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[Experts 2021] Yves Marin : Eloge du mou

Pour la sixième année consécutive, LSA a recueilli les projections d’une vingtaine d’experts du retail sur les enjeux de 2021. Ils décrivent un commerce en pleine transformation. Aujourd'hui, Yves Marin, associé dans le cabinet de conseil Bartle.

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[Experts 2021] Yves Marin : Eloge du mou
Yves Marin, associé dans le cabinet de conseil Bartle

Appliquons un vaccin sémantique, sans attendre : ces quelques réflexions ne reviennent pas sur l’épisode épidémique en cours et ne citent aucunement ce virus commençant par C.

Il s’agit de partager avec vous, en trois volets, l’éloge du mou. Ceci dans une culture de la distribution historiquement régie par le principe du « dur » : dur au mal, viril, serrant les dents à 5h du matin pour remplir au quotidien le rayon Marée ; dans l’espoir d’un résultat net un chouïa positif en bout de course, juste récompense du labeur continu des « centimiers ».

Mou #1 : la revanche de la variance contre la moyenne

On se méfiait depuis belle lurette de la simplification rassurante de la mesure par les moyennes, qui donne une illusion de contrôle exact. Les acteurs du Retail couraient cependant en peloton du Tour de France, avec quelques échappées mais au fond la notion de secteur homogène prévalait, même si les indépendants riaient plus que les intégrés depuis quelque temps. Les trublions du numérique – ManoMano, Vinted, les sociétés de messieurs Ma ou Bezos, d’autres – avaient toutefois déjà fusé et emporté quelques étapes de montagne décisives.

On voit bien maintenant que la variance ou l’écart-type entre les parts de marché a franchi un nouveau col : c’est vrai en GMS où les distances se creusent ; c’est vrai aussi entre les circuits (digital vs physique) ; c’est aussi le cas entre les marchés, depuis un brico-déco qui pédale à +20% environ sur 2020, jusqu’à un textile qui décélère d’autant en miroir, en passant par des GSA grimpant en danseuse de 5 à 10%, pour filer la métaphore cycliste. Les fortunes ont également tangué au gré des nouveaux flux de population : au niveau macro (à l’aide, plus de chinois ni de russes pour alimenter Travel Retail et grands magasins), au niveau micro (télétravail et exode urbain).

La conséquence pour les entreprises est a minima de devoir assumer une forte dose d’innovation de rupture en allant vite et fort, de s’affranchir des « benchmarks » moyennisants ou « bonnes pratiques concurrentielles » qui les préservent hélas des nouveaux filons d’argent : conduire un rallye auto en regardant dans le rétroviseur ne garantit guère une place sur le podium. Et de concevoir leur Business Model beaucoup plus comme des navires, en élargissant et compartimentant leurs activités à l’instar de la coque d’un bateau ou d’un sous-marin, afin d’assurer l’insubmersibilité par gros temps : Fluctuat nec mergitur, plutôt que le Titanic.

Mou #2 : la stratégie du marécage

Jusqu’à peu, la certitude de « faire le budget » passait par la duplication extensive d’un modèle économique éprouvé ; dorénavant, ceci se transforme dans la certitude inverse d’aller dans le mur. Le carburant vital du commerce, le trafic, est entré dans une phase de déclin durable puisque le canapé prend de la part de marché sur la voiture en matière d’achat : adaptons-nous. Sans états d’âme. Avec célérité.

Livraison à domicile, restauration, seconde main, services, big bang de la proximité urbaine, décalage entre les attentes de la GenZ et le passé de certains gondoliers habitués aux clients captifs... face à l’évolution de la consommation, diversifions les sources de revenus pour éviter l’effet lampadaire de l’ivrogne qui cherche ses clés de voiture là où il y a de la lumière, afin d’aller chercher les dépenses à l’endroit et au moment où les clients sont prêts à les effectuer.

Pas question de lâcher la proie pour l’ombre et d’oublier l’exploitation, cela va sans dire. Mais cela signifie d’accepter plus de risque et de réussir le grand écart entre le temps court de la performance au quotidien, et le temps long patrimonial. Comment l’expliquer aux actionnaires habitués à des croissances trimestrielles prévisibles, et d’autre part motiver des DG mandatés pour trois ans ? C’est en particulier l’une des forces intrinsèques du système coopératif, puisque le capitaliste et le manager sont une seule et même personne, et que la double échelle de temps est au cœur du système.

Pour mener à bien cette « Swamp Strategy » vaseuse, incertaine, itérative, soumise à nombreuses embûches, les distributeurs en place pourraient ne disposer ni des ressources suffisantes (Capex, notamment) ni parfois des profils. A l’image d’autres secteurs (banque, automobile, …), les alliances du type industriel, avec investissements conjoints ou lien des destins, sont sur le chemin de l’innovation de Business Models, que cela nous plaise ou non : avec Deliveroo, avec Google, avec Alibaba (cf Dufry ou Gucci récemment)… Une hybridation qui apporte son lot d’aléas autant pécuniaires qu’intellectuels, pour des distributeurs qui raisonnent par nature avec un sens élevé de la territorialité – « mon » magasin, « mon » ranch, « mon » EBE.

Mou #3 : Soft Revolution

La boîte à outils plus ou moins vertueuse lors de la période précédente est devenue ringarde. Passons au marteau et au tournevis de l’ère TikTok. Management par objectifs rustique, jeux dangereux et inutiles avec les organigrammes, RACI (= qui fait quoi) et process jamais appliqués, matrices chronophages, double peine d’une « réunionite » et d’une « mailite » (voire d’une « WhatsAppite » ?) inefficaces pour assurer la coordination des acteurs : calmons-nous.

Sans l’introduction massive de soft skills, les hard skills ayant été un vecteur de profitabilité jusqu’à présent ne fonctionneront pas dans un contexte devenu différent. L’écart n’est plus tenable entre une littérature sérieuse qui existe sur le management et la sociologie des organisations, et nos pratiques souvent pré-néanderthaliennes où nous chassons l’excellence économique en peaux de bêtes, armés de lances rudimentaires.

Relisons les écrits récents de mon camarade Olivier Tirmarche (Le nouvel horizon de la productivité) ou de Morieux & Tollman (Smart Simplicity), François Dupuy (Lost in management), Getz & Carney (Freedom, Inc.), David Graeber (Bullshit Jobs), Phillipe Silberzahn (Relevez le défi de l’innovation de rupture), Zeynep Ton (Good Jobs Strategy), Frédéric Fréry (100 idées impertinentes pour mieux manager) ; ainsi que les leaders de la pensée digitale (Tony Hsieh de Zappos, paix à son âme, et consorts)… Liste évidemment non-exhaustive, sans oublier les « anciens » Christensen, Drucker, Kotter, Mintzberg, Pfeiffer, Schein et autres chevaliers Jedi présents au rayon Entreprise de la Fnac. Beaucoup de talent, mais pour quelle mise en pratique ?

Pour satisfaire nos besoins et nos envies légitimes de rapidité, de performance et d’innovation, nous n’avons pas d’autre choix que de chercher de nouveaux gisements de productivité, en luttant contre le surtravail ubuesque qui plombe l’élan de nos organisations. Alors oui, il nous faut tordre nos schémas de pensée ; agir sur le rendement au m² ET sur la culture d’entreprise, sur le taux de ruptures en entrepôt ET sur la libération des énergies des collaborateurs qui seule, et sans aucun angélisme, nous permettra d’avoir les moyens de nos ambitions.

Meilleurs vœux de commerce 2021 à tous !

L'auteur :
Yves Marin est Associé dans le cabinet de conseil Bartle ; cabinet certifié B-Corp, nourri par l’énergie de ses 130 consultants et obsédé par la réussite de ses clients.

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