Les questions autour de la vente des hypermarchés et supermarchés de Casino

1,35 Mrd €, le montant que devra débourser le duo Auchan-Intermarché pour racheter les 313 magasins de Casino  
3,6 Mrds €, le chiffre d’affaires des 313 magasins Casino HT et hors immobilier
Source: entreprises

Le 11 janvier, actionnaires et créanciers approuveront (ou pas) la restructuration de ­Casino. Ces derniers, qui détiendront 46,3% du capital du nouveau Casino à l’issue de l’opération en mars – le reste revenant au trio formé par EP Global Commerce (Daniel Kretinsky), Fimalac et Attestor–, n’ont en réalité plus trop le choix. Le groupe Casino, après en avoir cédé des premiers pans cet été aux Mousquetaires, a en effet dû se séparer de la totalité de sa branche hypermarchés et supermarchés et a choisi, en accord avec le consortium, le duo Auchan-Intermarché. Le 18 décembre, ce dernier a confirmé être entré en « discussions exclusives » avec Casino. « Nous avons vendu au plus offrant et au mieux-disant socialement. » Voilà le discours tenu aux syndicats par la direction et Philippe Palazzi, le patron du futur Casino, en décembre. Nul doute que la question de l’emploi a pesé.

Un calendrier serré

11 janvier : date limite pour que les actionnaires et les créanciers de Casino votent le plan de restructuration.
5 février : réunion au tribunal de commerce pour faire un point d’étape.
25 février : fin de la procédure de sauvegarde accélérée d’une durée de quatre mois.
Fin mars : prise de pouvoir officielle de l’équipe de direction nommée par le consortium dirigé par Daniel Kretinsky.

Des syndicats très inquiets

Sur la ligne de départ, en effet, figurait aussi Lidl, appuyé par E.Leclerc et par Carrefour pour certains hypers et, au dernier moment, pour la proximité. Or les coûts de personnel affichés par le champion allemand du discount, estimés à 6% du CA, quand ils vont de 10 à 12% chez Auchan et Intermarché, ont fait frémir les syndicats de Casino. Ces derniers restent, malgré tout, très inquiets et disaient, le 27 décembre, craindre « des milliers de suppressions d’emplois ». Les futurs repreneurs se sont voulus rassurants : « L’ensemble des salariés des magasins transférés seraient repris », mentionne le communiqué de Casino.
Dans la corbeille figurent 313 magasins : 241 supers, 65 hypers, 3 drives déportés, 1 Spar et 3 Leader Price, selon les chiffres donnés aux syndicats, le 19 décembre. Le tout réalisant 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires HT et hors immobilier. Montant de l’opération : 1,35 milliard d’euros. Une somme « très élevée » pour nombre d’experts. La valorisation pour les hypers serait de 0,3 fois le CA et pour les supers, de 0,5 fois. Or la ­quasi-totalité des magasins sont vendus sans les murs et il faudra renégocier des niveaux de loyers élevés. Sans compter l’état des points de vente…

Les futures forces en présence

Parts de marché prévisionnelles en valeur par groupes après les rachats des hypers et supers Casino par Auchan et Intermarché, et des hypers Cora et supers Match par Carrefour, en %, et évolution, en points, après les opérations en cours

Source : évaluations LSA sur la base des PDM de Kantar Worldpanel du 30.10. au 26.11.2023

Dans la configuration à venir, le trio de tête reste inchangé, mais grâce au rachat du groupe Louis Delhaize, qui se concrétisera à l’été 2024, Carrefour gagne 2,4 points. Et, en attribuant tous les supermarchés Casino à Intermarché (+1,3 pt de PDM), le groupement d’indépendants progresse mécaniquement. Quant à Auchan, cela lui permettrait de se détacher de Lidl et de tutoyer les 10% de part de marché (9,5%).

Ne pas rater l'opportunité pour Auchan et Les Mousquetaires

Seulement voilà, la rareté fait la cherté. « Ce n’est pas donné, mais cela peut se comprendre, estime Clément Genelot, vice-président du retail chez Bryan, Garnier & Co. D’une part, il devient difficile d’ouvrir des mètres carrés en France. D’autre part, les acheteurs peuvent se dire que le multiple de valorisation est élevé, vu la sous-performance de ces magasins. » Auchan ne pouvait laisser passer pareille occasion, après trois tentatives avortées de croissance externe ; pour Intermarché, c’est une manière d’espérer talonner, voire doubler Carrefour. « C’est vingt ans de croissance », savoure Thierry Cotillard, patron des Mousquetaires, à la baguette de l’opération avec Ali ­Khosrovi, son directeur exécutif groupe (ex-Auchan). Il imagine les CA des magasins acquis progresser vite de 50%, voire doubler pour certains dans les années à venir.

Deux tiers des unités pour Intermarché et un tiers pour Auchan

Très optimiste ? Difficile à dire sans connaître les parcs acquis par les deux alliés. Or les chiffres sont flous. Les Mousquetaires avaient déjà racheté ou sécurisé l’été dernier 123 magasins auprès de Casino, dont 58 transformés en Intermarché depuis le 16 octobre (les autres le seront ce premier trimestre). Ils comptaient en plus 72 unités sur lesquelles ils avaient une option prioritaire, mais une bonne part aurait été remise au pot dans l’offre commune avec Auchan. Quant à la répartition entre les deux alliés, elle ne serait pas finalisée même si elle tournerait, selon nos informations, autour de deux tiers des unités pour Intermarché et un tiers pour Auchan. Casino précise en revanche que l’accord ne concerne pas la Corse et qu’il faudra l’aval des 60 franchisés.

Recruter et convaincre pour ce nouveau Casino

Mais le plus dur commence. « Le risque est plus élevé sur les hypers, dont le retour sur investissement est plus long », prévient Clément Genelot. Certes, certains hypers Casino bénéficient d’excellents emplacements, notamment dans le Sud-Est où Auchan veut se renforcer. Mais il va lui falloir baisser les prix et rénover les magasins. Soit engager plus de 1 milliard d’euros sur deux ans, a calculé l’analyste : 320 millions pour les prix et 520 millions pour la rénovation, auxquels s’ajoutent les recrutements. Avec le vrai défi de trouver une petite centaine de directeurs de magasins.
Le chantier humain est aussi majeur pour Les Mousquetaires chez qui il faudra convaincre les adhérents d’acheter les magasins acquis par le Groupement. Sur la première vague des 58 magasins repris à l’automne dernier, il manquait 20% de candidats. Et l’annonce, fin décembre, que trois des sites déjà transformés – Vals-près-le-Puy (43), Lons-le-Saunier (39) et Plouaret (22) – allaient être retoqués par l’Autorité de la concurrence, dont on attend la notification officielle, et donc chercher un autre repreneur qu’Intermarché, pourrait en refroidir d’autres. Pas si facile de grossir.

De multiples interrogations

• Trouver les adhérents et les directeurs pour diriger les 313 magasins.
• Un niveau d’investissement élevé pour redresser des magasins en difficulté. Il faudra réinvestir dans la baisse des prix d’au moins 10% (autour de 320 millions d’euros sur deux ans pour les hypers pour Auchan, par exemple, selon Bryan, Garnier & Co), rénover les magasins (1000 euros du mètre carré a minima, jusqu’à 1500 euros pour un hypermarché) et réembaucher du personnel.
• Le maintien ou pas du siège historique à Saint-Étienne (1770 personnes, dont 400 sur la proximité), ainsi que les 12 entrepôts (2000 salariés). S’y ajoutent 12348 salariés dans les hypers et supers Casino (source : direction). Soit au moins 16000 emplois.
• Comment vont se structurer les accords aux achats entre Intermarché et Auchan annoncés le 5 décembre, en sachant qu’Intermarché a déjà une alliance avec Casino (Auxo) ? Ensemble, ils pèsent 30,3% des parts de marché en valeur recomposées après les différentes acquisitions en cours.