[Experts 2021] Edouard-Nicolas Dubar : 2020 Mouvements de dirigeants du Retail, pause ou accélération ?

Seulement 14 % des dirigeants du Retail ont changé en 2020, il faut remonter à 2008 pour trouver un chiffre aussi faible selon le Retail Executive Retention Indicator® (primé en 2020 au Royaume-Uni). Cet indicateur est élaboré par Elsinore Search, cabinet international spécialisé dans le recrutement de dirigeants et d’administrateurs pour la Distribution.

Cela marque un arrêt net après plusieurs années où stratégie de transformation digitale et renouvellement de la gouvernance allaient de pair.

En 2019, la moitié des dirigeants du Textile étaient à leur poste depuis moins de deux ans et moins de trois ans pour ceux issus de la Distribution Alimentaire.

Ce chiffre de 14 % se retrouve de façon comparable dans les entreprises en suractivité comme en sous activité. Carrefour qui continue de faire évoluer ses dirigeants est une exception.

Comme si la crise sanitaire avait réuni les difficultés des enseignes en développement et celles en retournement, dans tous les cas, partout, les organisations ont été terriblement stressées : remise en cause des business plan et des organisations, course au cash, tensions relationnelles avec les actionnaires comme avec les collaborateurs, pilotage à vue, épuisement…

Pause dans les nominations et, paradoxalement, les changements de caps et les projets de transformation des enseignes s’accélèrent en nombre et surtout en intensité.

En effet, il y a un décalage de 6/12 mois entre les décisions de changement de stratégie et la venue de nouvelles équipes pour les conduire. Les effets de la crise sanitaire sur les nominations de dirigeants se manifesteront surtout en 2021.

Les dirigeants qui sont arrivés en 2020 sont essentiellement des hommes très expérimentés avec un solide parcours de retailer. La priorité porte clairement sur la capacité à délivrer des résultats dans l’urgence. Il s’agit de « commandants dans la tempête ».

C’est une remise en cause de ce que nous observions depuis 2012. Les recherches se focalisaient sur une volonté de sang neuf pour réinventer de nouveaux modèles de distribution.

Il y avait alors une féminisation et un rajeunissement progressifs, un intérêt particulier pour les compétences digitales, une ouverture vers des dirigeants issus du Conseil ou de l’international.

En 2020, la nouvelle génération de dirigeants compte seulement 8 % de femmes (presque deux fois moins que la population totale des dirigeants du Retail).

L’âge moyen de la jeune promotion 2020 monte à 51 ans. Dans les entreprises familiales les actionnaires se font plus présents. Parfois d’anciens dirigeants, des compagnons de route, sont promus ou rappelés.

Autre paradoxe. L’accélération de la transformation digitale se constate partout. Les volontés sont affichées. Pourtant, les recrutements de dirigeants issus du numériques demeurent rares.

Les dirigeants des enseignes physiques sont appréciés pour structurer des acteurs du e-commerce. La réciproque n’est pas vraie.

90 % des Directeurs Généraux promus en 2020 étaient déjà Directeurs Généraux confirmés alors que les années précédentes, un tiers des Directeurs Généraux accédaient à cette responsabilité pour la première fois. Là encore l’efficacité immédiate l’emporte sur des considérations à plus long-terme d’accueillir du sang neuf.

Traditionnellement, la fonction Exploitation/Réseau reste la fonction dominante pour devenir Directeur Général suivie des fonctions Achat/Produit puis Finances. Cette dernière fonction progresse significativement en 2020, puisqu’un nouveau dirigeant sur 5 provient de cette filière.

Il n’y a jamais eu autant d’enseignes à reprendre et à retourner que l’année dernière. Certaines enseignes vont disparaître. D’autres vont renaître, parfois plus fortes après une restructuration drastique permise par exemple, par un redressement judiciaire.

L’influence des fonds d’investissement s’efface au profit d’entrepreneurs, actionnaires ou managers en place ou investisseurs extérieurs, qui conduisent des « projets d’acquisition au son du canon » (Conforama, Habitat, Camaieu, Alinea, La Halle …). Cela se retrouve dans des profils plus audacieux valorisant la prise de risque.

La perspective 2021 verra l’arrivée d’une nouvelle vague de dirigeants en rattrapage par rapport à la pause de 2020. Les nominations du seul mois de janvier 2021 correspondraient à la moitié des mouvements comptabilisés 2020.

La crise du Covid 19 interpelle les actionnaires sur la valeur de leurs actifs et amène des décisions de cession, de consolidation ou de démantelement, de décroissance organisée (cession de marques ou d’activités, fermetures de filiales à l’étranger, réduction du parc des magasins et des effectifs) ou, heureusement parfois, de relance de la croissance (alimentaire, bricolage, maison, pharmacie, luxe, sport….). Il y aura débat entre les tenants de la centralisation, des économies d’échelle pour comprimer les couts quitte à réduire la voilure et ceux qui se concentreront sur le développement des ventes en laissant de l’autonomie aux commerçants.

Les attentes en matière de dirigeants valoriseront le cash, le court terme et l’agilité. Les enseignes vont également se renforcer pour monter en compétences sur les fonctions Supply Chain, Marketing Digital et Ressources Humaines. La fonction Exploitation/Réseau va évoluer pour faire face aux enjeux de réduction et de consolidation du parc de magasins. Les développeurs feront place aux gestionnaires et aux « combattants».

La recherche de Senior Advisors restera significative en 2021.