendu l’émission Cash Investigation pour nous pencher sur la question des nitrites et des additifs de façon générale », assure David Garbous, directeur marketing stratégique de ­Fleury Michon. Depuis six ans, la marque a réduit les nitrites à 80 mg par kilogramme de viande sur l’ensemble de son offre de charcuterie, soit la même dose que pour les produits bio. Elle a également lancé depuis dix-huit mois un jambon supérieur sans sel nitrité. Pour cela, Fleury Michon a mis au point une solution culinaire assurant la sécurité sanitaire du produit et sa couleur rose. La viande est cuite dans un bouillon de légumes naturellement riches en nitrates qui, sous l’effet de ferments, se transforment en nitrites. « Le sujet est complexe. Attention à ne pas tenir de fausses promesses. Il y a sans doute encore des choses à faire. Mais ce qui nous importe, c’est le développement des filières de qualité. Chez nous, les produits issus de ces filières font 30% des volumes et enregistrent des croissances de 10%. Le marché est en train de basculer et les nitrites ne sont qu’une partie du sujet », souligne David Garbous.

Sur la piste de la vitamine E

Jusque-là moins exposés à la défiance des consommateurs et, surtout, au recul des ventes (les volumes de salaison ont progressé de 0,4% en CAM au 18 février, selon Iri), les fabricants de charcuterie sèche et crue n’entendent pas rester en marge. En 2017, l’espagnol Espuña a lancé une large gamme de charcuterie sans nitrites. C’est au tour d’Aoste de présenter un saucisson et une rosette sans additifs chimiques sous la marque Cochonou. D’ici à la fin de cette année, le groupe proposera l’ensemble de son offre de jambon cru sans nitrites.

« La profession se mobilise », assure Bernard Vallat. En témoigne le vaste programme de recherche scientifique, baptisé Adduits, associant plusieurs centres de recherche – dont l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), l’Institut du porc (Ifip) et l’Institut technique agro-industriel des filières viandes (Adiv) –, afin de trouver les moyens pour réduire, voire éliminer, le risque de cancer colorectal lié aux charcuteries. La piste principale ? L’ajout d’anti-oxydants, comme la vitamine E, capables de neutraliser les effets négatifs des nitrites. « Les industriels financent à hauteur de 50% ce programme de recherche qui va durer quatre ans. C’est un signal fort de leur engagement », conclut le président de la Fict.

Fleury Michon misesur le sans-sel nitrité

La marque a lancé il y a dix-huit mois une référence de jambon supérieur sans sel nitrité. Pour retirer de la liste des ingrédients le sel nitrité (les additifs E249 ou E250), l’industriel a mis au point une solution culinaire qui assure de la même façon la sécurité sanitaire du produit et sa couleur rose. La viande cuit dans un bouillon de légumes naturellement riches en nitrates qui, sous l’effet de ferments, se transforment en nitrites. Le processus a d’abord été développé pour la charcuterie de volaille avant d’être adapté à celle de porc.

Herta ouvreune troisième voie

Entre les nitrites chimiques ajoutés et les légumes riches en nitrates qui, sous l’effet de ferments, se transforment en nitrites, une troisième voie a été choisie par Herta en matière de conservation. La gamme de jambon cuit née en février 2017 a fait l’objet d’un travail de R & D pendant près de cinq ans. L’analyse des produits ne révèle pas de trace de nitrites, y compris d’origine végétale. Le secret de fabrication est bien gardé. Sur la liste des ingrédients figurent de la viande de porc, un bouillon riche en légumes, du sel, et du sucre. Avec un procédé de production maîtrisé, la marque affiche la promesse du produit sur sa face avant : conservation sans nitrite.

La profession engagée dans un programme scientifique

Un programme de recherche scientifique vient d’être lancé avec l’Inra, l’Ifip (l’institut technique qui accompagne le développement de la filière porcine) et l’Adiv (l’institut de recherche et développement dédié aux industries carnées), dans le but de trouver des solutions techniques qui permettraient de continuer à utiliser des nitrites tout en neutralisant leurs effets potentiellement négatifs à certaines doses sur la santé. Le programme, qui s’inscrit sur une durée de quatre ans, est financé à hauteur de 2 millions d’euros, dont la moitié a été collectée auprès de la profession.

Pour les industriels de la salaison sèche, la tradition plutôt que la promesse santé

Même si les salaisons, perçues comme un produit plaisir, sont moins exposées à la défiance des consommateurs – et donc au recul des ventes –, les industriels prennent le sujet des nitrites au sérieux. À commencer par l’espagnol Espuña qui, en avril 2017, a lancé Espuña Tradition, une large gamme de charcuterie (jambon serrano, saucisson, lomo, chorizo, coppa) sans nitrites ajoutés ni colorants. Les viandes sont mélangées à des extraits végétaux de blettes, ou du paprika pour le chorizo, qui comportent naturellement des nitrates. De son côté, le groupe Aoste, après trois ans de R & D, sort sous la marque Cochonou un saucisson à l’ancienne sans conservateurs ajoutés. L’analyse du produit ne révèle pas de trace de nitrites et dans la liste d’ingrédients figurent viande, extraits naturels d’herbes et de plantes, sucre et ferments. D’ici à la fin de cette année, l’ensemble des produits de jambon cru Aoste seront aussi conçus sans nitrites, confirme Nathalie Poncet, directrice marketing du groupe. Le processus de fabrication est tenu secret. La marque a l’intention de jouer la carte de la simplicité (de la viande, du sel et c’est tout) plutôt que la promesse santé.

La gamme sans sel nitrité comprend jambon de volaille, jambon supérieur et rôti de porc. Sur les packagings, pas de promesse trompeuse. Une mention précise sur la face avant la présence de nitrites d’origine végétale.

Après le jambon cuit de porc conservation sans nitrite lancé en février 2017, Herta élargit son offre à la volaille, avec deux références de filet Le Bon Poulet (nature et à la broche), et également deux références de lardons (nature et fumés).
En 2016, la Fict a lancé un site dédié (info-nitrites.fr), qui rappelle la églementation. En France, l’emploi des nitrites est ramené à 120 mg par kg pour l’industrie charcutière et à 80 mg pour les produits bio.
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